▪ Commenter l’évolution des places occidentales depuis le 25 février constitue un exercice assez étrange. Cela revient un peu à diffuser un bulletin météo concernant l’hémisphère nord à partir de données provenant de l’outback australien.
Le tableau est tous les jours le même : brouillard le matin puis soleil le reste de la journée, atmosphère chaude et humide à partir de midi, températures comprises entre 25 degrés et 38 degrés.
C’est comme s’il y avait un problème de flux. Nous avons récemment observé des chutes de neige sur le Languedoc et subi de fortes gelées en Ile-de-France jusqu’au 13 mars… mais notre station météo continue de diffuser des données estivales prélevées aux antipodes.
Si nous demeurions confiné dans un bureau climatisé, aux fenêtres équipées de stores vénitiens, nous porterions en permanence un bermuda et des chemises à fleurs, histoire d’être en adéquation avec le climat tel qu’il nous est présenté sur notre ordinateur.
Tant que nous ne mettons pas le nez dehors, nous aurons l’impression de porter des habits de saison… Et si jamais nous étions ressorti seulement hier après-midi, après quatre mois d’hiver passés bien au chaud, nous aurions découvert qu’il ne faisait pas plus de 20 degrés dehors, avec un ciel qui commençait à se couvrir en milieu de journée.
Ce n’est pas exactement les 30 degrés (ou plus) auxquels nous nous attendions… mais notre chemise à fleurs et notre bermuda ne nous auraient pas exposé à une angine express et des engelures !
Et si vous nous aviez croisé dans Paris, nous aurions eu du mal à vous croire si vous nous aviez affirmé que l’eau dans le bassin des Tuileries était encore gelée sur trois centimètres d’épaisseur 10 jours auparavant. Voyons, même si la température chute un peu la nuit, il est impossible de passer de 35 degrés à -5 degrés en quelques heures !
▪ Vous pensez que nous exagérons un peu… mais d’après vous, qu’est-ce qu’un trader qui voit le Nasdaq 100 tenter d’aligner une dix-huitième séance de hausse sur une série de dix-neuf connaît exactement de l’état de l’économie dans l’Illinois ou le l’Arizona pendant qu’il orchestre l’inexorable ascension de ses indices sectoriels favoris (hier, l’immobilier avait le vent en poupe) ?
Des instituteurs et des infirmières se font licencier à Phoenix ; le prix des maisons s’effondre dans la banlieue de Détroit… Peu importe : notre trader achète à tour de bras des titres de constructeurs de maisons individuelles car il vient de lire une étude qui affirme que les cours sont historiquement bas et que les cash flow redeviennent positifs. Tant pis si le chiffre d’affaires soit encore de 66% inférieur à ce qu’il était au milieu de l’été 2006…
Il ne se laissera pas d’avantage troubler par une bête statistique publiée ce mercredi et qui fait état d’une nouvelle chute (-2,2%) des ventes de logements neufs aux Etats-Unis (308 000 transactions annuelles contre 315 000 en janvier. Elles atteignent leur plus bas niveau depuis janvier 1963 (avant cette date, il n’y a plus aucune donnée disponible).
Ce n’est pas un gag ni une invention de notre cru : le constructeur Lennar s’envolait de 6% hier en début de séance. Ses principaux concurrents Pulte Homes, DR Horton et Beazer Homes gagnaient 2,5% en moyenne.
Nous ne savons pas comment se porte l’immobilier dans l’outback… mais la hausse de ces titres est probablement plus cohérente avec les données en provenance d’Australie qu’avec celles qui concernaient directement les Etats-Unis le mois dernier !
Nous voulons bien admettre que l’investisseur achète le futur et non le passé : nous qui passons notre temps à défricher les sous-bois économiques, la prospective, ça nous connaît… Cependant, les tendances bien concrètes du présent ne nous incitent pas à extrapoler des lendemains qui chantent.
▪ Le principal événement que les marchés ont retenu de ce mercredi 24 mars, ce fut la dégradation de la notation de la dette portugaise de « AA » à « AA- » par Fitch. Soyons francs, ce n’est pas une énorme surprise : le seul suspense concernait le timing… mais l’impact sur l’euro a tout de même été spectaculaire. Notre devise a dévissé de 1,2% pour inscrire un nouveau plancher annuel à 1,3330 $ — ce n’est tout de même pas une variation anodine !
Retournons quelques instants aux Etats-Unis (peut-être nous soupçonniez-vous de vous avoir caché un bon chiffre ?…) pour évoquer l’autre statistique du jour : la hausse de 0,5% des commandes de biens durables s’avère inférieure aux +0,7% attendus.
Il s’agit d’un net ralentissement après une progression révisée à 3,9% pour janvier… mais voilà de quoi se raccrocher à la promesse de « taux bas presque indéfiniment » de la Fed.
D’après le département du Commerce américain, les carnets de commandes ont été soutenus par la vigueur des achats dans le secteur aéronautique. Cela contrebalance une fois encore la contraction de l’activité dans l’automobile, où l’effet « Cash for Clunkers » finit de s’évanouir.
Vous voulez tout savoir ? Vous assurer que nous ne négligeons aucun élément qui explique la fermeté persistante de Wall Street ? Eh bien nous avons encore en réserve la baisse de 1,7% du baril de pétrole à 80,5 $ : elle a suivi la publication de stocks hebdomadaires US qui se regonflent beaucoup plus vite que prévus, démentant un rebond de la demande industrielle et une intensification du trafic des poids lourds (après de nouvelles intempéries début mars).
▪ En Europe, en revanche, nous pouvons mentionner la hausse de 2,9 points de l’indice IFO, le baromètre des affaires en Allemagne. Il remonte à 98,1 en mars alors que les économistes misaient sur une quasi-stabilité à 95,8 après 95,2 en février et 95,8 en janvier.
Mais les places européennes n’avaient pas célébré l’événement ! Dommage, parce que c’est un bon chiffre… mais ce qui réjouit aujourd’hui les Allemands n’engendre pas forcément l’euphorie chez ses partenaires !
Allez savoir pourquoi…
Pour dégager des excédents commerciaux, il suffit d’exporter des produits dont les clients ont besoin et de ne pas importer ce dont les consommateurs allemands peuvent se passer.
Pour les inciter davantage à ne pas faire de folies (comme ces Français, ces Espagnols ou ces Italiens qui importent massivement du made in Germany), Berlin laisse transpirer dans la presse de futures augmentations de taxes et d’impôt. C’est notamment pour rassurer Bruxelles, qui juge le déficit budgétaire allemand non compatible avec les critères de stabilité européens.
Précaution presque inutile puisque nos voisins d’outre-Rhin n’ont pas pour habitude d’acheter avec de l’argent qu’ils n’ont pas des produits dont ils n’ont pas besoin.
Ce sont typiquement des principes de saine gestion qui peuvent mener l’Europe tout droit vers la déflation si tous ses membres se mettent à se comporter de façon aussi… vertueuse. Et avec la hausse prévisible du coût de financement des déficits, fini les bermudas et les chemises à fleurs, il faudra penser à ressortir les anoraks !