▪ Le paragraphe d’introduction de cette Chronique s’inspire d’une citation que m’a fait parvenir un ami très bon connaisseur des produits dérivés et des modèles d’évaluation des agences de notation. Il anime aujourd’hui le réseau social FinRoad, une vaste plate-forme dédiée aux échanges d’informations entre professionnels des marchés financiers à travers l’Europe.
« Les budgets doivent être équilibrés, le Trésor doit être renfloué, la dette publique réduite, l’arrogance des fonctionnaires doit être tempérée et contrôlée, l’assistance aux pays en difficulté doit être verrouillée, sinon nous ferons faillite. Les citoyens doivent réapprendre à s’enrichir par le travail, non par la dette et l’assistanat ! »
L’auteur de ces réflexions n’est ni un conseiller de Nicolas Sarkozy, ni un proche d’Angela Merkel : il s’agit de l’extrait d’une allocution de Cicéron devant le Sénat romain en 55 avant Jésus-Christ !
Il s’alarmait a priori un peu prématurément puisque l’Empire romain d’Occident ne fit faillite que 500 ans plus tard (en 476 après J.-C.). Le dernier descendant des Césars, le jeune Romulus Augustule, fut contraint d’abdiquer par Odoacre, le chef des Hérules, pour une sombre histoire de promesse non tenue en matière d’octroi de terres et de non-paiement de mercenaires qui défendaient les frontières de l’Empire.
Le Trésor romain mais également byzantin était exsangue. La révolte grondait sur tout le pourtour de la Méditerranée depuis l’annonce de la levée de nouveaux impôts. Enfin, la sécurité des provinces d’Afrique du Nord et du Proche-Orient n’était plus assurée — et la mare nostrum était infestée de pirates.
▪ Rien à voir naturellement avec la situation dans laquelle se retrouve l’Euroland aujourd’hui, nous vivons à une autre époque… où les empires (tel l’Union soviétique) peuvent se désintégrer non plus avec l’usure des siècles mais en l’espace d’une ou deux décennies.
Nous soupçonnons la finance dérégulée de pouvoir anéantir un pays comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis en l’espace de quelques mois. Il suffirait que les marchés en viennent à conclure que la crise systémique globale est sans solution… que les remèdes tueront le malade… que le « chacun pour soi » et le « sauve-qui-peut pour tous » devient la règle… et que la faillite des monnaies fiduciaires — et donc des Etats — est inéluctable.
Avouons que nous voyons se multiplier les signaux alarmants depuis février 2007… et de nouveau depuis fin avril 2010. Les banques européennes ne se prêtent de nouveau plus d’argent entre elles, chacune soupçonnant sa consoeur d’avoir commis — à l’image des subprime — les mêmes bévues sur les dettes souveraines des pays du sud, réputées sans risque jusqu’à ce qu’éclate la crise grecque.
▪ Ce qui va suivre n’est pas une rumeur : les événements se précipitent. Les 45 caisses d’épargne espagnoles — qui représentent 50% du système bancaire local (cette proportion avoisinait même 60% en 2008) — sont en train de perdre l’accès au marché européen du refinancement interbancaire.
Elles ne peuvent offrir en garantie que des obligations d’Etat espagnoles. Plus personne n’en veut, malgré un rendement à 10 ans qui flirte avec les 4,6%, alors qu’il était auparavant à moins de 4% — à comparer avec les 3,2% dont les investisseurs se contentent en Allemagne.
Encore une ou deux petites mauvaises nouvelles de cet acabit… et nous n’aurions pas été étonné de voir le CAC 40 plonger vers les 3 000 points ou le S&P en direction des 975.
Mais alors que la tension sur l’euro était à son comble… voilà que Moody’s annonce que rien n’interdit d’envisager une dégradation de la note des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Nous voici rassuré, car nous continuons de chercher pour quel motif le parachutiste sans parachute britannique ou américain bénéficie encore d’un « triple A ».
L’euro entame donc une remontée au-delà des 1,20 $ : la peur aurait-elle changé de camp ?
▪ Au lendemain d’une troisième séance de correction qui plaçait le CAC 40 dans une situation très inconfortable (sous le palier des 3 400 points), avec un risque non négligeable de dérapage incontrôlé des indices boursiers… le sursaut de 0,8% de l’euro face au dollar (1,2050) et au yen (110,2) déclenche une vague de rachats à bon compte.
Le CAC 40, qui reprenait 1,95%, effaçait ainsi pratiquement toutes ses pertes depuis vendredi, avec une clôture proche des 3 450 points. Cela dans le sillage de Wall Street, qui grimpait de 1,2% (S&P 500) à 1,6% (Nasdaq) à la mi-séance, avec un Dow Jones qui se redressait au-dessus de la barre psychologique des 10 000 points.
L’Euro-Stoxx50 affichait +1,75%. Cependant, il lui faudra poursuivre sur sa lancée pour confirmer le coup d’arrêt à la baisse qui se dessine avec le triple test du solide plancher des 2 500 points.
Le rebond de l’euro au-delà des 1,205 $ semble plaider en faveur d’une poursuite de l’embellie sur les indices boursiers. Les investisseurs peuvent en remercier aujourd’hui Vladimir Poutine, qui réaffirme sa confiance dans l’euro, et la poursuite des achats d’actifs obligataires libellés dans cette devise.
Ben Bernanke estime de son côté que si la reprise semble lente, elle devrait s’avérer robuste (+2,9% à +3,1% en 2010). Elle devrait triompher de la morosité ambiante induite par la multiplication des plans de rigueur à travers l’Europe.
▪ Autre facteur positif, le baril de pétrole se renchérissait de 3,5% à 74,5 $. Cela devrait également soutenir le secteur pétrolier et parapétrolier, dont l’impact est décisif à Wall Street.
Hélas, cet aspect fut totalement occulté par le plongeon de 15,8% du titre BP coté à New York. Avec un cours de 29,2 $ au final, le pétrolier britannique voit sa capitalisation boursière fondre de moitié en six semaines, partant d’un zénith de 62 $ le 21 avril dernier.
Une enquête démontre que les documents fournis par BP aux autorités compétentes américaines sont bourrés d’inexactitudes s’agissant des mesures de sécurité en vigueur sur la plate-forme Deepwater Horizon.
Les prévisions en cas de marée noire (impact sur les fonds marins et les côtes américaines, la flore et la faune, simulations de dérive des galettes et des nappes de pétrole, moyens de récupération ou de dispersion) étaient au mieux totalement fantaisistes et au pire carrément fallacieuses… Sans oublier que le débit du puits accidenté avait été minoré de 80% au cours de la première quinzaine.
Tout ceci risque de peser très lourd dans la sévérité des pénalités qui seront infligées par la justice américaine, qui va devoir instruire des milliers de plaintes et demandes d’indemnisation. Si les études de BP avaient été simplement « approximatives », la volonté d’abuser la commission fédérale chargée d’accorder le permis d’exploitation aurait été difficile à prouver.
Mais symétriquement, compte tenu de la surabondance d’assertions grotesques et d’invraisemblances flagrantes, les autorités américaines ont soit lu les documents en diagonale… soit fait preuve d’une insondable naïveté… soit donné leur accord les yeux fermés pour des raisons qui restent à déterminer.
Nul doute que l’armée des avocats de BP engagés pour l’occasion — qui s’annonce comme l’affaire la plus juteuse en honoraires de l’histoire des catastrophes industrielles — ne manquera pas de s’engouffrer dans la brèche. Les avocats tenteront de « mouiller » au maximum l’administration américaine afin d’induire un soupçon de complicité, au-delà d’un manque de rigueur qui suscite déjà la polémique.
▪ La rechute de Wall Street en fin de séance ne saurait être justifiée par le seul impact du plongeon de BP. La vulnérabilité de l’euro continue de susciter beaucoup de frilosité de la part des investisseurs qui ne veulent manifestement pas rester investis en « overnight » si le moindre nuage commence à poindre à l’horizon.
Les indices américains affichaient un net redressement en milieu de matinée, ils ont cherché un second souffle à la mi-séance — comme l’ont fait les places européennes qui se sont envolées de 2% en moyenne à la clôture. Ils ont ensuite suivi une trajectoire rigoureusement inverse en rechutant de plus de 2% par rapport aux meilleurs niveaux du jour.
Le Nasdaq (-0,55% au final) affichait par exemple jusqu’à +1,88% à 2 209 points, avant de chuter de 0,85%, jusque sur 2 153 à quelques secondes de la clôture. Le Dow Jones (-0,4%) a varié de pratiquement 2% en une demi-journée (entre 10 064 et 9 869 points) avant d’en terminer à 9 900 points. Il semblait pourtant encore bien parti pour accrocher les 10 000 à une heure de la clôture.
Wall Street n’en finit plus de gâcher les occasions de rebond. Les vagues de repli se succèdent, polluant chaque jour un peu plus le scénario haussier tandis que le moral des opérateurs devient aussi sombre que le goudron qui souille les côtes de la Louisiane.