▪ Le diagnostic d’une « dette hors de contrôle », émanant d’une commission parlementaire grecque, ne serait qu’une grosse « gaffe » selon Evangelos Venizelos, le ministre des Finances. Cela nous comble d’aise. Non que la riposte de M. Venizelos nous rassure au sujet de la capacité de son gouvernement à rétablir la situation… mais nous apprécions qu’il qualifie ceux qui font éclater la vérité au grand jour de « gaffeurs ».
A la Chronique Agora, nous pouvons désormais revendiquer le titre de « plus grands gaffeurs » parmi les analystes de l’actualité économique qui publient leurs études sur Internet !
Nous avions furieusement gaffé au sujet de la bulle des dot.com en 2001 et 2002. Nous avions récidivé avec la bulle immobilière américaine, puis enfoncé le clou avec la bulle boursière gonflée à bloc par le quantitative easing en 2009 et 2010.
Nous avons encore gaffé sans vergogne avec la crise des dettes souveraines, puis avec les campagnes de dénigrement systématique de la Zone euro par les Nuisibles Anonymes. Et que dire de notre entêtement à privilégier le métal précieux au détriment des placements obligataires ou en actions depuis 2003 !
En fait, notre façon de gaffer se matérialise plus précisément sous la forme suivante : « faites gaffe »… aux mensonges officiels, à la pensée unique, à l’imposture des marchés efficients, aux robots de trading algorithmique, aux mouvements de troupeaux initiés par des bergers mal intentionnés et qui mènent ceux qui les suivent à l’abattoir.
▪ La « gaffe » des parlementaires athéniens ne manque pas de relancer les spéculations sur l’éviction de la Grèce de la Zone euro. Cela ne va pas arranger les affaires politiques de Mme Angela Merkel à quelques mois des élections.
Certes, elle a freiné des quatre fers chaque fois qu’il a été question de faire un chèque en faveur des pays périphériques de la Zone euro (et de la Grèce en particulier). Toutefois, ses adversaires ne manqueront pas de souligner qu’elle a encore trop cédé face à l’insistance de Nicolas Sarkozy et au lobbying mené par J.-C. Trichet.
Après accompli son devoir d’acheteur en dernier ressort des émissions du Trésor grec pendant 18 mois, il s’est employé depuis janvier dernier à convaincre les Etats européens de contribuer au renforcement immédiat d’un fonds de secours. Ce dernier serait doté de moyens susceptibles de dissuader la spéculation de s’attaquer à tel ou tel pays suscitant la défiance des créanciers.
Une majorité d’Allemands ne veut pas verser un euro dans ce tonneau des Danaïdes.
Pour exprimer la chose plus brutalement, et pour reprendre une allégorie montagnarde que nous avons déjà exposée, la cordée européenne est en grande difficulté.
La Grèce, qui s’abstenait de marcher prudemment dans la trace du guide germanique, a vu son indiscipline sanctionnée par l’effondrement d’un pont de neige (confiance des marchés) sous ses pieds.
Alors le choix qui se pose est simple. Soit la cordée enfonce les piolets dans la neige, sécurise l’équipe avec une ou deux broches à glace supplémentaires et joint ses efforts pour extraire la Grèce — tétanisée et incapable du moindre mouvement — de la crevasse.
Soit on coupe la corde !
Ceci fait, les survivants poursuivent leur course vers le sommet, parce que ce qui importe le plus, c’est de planter le drapeau de la rigueur budgétaire sur le toit du monde économique.
Le second terme de l’alternative décrite ci-dessus, c’est, de façon un peu caricaturale, celle adoptée par l’opposition allemande depuis deux ans.
En tant qu’ex-montagnard — et peut-être Nicolas Sarkozy a-t-il lu quelques récits de guides qui ont vécu des heures de gloire mais aussi des heures tragiques –, je n’aimerais pas être chargé de faire le compte-rendu de la fin de l’ascension auprès de la famille européenne.
« Nous avons dû sacrifier le Grec pour garantir le succès de l’expédition. Malheureusement, 200 mètres plus haut, le Portugais s’est tordu la cheville ; nous avons dû achever ses souffrances. A moins de 500 mètres du sommet, c’est l’Italien et l’Espagnol qui sont tombés d’épuisement. Nous les avons détachés et laissé la gravité faire son oeuvre : ils ont dévalé le glacier jusqu’à la moraine terminale ».
Et de poursuivre : « le Français, abattu moralement, a fini par faire demi-tour en compagnie du Belge, de l’Autrichien et du Slovène, bientôt suivis par d’autres. C’est une équipe 100% germanique et nordique (la Finlande se proposant comme premier de cordée) qui a tenté l’assaut final. Mais elle a été contrainte de renoncer à 150 mètres du but, pour cause de brouillard économique trop épais et de températures quasi polaires sur les marchés ».
Résultat de la course : 4 morts (les PIGS), une quinzaine d’alpinistes traumatisés psychologiquement, une poignée d’athlètes indemnes mais vaguement déçus (et qui ne sont pas prêts de se trouver des compagnons de cordée pour une prochaine course en haute montagne).
De notre point de vue, un hymne à l’égoïsme qui se solde par un gâchis intégral ; une faillite morale dont l’Europe mettrait un siècle à se remettre.
Mais ce n’est que l’avis d’un montagnard amateur… et gaffeur impénitent.
▪ Pour en revenir au quotidien des marchés, la semaine ne se présente pas trop mal pour les investisseurs qui ont misé sur le scénario du pire n’est jamais certain. A la clôture de la séance de jeudi, le CAC 40 (+0,3% après bien des hésitations) affichait un gain hebdomadaire de 5,8%. Le Nasdaq engrangeait 4%, qui s’ajoutaient aux 6% repris la semaine passée.
Sur la quinzaine écoulée, les places européennes affichent encore un handicap spectaculaire par rapport à Wall Street, de l’ordre de -5% à -7%.
Depuis le 1er janvier, c’est encore plus saisissant : le Dow Jones est à l’équilibre (+0,5%, à 11 650 points), le Nasdaq perd 2,5%. L’Euro-Stoxx 50 perd quant à lui 17,5% — sachant qu’il avait repris opportunément 2,75% la veille, ce qui lui avait évité de terminer le mois d’août au-delà des -20%.
Nous persistons à penser que le différentiel de performance de part et d’autre de l’Atlantique a vocation à se réduire — disons de moitié. Cela suffirait à notre bonheur si le CAC 40 revenait par exemple au contact des 3 400 points puis des 3 500, tandis que le Nasdaq se maintiendrait entre 2 575 et 2 625 points, et le Dow Jones entre 11 600 et 11 750 points.
▪ Le mois de septembre démarrait sous de bien sombres auspices : l’indice PMI de l’activité industrielle en Zone euro replonge au plus bas depuis l’automne 2009. Cependant, les acheteurs ont repris la main en fin d’après-midi, après la publication d’un bon indice ISM manufacturier aux Etats-Unis ; il se maintient au-dessus du seuil technique des 50.
Ça, c’est pour la bonne nouvelle du jour. En revanche, la productivité américaine a décliné deux fois plus rapidement qu’estimé initialement au deuxième trimestre 2011(elle ressort à -0,7% au lieu de -0,3%), alors que les coûts salariaux ont bondi de 3,3%. C’est une hausse comparable à l’inflation réelle, supérieure aux +2,2% annoncés il y a un mois.
Pour l’heure, le marché n’entend plus les mauvaises nouvelles et les actions remontent, nous n’allons pas le déplorer.
Mais là encore, nous pouvons tenter une analogie avec l’univers alpin : de grosses masses de neige (comprendre : de signaux conjoncturels alarmants) se sont accumulées au sommet des crêtes, poussées par les vents mauvais ces dernières semaines.
L’avalanche de la mi-août est loin d’avoir tout purgé. D’autres peuvent encore se déclencher, sans oublier les chutes sporadiques de pierres (comme Eiffage avec ses -18% jeudi).
Heureusement, il fait encore nuit et les températures restent fraîches. L’ascension actuelle peut se poursuivre sans danger, tout du moins dans l’immédiat. Attention par contre lorsque le soleil commencera à lécher les surplombs neigeux : à la moindre vibration, au moindre éternuement, toutes ces masses instables risquent soudain de se décrocher.
Oui, c’est bien lorsque nous verrons réapparaître le soleil qu’il conviendra de nous méfier !
1 commentaire
«La Grèce, qui s’abstenait de marcher prudemment dans la trace du guide germanique, a vu son indiscipline sanctionnée par l’effondrement d’un pont de neige (confiance des marchés) sous ses pieds.»
On lui a imposé un plan d’austérité suicidaire pour son économie, sa croissance et le bien être de sa population. Sérieusement, ils auraient mieux fait de juste menacer de ne pas payer, point… C’est un argument dans la balance par les temps qui courent.
Pour le reste, un état souverain qui doit se sortir d’un marasme économique peut pratiquer des saisies arbitraires, par exemple sur les sites des entreprises qui délocalisent, etc. Il peut augmenter les impôts de ses ressortissants les plus riches, y compris résidant à l’étranger: c’est une pure question de lois. Etc.
Rien qu’en nationalisant arbitrairement tous les services les plus lucratifs (eau, électricité, routes…) et en envoyant paitre les actionnaires (désolé, votre patrimoine boursier vaut zéro, au revoir et bonne journée), il y a beaucoup à gagner.
Alors, certes, ensuite, plus possible d’emprunter sur les marchés. Oh la elle jambe, ils ne le peuvent dores et déjà plus…
A tout perdre, je ne vois vraiment pas pourquoi ils s’entêtent à faire semblant d’être solvables. De toutes façon, aucun état ne l’est! Justement parce qu’ils ne sont pas souverains… Mais c’est une autre question.