Pour l’instant, le marché est dominé par le thème des bénéfices. Aucun des grands sujets à un niveau mondial ne semble avoir d’importance. Le chômage ? Qui s’y intéresse ? La dette et les déficits à tous niveaux de gouvernement ? Peu importe. Les entreprises engrangent de juteux bénéfices et le marché sable le champagne.
Mais il y a des raisons de se méfier, comme nous allons le voir…
D’abord, à première vue, nous avons un grand mouvement haussier. Les bénéfices du S&P 500 au quatrième trimestre, à mi-parcours, étaient supérieurs de 17% à ceux de l’année dernière. Fait important, les volumes ont augmenté de 9%. Il ne s’agit donc plus là d’une histoire de réduction des coûts. Presque tout le monde a de bonnes performances, excepté les entreprises de service public et du domaine médical, qui ont enregistré en tant que secteur une baisse de leurs bénéfices. Les compagnies minières et celles du secteur énergétique s’en sortent particulièrement bien, avec une augmentation de leurs bénéfices de plus de 40%.
Les médias ne comprennent pas à quel point ces bénéfices concordent avec un chômage qui reste obstinément élevé. J’ai récemment discuté avec un journaliste à ce sujet. Une raison simple de cette déconnexion de la réalité est que, pour bon nombre de ces entreprises, certaines de leurs meilleures sources de bénéfices proviennent de leurs opérations à l’étranger. Beaucoup de sociétés américaines continuent à réduire leurs emplois, comme Boeing et Lowe’s. Entre temps, les bénéfices en provenance des marchés émergents croissent rapidement.
Naturellement, on trouve de très bonnes performances aux Etats-Unis également. Le secteur industriel américain grimpe en flèche. Caterpillar va consacrer trois milliards de dollars cette année en dépenses d’investissement pour ajouter de la capacité — dont plus de la moitié de cette somme aux Etats-Unis. Emerson affirme qu’il s’attend à ce que les investissements américains non résidentiels croissent de 8%-9%. Eaton, un autre fabricant américain, déclare s’attendre à ce que ses ventes aux Etats-Unis croissent plus vite que ses opérations à l’étranger.
Les ventes de véhicules neufs aux Etats-Unis ont augmenté de 17% en janvier. Nous sommes à un taux de production de 12,6 millions de véhicules, beaucoup mieux que les 10,8 millions de l’année dernière, mais bien en dessous des 16 millions que les fabricants automobiles ont connu avant la crise.
Bref, rien n’est tout blanc ou tout noir. Comme toujours, il faut bien choisir ses valeurs (nous en sommes tous là).
▪ Le grain de sable dans ce bel engrenage est l’inflation.
Elle est clairement présente et a un impact certain. La hausse des coûts génère une forte pression sur certains fabricants. Whirlpool, par exemple, a fait savoir qu’il augmentera ses prix de 8%-10% pour compenser la hausse des prix des matières premières. Tous les secteurs sont concernés. Partout, les prix augmentent.
Nalco Holding, leader mondial dans l’épuration des eaux, a récemment enregistré des bénéfices décevants, largement dus à la hausse des prix des matières premières. A cette nouvelle, l’action s’est massivement vendue.
Mais si on regarde sur le long terme, le besoin mondial d’eau non polluée ne peut que croître. Malgré les effets à court terme de la hausse des prix des matières premières, Nalco devrait être capable pour les prochaines années d’augmenter ses bénéfices par des pourcentages à deux chiffres. C’est une entreprise très solide et qui génère un énorme cash-flow disponible — 185 millions de dollars l’année dernière, pour être exact.
Par conséquent, si des entreprises aussi solides que Nalco ressentent les effets de la montée des prix, alors les entreprises plus modestes à travers le pays doivent elles-aussi en ressentir les effets.
En fait, j’ai récemment été fasciné par un article publié dans le Wall Street Journal intitulé : "De peur de l’inflation, les entreprises augmentent leurs stocks". Le journaliste raconte comment les entreprises constituent des stocks de pneus, de tissus en coton et autres marchandises pour se protéger de l’inflation.
Notons entre autres que l’épicier McCormick a constitué des réserves de certains ingrédients entrant dans la composition de ses épices ; qu’Anton Sport a acheté plus de tissu que nécessaire ; et que Monro Muffler a acheté des pneus et du pétrole en surplus.
Ces achats ne sont encore qu’une petite partie des achats globaux mais c’est une nouvelle tendance et nous n’avions pas assisté à ce phénomène depuis longtemps. Ces dernières années, les entreprises ont essayé de se débarrasser de leurs stocks, pas de les garder.
Mais ce que signifient essentiellement ces agissements est que ces entreprises préfèrent détenir des actifs physiques plutôt que du cash.
Et ce n’est qu’un début. Alors que l’inflation est là et que tout le monde semble la voir, les banquiers centraux des Etats-Unis et de l’Europe semblent ne pas se sentir concernés. Naturellement, ils ont tous les encouragements pour continuer à laisser fonctionner la planche à billets.
Selon les économistes Joshua Aizenman et Nancy Marion, l’inflation a fait la moitié du travail de réduction de la dette gouvernementale américaine : de 1945 à 1973, elle est passée de 122% de l’économie à 25%. Par conséquent, le gouvernement américain étant empêtré dans ses dettes qu’il ne peut jamais rembourser, la solution est de déprécier la monnaie : laisser la planche à billets ronronner et maintenir des taux d’intérêt faibles.
Naturellement, imprimer tant d’argent peut provoquer de grands accidents monétaires. Comme l’avaient prévenu des économistes autrichiens, le nouvel argent stimule l’investissement mais crée une illusion. C’est comme donner des signes que le réservoir d’essence est plein alors qu’en réalité il est quasiment vide.
Ces politiques d’argent facile ont été à l’origine de la grande bulle immobilière. Les politiques d’argent facile actuelles créeront elles aussi une énorme bulle, qui augure du fiasco de demain.