L’économie de l’empire du Milieu est au plus bas… mais la tendance pourrait bientôt se renverser : l’industrie locale pourrait repartir en trombe avec la fin du zéro Covid.
La fermeture sur le monde de la Chine et la multiplication des mesures sanitaires depuis le début de l’année ont fait voler en éclat le rêve d’une croissance de 5,5% en 2022.
Avec des économies occidentales rongées par l’inflation et au bord de la récession, le pays n’a même pas pu compter sur les exportations pour faire tourner ses chaînes de production.
Selon les dernières estimations, la croissance du PIB de l’Empire du milieu devrait être inférieure à 3,5 % en 2022. Le Financial Times estime même que l’augmentation de productivité des travailleurs devrait plafonner à 0,7 % sur 12 mois, mettant en péril la croissance industrielle future.
Même l’immobilier, moteur de l’économie depuis plusieurs décennies, est à l’arrêt. Les ventes ont connu cette année une chute inédite depuis sept ans. Selon des chiffres relayés par le South China Morning Post, les biens vacants représenteraient désormais plus de 12% du parc, un taux qui dépasse celui du Royaume-Uni (1%), de la France (8%), et même des Etats-Unis (11,1%).
Des estimations plus prudentes
Ce sont ainsi plus de 50 millions de biens qui restent vides dans un pays qui en comporte un peu plus de 400 millions… et encore, ce chiffre ne prendrait, selon Capital Economics, pas en compte les quelque 100 millions de biens neufs, construits et vendus, mais qui restent inoccupés. Dans certaines mégapoles, comme à Nanchang (6 millions d’habitants), des décomptes plus précis font état d’un taux de vacance de plus de 20%.
A l’échelle du pays, pas moins de 21 promoteurs ont fait défaut sur leur dette l’an passé. Comme anticipé, l’affaire Evergrande n’était que la partie émergée de l’iceberg. Avec plus de 290 Mds$ de dette à refinancer avant la fin de l’année prochaine selon le décompte de Bloomberg, les faillites devraient encore se multiplier dans les prochains mois.
Ces vents contraires se renforcent, alors que revenu par tête reste bien en-dessous des niveaux occidentaux, à 12 500 $/an. L’endettement dépasse les 170% du PIB, bien au-delà des niveaux qui inquiètent nos économistes.
Alors que les analystes imaginaient, il y a quelques années, que la Chine deviendrait rapidement la première puissance économique mondiale, les nouvelles estimations se font plus prudentes. Au vu de la situation actuelle, l’empire du Milieu ne devrait pas dépasser les USA avant 2060 – au mieux.
Pour nombre d’analystes, c’est la fin du miracle chinois et le pays est condamné à la stagflation comme nos économies matures. C’est oublier que l’économie chinoise est en suspens depuis près de trois ans, et que les possibilités de rebond sont bien réelles.
A quoi ressemble la fin de la pandémie ?
Comme nous pouvions l’observer au début de la pandémie, et de nouveau lors de la crise énergétique due à l’invasion de l’Ukraine, les soubresauts du PIB peuvent être anticipés par la variation de la capacité de travail des acteurs économiques.
Des travailleurs confinés ou qui passent leurs journées à se tester ; des trains qui ne circulent plus ou des navires bloqués, des matières premières introuvables, conduisent à une baisse du PIB. L’inverse est vrai : dès que les mesures anti-économiques sont levées et que les échanges reprennent, le PIB reprend le chemin de la hausse.
Or, je constate sur le terrain, en Chine – et mes contacts industriels haut-placés le confirment –, que la chape de plomb sanitaire est en train de se lever progressivement.
Pas plus tard que la semaine dernière, en me rendant en Chine par Hong Kong, j’ai eu la surprise d’apprendre à l’arrivée que le nombre de test PCR infligés aux voyageurs avait été réduit de moitié dans la nuit, et que la période de surveillance active passait de 6 à 2 jours.
Lors de la conférence de presse, les autorités sanitaires ont eu beau jeu de dire qu’il ne s’agissait « en aucun cas d’un allègement des mesures », réduire l’intensité (en nombre comme en durée) des tests ressemble bien à l’arrêt de la surveillance des voyageurs entrants.
De fait, Hong Kong est depuis cet été utilisé comme une sorte de « laboratoire du laisser-faire ». A l’instar de Singapour qui est passée en 2021 d’une stricte stratégie zéro-Covid à l’acceptation du vivre-avec, la zone spéciale chinoise laisse en pratique le virus circuler depuis cet été.
Les chiffres racontent une histoire bien différente de celle des médias : le Covid circule plus à Hong Kong qu’en France depuis trois mois. Source : OurWorldInData
Vous le savez certainement, la zone spéciale de Hong Kong est utilisée par Pékin pour tester des politiques qui diffèrent de celles appliquées en Chine continentale tant en termes de fiscalité, de libertés, que d’ouverture sur l’étranger.
Le relâchement s’étend
Et que constatons-nous ? Que l’acceptation du virus commence à faire tache d’huile.
Depuis début Novembre, la Chine continentale fait face à une nouvelle vague de coronavirus qui bat ses plus-hauts historiques.
Évolution du nombre de cas quotidiens de Covid en Chine continentale. Source : JHU/Google
Pour autant, le régime ne prend pas de mesures aussi brutales que précédemment. A Canton, qui connaît plus de 1 000 cas par jour, un chiffre énorme pour le pays habitué au zéro-Covid, les mesures de confinement ne sont pas aussi strictes qu’en début d’année, lorsque le nombre de cas quotidiens ne dépassait pas les 120. Dans les quelques quartiers confinés, les citoyens se permettent même de critiquer ouvertement les mesures.
Et, à moyen terme, la ville est en train de construire une zone-tampon géante qui permettra de mettre en quarantaine plus de 250 000 personnes simultanément. Pour beaucoup, c’est le signe que les autorités se préparent à une réouverture progressive des frontières – le chiffre étant disproportionné par rapport aux besoins de gestion du Covid pour les seuls habitants de la région.
Même Xi Jinping, qui donne l’impulsion des mesures sanitaires, affiche publiquement une certaine acceptation de la situation. Lors du sommet du G20, il s’est montré devant les caméras sans masque de protection – une première depuis les débuts de la pandémie. Notamment lors de ses poignées de main avec Joe Biden, Justin Trudeau et Emmanuel Macron.
Pour la presse, la question est : « Quelles mains serre Xi Jinping ? » Pour l’économie, la question est plutôt : « Le fait-il sans masque ? »
Il était de notoriété publique que, depuis deux ans, le dirigeant chinois appliquait à son entourage direct les mêmes mesures de santé publiques qu’il imposait à la population. La méfiance envers le virus se matérialisait à tout instant, entre réunions masquées et absence aux sommets internationaux.
Désormais, Xi Jinping s’affiche visage nu avec les dirigeants de pays où le Covid est devenu endémique. Le symbole ne doit pas être pris à la légère : il signifie qu’il est possible – et acceptable – de vivre avec le risque sanitaire. Dès que cette stratégie sera implémentée à l’échelle du pays de 1 400 millions d’habitants, production et consommation chinoises devraient repartir à la hausse.
L’industrie ne demande qu’à rebondir
Une autre raison pour laquelle il est prématuré d’enterrer l’économie chinoise est que son industrie n’est pas restée les bras croisés depuis 2019.
L’industrie aéronautique en est l’exemple parfait. Fer de lance de l’excellence technologique occidentale, elle jouait jusqu’ici le rôle de contrepoids dans la balance commerciale des Etats-Unis et de l’Europe.
La Chine nous fournissait t-shirts, matières premières, et produits électroniques à bas coût… et nous achetait des avions. Cet équilibre qui prévalait depuis les années 2000 pourrait toucher à sa fin.
Le C919, futur concurrent des best-sellers que sont le Boeing 737 et l’Airbus A320, a connu début novembre un déluge de commandes sans précédent. Alors que les premières livraisons devraient avoir lieu à la fin de l’année, l’avionneur Comac a enregistré lors du salon international de l’aéronautique et du spatial de Zhuhai (China International Aviation and Aerospace Exhibition) plusieurs centaines de commandes.
Même si le C919 n’a obtenu sa première certification qu’au mois de septembre, les compagnies aériennes se sont bousculées pour passer commande. A une centaine de millions d’euros pièces, Comac peut se prévaloir d’avoir déjà vendu pour près de 30 milliards d’euros de son nouveau modèle. Et avec un carnet de commandes près de quatre fois plus fourni, l’avionneur ne manquera pas de clients pour occuper ses ateliers.
Même si les esprits chagrins ironisent sur le fait que Comac reste une entreprise étatique, et que ses clients sont jusqu’ici des compagnies aériennes chinoises, le succès d’Airbus invite à l’humilité. Après tout, l’avionneur européen avait débuté de la même manière sous perfusion des Etats européens, avant de devenir leader mondial de l’aviation civile.
Outre ses industries historiques qui ne demandent qu’à tourner à plein régime, la Chine termine l’année 2022 avec un relais de croissance inédit. Selon Reuters, le pays aurait besoin de plus de 8 500 avions d’ici la fin de la décennie, soit un marché de plus de 1 400 milliards de dollars. Opter pour du made in China plutôt que des Airbus ou des Boeing rebattra les cartes de l’économie mondiale en faveur du pays.
Si les derniers mois ont sans conteste été difficiles pour la Chine, l’année 2023 pourrait bien être celle du rebond.
1 commentaire
La Chine tire les leçons des sanctions contre la Russie. Les avions américains et européens risquent d’être cloué au sol par un embargo des pièces de rechange, il est donc indispensables d’avoir une flotte nationale. Ce raisonnement sera tenu aussi par d’autres pays, Airbus et Boeing ont des cheveux à se faire