Excès de liquidité bancaire, bulles sur les actifs financiers, sursouscriptions massives sur les dettes souveraines… Tous les signaux pointent vers une politique monétaire que l’on ne peut plus qualifier d’accommodante, mais bien d’exubérante.
On lit et entend encore beaucoup de choses sur la politique monétaire. Ce sujet continue de mobiliser nombre d’économistes, d’analystes et d’investisseurs, principalement autour des débats récurrents sur le caractère approprié ou non de la politique monétaire d’un pays (ou d’une zone monétaire), en fonction notamment de l’évolution du « couple » inflation-croissance. Dans le langage académique des économistes, on parle classiquement de politique monétaire restrictive, neutre ou accommodante.
Dans ce papier, nous montrerons que les politiques menées par les grandes banques centrales – en particulier la BCE, dans le cadre de cette analyse – s’inscrivent, sur les quinze dernières années, dans une tendance globalement bien plus qu’accommodante. Elles sont, selon nous, de nature à favoriser la récurrence des crises financières et à entretenir un fort potentiel inflationniste, qu’il s’agisse des actifs financiers ou des biens et services. Il ne suffit pas, pour s’en convaincre, de se fier aux corrections boursières, même violentes, ou aux indices de prix officiels qui marquent ici ou là une décélération.
Nous parlerons donc ici d’une politique monétaire exubérante.
Pour juger du caractère approprié d’une politique monétaire, il convient d’abord d’analyser l’état de la liquidité, tant en termes de prix que de volume.
Neutralité de la politique monétaire au regard du prix de la liquidité
Cela revient à revenir sur la fameuse notion de taux neutre.
Comment caractériser une politique monétaire neutre ? Généralement, le taux d’intérêt neutre ciblé par les autorités monétaires fait référence à la règle de Taylor. Ce taux doit être positivement corrélé à la différence entre l’inflation actuelle et la cible d’inflation, ainsi qu’à l’écart entre la croissance actuelle et la croissance potentielle.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Par exemple, lorsque le taux d’inflation actuel ou « anticipé » est supérieur à la cible d’inflation de la banque centrale (inflation maximum tolérée par la banque centrale), alors, toutes choses égales par ailleurs, la banque centrale aura tendance à augmenter son taux d’intérêt pour tenter de contrôler l’inflation.
Le raisonnement est le même pour le différentiel de croissance : si la croissance actuelle (variation du PIB réel) est supérieure à la croissance potentielle (c’est-à-dire la variation du PIB maximale qui pourrait être réalisée grâce à la pleine utilisation des facteurs de production disponibles), alors une banque centrale aura tendance, toutes choses égales par ailleurs, à augmenter les taux d’intérêt pour calmer les pressions inflationnistes et éviter une surchauffe de l’économie.
Si l’on s’accorde sur ces définitions de la neutralité de la politique monétaire au regard du couple inflation-croissance, et à condition de mesurer correctement les anticipations d’inflation ainsi que la productivité des facteurs de production – ce qui peut donner lieu à de longs débats entre spécialistes –, alors il devient possible de déterminer, de manière relativement objective, si, à un instant donné, la politique monétaire d’une banque centrale est restrictive ou accommodante.
Ainsi, une politique monétaire peut être considérée comme restrictive du point de vue des taux directeurs (jugés anormalement élevés) lorsque l’inflation anticipée est inférieure à la cible fixée par la banque centrale et/ou lorsque la croissance observée est inférieure à la croissance dite potentielle de l’économie.
Symétriquement, une politique monétaire sera qualifiée d’accommodante si les taux directeurs sont anormalement bas alors que l’inflation anticipée dépasse la cible de la banque centrale et/ou que la croissance actuelle excède le potentiel estimé de l’économie.
Ainsi, lorsque des analystes ou des économistes affirment que les conditions monétaires et financières sont restrictives, cela revient à dire qu’un grand nombre d’agents économiques évoluent dans un environnement de taux excessivement élevés – ce qui peut se discuter – et de liquidité réduite – ce qui, comme nous le verrons, est encore plus discutable.
Neutralité de la politique monétaire au regard du volume de liquidité
Nous avons tenté d’évaluer la neutralité de la politique monétaire sous l’angle du prix de la liquidité, à travers la notion de taux neutre.
Mais qu’en est-il de cette neutralité du point de vue du volume de liquidité effectivement alloué par la banque centrale ? Comment observer et mesurer concrètement cette liquidité ?
Nous désignerons cette liquidité globale par l’acronyme LIQ. Elle peut être définie comme la différence entre, d’une part, les dépôts des banques commerciales auprès de la banque centrale (ce que les banques prêtent à celle-ci), et d’autre part, leurs refinancements auprès de la banque centrale (ce que les banques empruntent).
Si cette différence LIQ est positive, cela signifie qu’il existe un excédent de liquidité dans le système bancaire du pays ou de la zone monétaire considérée. A l’inverse, une valeur négative de LIQ indique un déficit de liquidité.
Nous ne portons pas ici de jugement sur la supériorité d’une situation par rapport à l’autre du point de vue de l’économie réelle, car il n’existe pas de réponse simple ou binaire à cette question.
Un excédent élevé de liquidité peut sembler rassurant quant à la stabilité du système bancaire, mais il peut aussi être inquiétant en ce qu’il suggère une circulation sous-optimale de la liquidité dans l’économie, ainsi qu’un financement insuffisant du secteur privé.
Comment caractériser les refinancements des banques auprès de la banque centrale ?
Les opérations d’open market traditionnelles (la règle dans le monde d’avant 2008-2009) sont des opérations régulières menées par la banque centrale pour refinancer les banques, et ainsi piloter le niveau de la liquidité sur le marché interbancaire. Le taux auquel sont réalisées ces opérations se nomme le taux directeur central (taux de référence avec lequel vont être corrélés les taux courts du marché monétaire).
Dans le monde d’avant 2008, la règle consistait en des opérations principales de refinancement par appels d’offres hebdomadaires à une semaine (les MRO, pour Main Refinancing Operations). Les liquidités étaient alors fournies en quantité limitée, contre apport de collatéral en garantie, au taux REPO. Il s’agissait là du mode de fonctionnement normal des relations entre la banque centrale et les banques commerciales.
On rappellera toutefois que la phase d’expansion monétaire massive (au-delà des programmes de rachats d’actifs publics et privés) a également consisté à prêter davantage aux banques, et pour des maturités de plus en plus longues, les seuls MRO ne suffisant plus à assurer la stabilité du système. Pour sécuriser la liquidité des banques, des dispositifs exceptionnels ont été mis en place, tout en conservant dans leur sigle le « RO » des traditionnels MRO :
- LTRO pour Long Term Refinancing Operations ;
- VLTRO pour Very Long Term Refinancing Operations ;
- TLTRO pour Targeted Long Term Refinancing Operations.
Certes, le remboursement par les banques de l’ensemble de ces refinancements exceptionnels – les derniers TLTRO étant arrivés à échéance en juin 2024 – a quelque peu réduit les excédents de liquidité dans le système. Il n’en reste pas moins que, du point de vue de la liquidité en volume, la politique monétaire n’est ni redevenue restrictive, ni même neutre. Elle demeure, au contraire, ultra-accommodante.
Nous parlerons donc ici de politique monétaire exubérante, et nous verrons pourquoi, données historiques à l’appui.
À côté de ces opérations d’open market classiques, il existe, toujours dans le cadre du fonctionnement « normal » de la politique monétaire, ce que l’on appelle les facilités permanentes. Ces opérations sont accessibles à tout moment aux banques (à la différence des appels d’offres hebdomadaires ou mensuels). Elles prennent la forme de prêts au jour le jour accordés par la BCE, contre actifs éligibles en garantie, et rémunérés au taux plafond des taux directeurs : ce sont les facilités de prêt marginal.
Dans ce cadre, les banques ne rencontrent aucune limite d’accès, hormis l’exigence de fournir suffisamment de garanties.
On comprendra néanmoins que ces facilités de prêt marginal sont tombées en désuétude depuis plus de dix ans, en raison de l’absence de besoin de liquidité additionnelle : les dispositifs exceptionnels mentionnés plus haut ayant en effet conduit à une situation de surliquidité dans le système bancaire.
1 commentaire
C’est bien cette sur-liquidité qui éteint toute possibilité d’obtenir un couple rendement/risque satisfaisant quand on dispose soi même de plus de monnaie que ce que l’on dépense.
A lire et écouter les conseilleurs , il faudrait être long sur le risque pour s’en sortir , mais à part la lecture du rétroviseur, que serait un taux de référence attractif dans une situation globale bien moins attractive que celle de 1985 : moins que les 2,5% actuels ou plus que les 10% de l’époque ?