Par Simone Wapler (*)
"La vague des défaillances d’entreprise s’amplifie", annonçait à la une Les Echos en début de semaine dernière. Le quotidien tempérait cependant en constatant "le marché français a limité les dégâts en 2008". Certes, mais c’était en 2008.
Mercredi, Les Echos titraient sur "PSA Peugeot Citroën réduit à nouveau ses cadences de production".
Mais, pensez-vous agacé, je suis en âge de lire Les Echos tout seul. Je ne vous donne ces titres que parce qu’ils me semblent très révélateurs du développement de la crise.
Les deux postes de dépenses de biens durables des consommateurs des pays riches sont, par ordre de poids, l’immobilier et la voiture. Ces deux dépenses sont le plus souvent financées par l’endettement. La crise a commencé avec l’immobilier. Elle se poursuit avec la voiture.
La construction emploie beaucoup de monde, c’est un des secteurs d’activité pour lequel la délocalisation est impossible. Pour l’automobile, en revanche, la délocalisation est possible. Les groupes européens y ont eu massivement recours et Sochaux n’est plus la patrie de PSA, comme Billancourt n’est plus celle de Renault, ou Turin celle de Fiat.
Mais ce n’est pas le cas de la Rust Belt américaine, qui reste le berceau des trois grands constructeurs yankees, dont le sort est toujours aussi précaire. Nos confrères de MoneyWeek Grande-Bretagne ont un joli mot pour évoquer cette débâcle : ils parlent de Carmageddon. L’ironie est d’autant plus facile que l’Angleterre a choisi la voie de la ‘financiarisation’, abandonnant des pans entiers de son industrie au profit de l’industrie du service financier…
La belle automobile américaine dépassée
Mais comment les fabricants américains en sont-ils arrivés là ? Une voiture neuve s’achète à crédit. Plus de crédit disponible, plus d’achat. Les chiffres d’affaires de General Motors, Ford et Chrysler se sont effondrés de respectivement 41,3%, 47,1% et 30,5%. La crise du crédit est incontestable, mais elle n’explique pas tout. Les causes sont bien plus profondes : peu d’évolutions techniques, qualité laissant à désirer, monstres gloutons inadaptés au carburant cher et à l’émergence de mentalités un peu plus écologiques…
L’Europe a aussi ses points faibles
"Cela ne nous regarde pas", pensez-vous. "Notre industrie européenne ne souffre pas de telles tares". Pardon, mais je n’avais pas terminé ma liste des boulets et j’ajoute : trop de marques et de concessionnaires, trop de rigidité sociale. Car on ignore souvent que les employés de l’automobile font partie des cols bleus les plus choyés outre-Atlantique avec une sécurité de l’emploi, des horaires de travail à l’européenne et un système de santé et de retraite presque à la française.
Les constructeurs américains n’ont pas expatrié leurs usines pour contourner ces rigidités, contrairement à leurs confrères européens…
Les ennuis traversent facilement l’Atlantique
"La faillite de GM serait plus importante que celle de Lehman Brothers", estime Kevin Tynar du cabinet d’Analyse Argus Research : 10% de l’emploi américain dépend de l’industrie automobile. Rappelons que GM en Europe, c’est Opel, et que de très nombreux équipementiers sont impliqués de part et d’autre de l’Atlantique.
Une capacité de production adaptée à la vie à crédit
L’autre vrai problème, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, est rarement évoqué : c’est la surcapacité. La production est adaptée à un niveau de vie à crédit qui permet de changer de voiture tous les deux ou trois ans. Plus personne n’économise pour s’acheter une voiture. On l’achète avec l’argent que l’on gagnera nécessairement demain. Plus de crédit ? On garde sa voiture. Combien de temps ? Le temps qu’il faut, surtout quand on est au chômage. Aujourd’hui une voiture dépasse les 300 000 km sans problème majeur (sauf électronique).
L’avenir de l’automobile n’est pas rose. Profitez du rebond actuel des marchés pour vendre si vous avez conservé des valeurs dans le secteur. La restructuration sera longue et douloureuse. Autre possibilité : des fusions-acquisitions en Europe, qui compte trois fois plus de constructeurs que les Américains. Ce n’est pas impossible, mais la perspective paraît encore lointaine.
Meilleures salutations,
Simone Wapler
Pour la Chronique Agora
(*) Simone Wapler est analyste, journaliste et ingénieur de formation. Elle a déjà contribué à des publications telles que Le Point, Enjeux, Les Echos, Chart’s… Spécialisée dans les valeurs industrielles, les matières premières, les énergies, l’or, les minières Simone Wapler est passionnée par et les investissements "tangibles".
Elle analyse chaque mois le secteur aurifère dans la lettre d’investissement Vos Finances – La Lettre du Patrimoine et elle intervient régulièrement dans l’Edito Matières Premières & Devises ou dans différents rapports d’investissements.
Elle est aussi la rédactrice en chef du magazine MoneyWeek.