Sans retour sur investissement suffisant, le capital n’est pas investi… Ou plutôt, il est investi ailleurs que dans l’économie productive, ce qui affecte l’ensemble de la société.
L’expression « mur d’argent », ou « mur de l’argent » exprimait dans les années 1920 l’opposition des grands capitalistes à toute réforme économique et sociale. Elle fut forgée en 1924 par le radical Edouard Herriot, alors président du Conseil, pour exprimer l’action négative des détenteurs de capitaux face à la montée d’une démocratie ouvrière et du Cartel des gauches.
Ce n’est pas en ce sens que j’ai repris cette expression. Je l’ai forgée pour qualifier la grève du capital, lorsque celui-ci estime que le taux de profit qui lui est offert ne lui parait pas suffisant.
Le capital exige, car il en a besoin pour survivre, un taux de profit moyen compétitif. Si le capital ne se met pas en valeur et ne réalise pas un taux suffisant, il s’étiole et meurt, car les capitalistes sont en concurrence entre eux pour le profit.
Depuis la financiarisation, les choses ont changé. On ne lutte plus seulement pour le profit, mais aussi pour la maximisation du cours de Bourse, du prix, de la valeur boursière.
L’enrichissement des riches à notre époque se fait pour moitié par le profit et pour moitié par la revalorisation boursière, a calculé le McKinsey Global Institute.
Si les occasions d’investir sont jugées insuffisante, on n’investit plus dans les équipements ou la production, on fait de la finance, on spécule, on joue au Monopoly et on fait la grève de l’investissement productif. Au lieu de produire des richesses, on produit des plus-values financières, on joue sur des écarts de prix. L’alchimie boursière joue maintenant un rôle central dans l’enrichissement.
Où est parti le crédit gratuit ?
Dans la cadre de la financiarisation et du pouvoir du capital, les banques centrales aident celui-ci s’enrichir et à maximiser le cours de Bourse par le levier. Elles offrent au capital la possibilité de se racheter lui-même, de racheter ses titres, grâce au crédit gratuit. En pratique, le manager décide de racheter le capital émis, les actions, en utilisant des fonds empruntés gratuitement à la Fed ou à une autre banque intermédiaire.
Suite à cela, le cours de Bourse monte, le capitaliste s’enrichit, et le manager touche un bonus.
La grève du capital revient au même que celle du salarié, qui refuse d’accomplir sa fonction quand il ne gagne pas assez. La différence étant que cette grève du capital passe par la finance et la Bourse, mais est facilitée par la banque centrale qui fournit le crédit gratuit.
La grève du capital est malthusienne, déflationniste. Elle fragilise le système économique, car il se décapitalise et devient moins apte à supporter les aléas.
Et bien sûr, c’est un pillage de la monnaie au détriment des peuples. La monnaie est un bien commun dont on fait ainsi un usage abusif. Dans le passé, les buybacks – nom anglais de ces rachat d’actions – étaient d’ailleurs interdits.
Des rachats records
L’argent tombé du ciel depuis mars 2020 n’a pas servi à investir dans les équipements productifs, il a servi à spéculer et à financer la grève du capital.
Les firmes annoncent cette année des rachat records, au rythme de 220 à 230 Mds$ par trimestre, pour un total annuel approchant des 1 000 Mds$.
Cependant, malgré tout l’argent crée par les banques centrales, les taux zéro, et tous les déficits keynésiens, les autorités s’attendent encore à une poursuite de la stagnation séculaire (cf. graphique ci-dessous). Pourquoi ? Parce que le capital fait la grève, voilà ce que personne ne vous dit.
Et pourquoi le capital fait-il la grève ?
Parce que dépenser ses capitaux pour produire n’est pas assez rentable compte tenu du taux de profit espéré, compte tenu de l’état de la demande et compte tenu du facteur risque.
La suite demain…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]