▪ Curieux scénario que celui observé en Europe et à Wall Street ces dernières 48 heures… Les indices américains avaient reperdu dès la mi-séance ce qu’ils avaient gagné lundi (environ 1%), leur performance s’avérant déjà nettement inférieure à celle l’Euro-Stoxx 50.
Nous avions joué les naïfs hier. Nous nous étonnions des 1,85% gagnés par les places européennes à l’issue d’une séance ne comportant aucune statistique officielle… aucune publication de trimestriels durant les heures d’ouverture des marchés… aucun signe de raffermissement du dollar. A noter que ce dernier continuait de se déliter mardi tandis que le pétrole se hissait au-dessus des 80 $/baril sur les marchés asiatiques.
La surprise n’a pas été bien grande lundi soir en découvrant les résultats époustouflants d’Apple au troisième trimestre. Les profits sont en hausse de 46%, le chiffre d’affaires approche les 10 milliards de dollars ; tout cela est bien au-delà du consensus des analystes — de presque 30% pour les bénéfices.
Ces mêmes analystes soulignent avec ravissement que les résultats publiés depuis 10 jours sont supérieurs à leurs estimations dans 75% des cas. Nous les soupçonnons cependant fortement (et nous ne sommes pas les seuls) de pratiquer le double langage…
Pour enfoncer le clou avec le cas Apple : de nombreux partenaires et revendeurs ne cessent de faire état du succès de l’iPhone et de la dernière génération de portables. La jeunesse japonaise et chinoise (celle qui dispose d’un pouvoir d’achat décent) est véritablement fan du logo à la pomme, et les exportations explosent.
Les salariés californiens d’Apple — les seuls à ne pas trembler pour leur emploi — étaient majoritairement conscients de l’embellie survenue au troisième trimestre. Autrement dit, tout le monde savait que les chiffres seraient excellents — sauf les analystes de Wall Street, qui collectionnent tous les gadgets électroniques à la mode… mais s’attendaient à ce qu’ils soient simplement "bons".
Ca, c’est le discours officiel destiné au public non averti. En interne, la recommandation délivrée auprès des gérants est à "achat fort" depuis des mois. Sans cela, le titre n’aurait pas grimpé de plus de 100% en sept mois pour tutoyer les 200 $. Les attentes véritables des opérateurs se situaient entre 1,5 $ et 1,9 $ (1,82 $, c’était dans le haut de la fourchette). Ceux qui prétendent avoir parié sur 1,4 $ se seraient alignés sur des prévisions de la firme (1,35 $) qu’ils savent volontairement conservatrices.
▪ L’attitude globale des investisseurs, qui affichent un fort appétit pour le risque depuis trois mois, démontre que les espérances en termes de profits sont très élevées. Elles sont également largement en avance sur le cycle de reprise — si jamais il voit le jour. Jamais une hausse globale de 60% à 70% des indices américains, même au bout de 12 à 15 mois, n’a été observée après un épisode de récession aussi brutal.
Pour juger de sa sévérité, il suffit de jeter un oeil aux trimestriels de Caterpillar. Le chiffre d’affaires a chuté de 44% à 7,29 milliards de dollars, contre 7,47 milliards de dollars anticipés. Cela n’empêche pas le titre de s’envoler de 10% en 48 heures !
L’explication est toute simple : les opérateurs découvrent, stupéfaits, que les profits sont 10 fois (vous lisez bien, 10 fois) supérieurs aux prévisions, à 404 millions de dollars, soit 64 cents par action (au lieu de 0,06 $ anticipé)… Il faut toutefois comparer cela aux 868 millions de dollars de bénéfices (1,39 $) engrangés un an auparavant.
Nous n’allons pas de nouveau jouer les naïfs et feindre de nous ébahir devant cette divine surprise. Les financiers du groupe ont réalisé un travail d’artiste pour dégager un profit d’une ampleur inespérée… Bel exemple d’optimisation du "haut de bilan" !
L’essentiel du résultat de l’équipementier résulte de la prise en compte d’une base de taxation beaucoup plus favorable. Autrement dit, même en cas de rebond de l’activité — ce qui ne saurait manquer de survenir grâce aux plans de relance de grands travaux sur le sol américain — Caterpillar ne va pratiquement payer aucun impôt en 2009.
Le groupe profite également des économies réalisées sur la masse salariale (licenciements et chômage technique) et plus opportunément d’un "effet stock" positif à hauteur de 0,16 $ par titre. Cela représente tout de même un bon quart du bénéfice qui ne doit rien à personne puisqu’il suffit d’inscrire arbitrairement le chiffre qui va bien !
Mais attendez, il y a encore plus subtil. La direction, qui communique sa première prévision pour 2010, escompte une croissance de 10% à 25% du chiffre d’affaires par rapport aux niveaux constatés à la fin du premier semestre 2009.
Cette base de comparaison est supérieure à celle du troisième trimestre. Cela signifie qu’en cas de croissance de 10% (au bas de la fourchette), le chiffre d’affaires pourrait en réalité tout aussi bien stagner ou ressortir en baisse l’an prochain. Soyons clairs : nous ne croyons pas à cette hypothèse… mais nous voulions vous démontrer qu’un second niveau de lecture s’impose !
▪ Par ailleurs, "l’effet Caterpillar" (+0,5% en quelques secondes sur les indices américains en préouverture mardi midi) été complètement occulté par la déception relative aux chiffres des mises en chantier de logements neufs aux Etats-Unis en septembre.
Attendus en forte hausse (+2,5%), ils n’ont progressé que de 0,5%. Les dépôts de permis de construire rechutent de 1,2% au lieu de confirmer les +2,8% du mois d’août. Cet essoufflement n’était pas du tout anticipé, tant le scénario de la reprise en "V" rassemble un large consensus.
L’augmentation des saisies suivies de ventes aux enchères serait responsable d’une nouvelle panne du marché du neuf. Il y a tellement de biens de seconde main à prix cassés sur le marché que le neuf suscite peu d’engouement.
C’est là une réelle déception pour l’administration Obama, qui offre une déduction fiscale de 8 000 $ aux primo-accédants dans l’un des volets du plan de relance qui doit théoriquement se refermer en novembre. Cela n’a pourtant pas déclenché de vague d’achat avant la date d’expiration de la mesure.
Explication : les banques ne sont pas prêteuses. Elles regardent d’abord les sommes figurant sur le compte en banque ; elles se montrent très exigeantes sur le niveau des revenus, beaucoup moins sur le taux marginal d’imposition.
Et pour déduire 8 000 $, il faut déjà toucher un bon salaire… Les acheteurs potentiels correspondant à ce profil sont très majoritairement déjà propriétaires — ou présentent une allergie incoercible (et parfois salutaire) à toute forme d’endettement encouragé par l’Etat ou les établissements de crédit.
▪ Le S&P 500 (-0,6%) a été logiquement plombé par le recul des constructeurs hier. Pulte Homes a chuté de 5,1%, Hovnanian de 4,7%, Lennar de 2,85%.
Un sentiment diffus pourrait commencer à troubler la sérénité de Wall Street : le sempiternel "meilleur que prévu" ne suffit plus à faire oublier que des résultats positifs ne traduisent toujours pas de véritable reprise économique aux Etats-Unis.
A force de sous-estimer les performances financières des entreprises, les analystes perdent en crédibilité… même si beaucoup de profits "inattendus" proviennent d’optimisations fiscales ou d’artifices comptables.
La vague de révisions à la hausse d’objectifs de cours depuis la mi-septembre s’apparente de plus en plus à une surenchère stérile. En effet, les dernières statistiques démentent l’embellie conjoncturelle que Wall Street a feint jusqu’à présent de croire acquise… contre l’avis d’une immense majorité d’épargnants américains.