▪ L’année 2010 débute par un bang supersonique. Il fait écho aux détonations des milliers de fusées tirées en l’honneur du plus haut building de la planète (828 mètres et 160 étages), le Burj Dubai, symbole de la démesure des projets immobiliers de l’émirat éponyme.
Cette flèche de verre et de béton, deux fois plus haute que le plus haut bâtiment trônant sur le continent nord-américain aurait été commercialisée à 90%, selon un communiqué officiel. La réalité est que de nombreux promoteurs ont effectivement préempté des milliers de mètres carrés durant l’hystérie spéculative de 2006/2007 en espérant faire la culbute… mais il se chuchote avec insistance que les acheteurs finaux restent aux abonnés absents.
Ce problème est hélas récurrent pour la seconde « île-palmier », baptisée Jumeirah. Il en va de même pour les 300 îlots de l’archipel The World… alors que les travaux de construction sont désormais totalement à l’arrêt !
Cette petite parenthèse permet de mettre en lumière les dangers du principe consistant à mettre la charrue avant les boeufs… à booster la hausse les indices boursiers avant la matérialisation de la reprise économique… et à reconduire à la tête de la Fed un Ben Bernanke avant qu’il n’ait manifesté sa capacité à tirer des leçons de ses erreurs du passé.
▪ Sans parler de bang supersonique à propos du président de la Fed, son second mandat débute tout de même sur une déclaration tonitruante : « les taux bas ne sont pour rien dans la formation de la bulle immobilière qui éclata en 2007, c’est la régulation du marché du crédit qui fut déficiente ».
Bernanke reste logique avec lui-même : puisqu’il n’a jamais identifié la moindre bulle qui ait pour origine une politique monétaire laxiste et une création monétaire galopante, il rejette donc la responsabilité de la crise systémique de 2008 sur le législateur.
Mais dans ce grand élan d’auto-absolution, il oublie que lui-même et son mentor — Allan Greenspan — ont multiplié les écrits et les déclarations véhémentes pour dissuader le Congrès US et la Maison Blanche d’élaborer le moindre projet de loi visant à réglementer l’industrie du crédit, ou celle de la titrisation, ou encore les marchés de gré à gré portant sur des dérivés de créances de toutes natures.
Cela dit, il ne faut effectivement pas accorder aux taux d’intérêt plus de pouvoir qu’ils n’en ont sur la marche de l’économie. 15 années d’argent gratuit n’ont jamais réussi à relancer la croissance au Japon et 15 mois de hausse des taux (2006/2008) n’ont jamais réussi à soutenir la couronne islandaise.
Mais dans ce cas, nous décelons une légère contradiction dans la justification de la hausse inexorable des indices boursiers. Leur future progression serait garantie par le maintien d’une politique monétaire « accommodante », même si la reprise demeure lente et frappée du sceau de l’incertitude.
Autrement dit, les marchés affirment que même si la croissance devait connaître des ratés (ou ne pas exister, comme à Singapour qui vient de connaître une contraction de 6,8% de son PIB au quatrième trimestre 2009), les actions vont continuer à grimper mécaniquement. Pourquoi ? Parce que la surabondance de liquidités doit bien aboutir quelque part, de préférence sur des instruments de spéculation qui rapportent plus que les 0,05% offerts par les Fed Funds (taux US au jour le jour) ce 5 janvier.
▪ La première séance de l’année 2010 constitue déjà une sorte de quintessence des neuf derniers mois de 2009. On comptait 95% d’optimistes parmi les investisseurs présents (et 5% d’indécis) ; confrontés à deux statistiques économiques contradictoires, ils ont privilégié de façon totalement univoque celle qui leur apportait confiance et réconfort.
Cette nouvelle année commençait par un lundi… et Wall Street apprécie particulièrement les lundis : il tombe rarement de mauvaises nouvelles à l’occasion de la première séance de la semaine car dans 80% des cas, aucune statistique n’est inscrite à l’ordre du jour aux Etats-Unis.
De fait, 12 des 14 lundis qui se sont succédé depuis le 5 octobre se sont soldés par des hausses, parfois très fortes. Il n’y a eu que deux exceptions, et encore… puisque les indices américains n’ont abandonné respectivement que 0,25% et 1,25%, après avoir rouvert en hausse dans les deux cas.
En ce premier lundi de janvier, nous avons assisté à un feu d’artifice de hausses et de records. L’indice Dow Jones a bondi de 1,5%, à 10 584, le S&P 500 de 1,6%, à 1 133. Le Nasdaq Composite, littéralement euphorique, s’est envolé de 1,73% à 2 308,4 avec 90% de ses composantes en progression.
En Europe, c’est Paris qui a bénéficié du plus beau bouquet final avec un gain de 2%, contre 1% en moyenne durant les six premières heures de la séance.
▪ Le CAC 40 clôture au-dessus des 4 000 points pour la première fois depuis le 3 octobre 2008. C’est comme si le krach Lehman/AIG n’avait jamais existé — ni la hausse vertigineuse des déficits, ni celle du chômage !
Le CAC 40 vient même de rejoindre ses planchers du 15 juillet 2008, seuil testé avant la faillite de Freddie Mac et Fannie Mae. Il n’est plus très loin des 4 061 points, un niveau qu’on n’avait plus revu depuis la mi-mai 2005.
Et si l’indice venait de déborder les 4 000 points à l’époque, c’est que l’économie affichait déjà plus de 3% de croissance depuis un an. Par ailleurs, la bulle immobilière avait commencé de gonfler démesurément, créant un sentiment de richesse factice qui euphorisa Wall Street durant encore plus de deux ans.
Une hausse des actions françaises supérieure à 63% en neuf mois n’intrigue pas les opérateurs, bien au contraire. Le clan des haussiers s’enrichit chaque jour de nouveaux supporters du scénario de la hausse inexorable et irréversible du CAC 40.
L’objectif des 4 300 points qui rassemblait depuis longtemps un vaste consensus de chartistes (il s’agit d’un seuil correspondant à 50% de retracement de la grande baisse d’octobre 2007 à mars 2009) apparaît désormais comme une évidence à tous ceux qui ont assisté — sans y participer — au débordement des 3 900 la veille de Noël.
Maintenant que les 3 935 points sont franchis, après les deux fausses notes des 30 et 31 décembre, le concert haussier devient uniforme. Si tout le monde devient acheteur, il faut bien que le potentiel de gain soit d’au moins 10% — pour compenser un risque de baisse dont nul n’ose chiffrer l’ampleur tant les écarts sont devenus abyssaux.
▪ Nul ne s’étonne que le CAC 40 ait pu reprendre autant de terrain en moins de 180 séances. Il en avait pourtant fallu plus de 500 pour réaliser la même performance de mars 2003 à juillet 2005… alors que ni le système bancaire international ni aucun Etat de l’Europe ou du continent nord-américain n’étaient à l’époque au bord de la faillite.
Plus c’est invraisemblable, plus les investisseurs avancent d’explications qui rendent la chose plausible… Plus les mises en garde semblent logiques, plus le sentiment symétrique d’invincibilité constitue une incitation à prendre des risques insensés.
Peut-être qu’avec une vitesse ascensionnelle suffisante, les investisseurs espèrent que la bulle des actions franchira le mur de l’absurde au lieu de s’écraser dessus… Toutefois, la tour Burj Dubai démontre qu’en la matière, « le ciel est la seule limite ».