▪ Mais qui a permis une intrusion du monde réel dans la machine à transformer le virtuel pur en cash ?
Initialement, l’arrivée de l’ouragan Sandy ne devait pas provoquer la fermeture intégrale de Wall Street comme le 27 septembre 1985 lors du passage de l’ouragan Gloria : ça cotera, électroniquement, mais ça cotera nous expliquait le NYSE… sauf si le réseau électrique nord-américain devait rendre l’âme (mais l’expérience l’a prouvé, vu la vétusté des lignes à haute tension, il n’y a même pas besoin d’ouragan pour cela).
En définitive, ça ne cotera pas ; les ordinateurs du NYSE resteront en mode « veille », pas seulement ce lundi mais également demain.
Les hommes en veste orange, vert pelouse, rouge pompier et jaune canari qui s’agitent dans les salles de cotation du bâtiment de Wall Street sont priés de rester chez eux. De toute façon, la plupart d’entre eux n’auront guère le choix : tout le réseau métropolitain et les lignes de banlieue de New York sont fermés depuis ce lundi matin jusqu’à mardi, ainsi que la plupart des ponts et des tunnels.
Pour ceux qui avaient planifié des rendez-vous ou des réunions sur la Côte est aujourd’hui, les agendas se trouvent libérés car le trafic aérien est interrompu pour 36 heures et 8 000 vols sont annulés.
Cela fait la une de pratiquement tous les médias américains, quelle aventure prodigieuse ! Nous étions à Hong Kong il y a deux mois et nous avons pris l’un des derniers vols avant la fermeture l’aéroport de Chep Lap Kok pour 24 heures, avec l’arrivée d’un cinquième typhon en l’espace de 15 jours.
Cela arrive plusieurs fois par an, voire plusieurs fois par mois durant l’été… et cela fait à peine l’objet d’un entrefilet dans les journaux : la plupart des commerces tirent les rideaux de fer, la bourse et les bâtiments officiels ferment leur portes, les voyageurs sont priés de rester à l’abri dans leurs chambres ou dans les salles équipées de volets anti-tempête (qui résistent aux débris de toute sorte projetés par des rafales à 180 km/h).
Et puis dès que les vents retombent, la vie reprend son cours, tandis que les services de la voirie et les camions poubelle finissent de nettoyer les rues.
New York se prépare à affronter une montée des eaux qui pourrait atteindre 2,50 mètres et pas moins de 375 000 personnes résidant en zone inondable ont été évacuées… mais pour les médias américains, le fait marquant de cette journée, c’est Wall Street qui restera portes closes.
Les échanges physiques seront donc suspendus sur le floor lundi à la Bourse de New York : la séance se déroulera uniquement via les échanges électroniques sur la plate-forme du Nasdaq. Ce sera la même chose sur le NYMEX ; quant au baril de pétrole, il sera coté uniquement par le biais des ordinateurs et des écrans tactiles… ce qui ne va pas changer grand-chose sur ce marché où la présence humaine est devenue largement folklorique.
▪ Une excuse toute trouvée !
Qu’il s’agisse d’un cyclone ou d’un ouragan, voilà encore une bonne excuse pour justifier la stagnation des indices américains, au prétexte qu’en de telles circonstances, les opérateurs ne peuvent que se borner à expédier les affaires courantes… et attendre que tout rentre dans l’ordre mercredi avant de reprendre des initiatives.
Les investisseurs considèreront certainement qu’il ne sert à rien de s’exposer à 48 heures des chiffres de l’emploi et qu’il devient plus que jamais urgent d’attendre. Nous ne sommes plus très loin de partager l’avis de ceux qui soutiennent que Wall Street n’ira nulle part d’ici le 7 novembre au matin, c’est-à-dire le lendemain de la présidentielle.
Vu la stagnation des indices américains vendredi soir après plusieurs heures de molle consolidation, personne ne veut prendre le risque d’un pari directionnel. Depuis plus de six semaines, il est clair que l’audace ne paie pas, mais cela pourrait bien finir par devenir le cas : nous constatons que la volatilité a cessé de s’aplatir docilement sur le tapis dès que les méga-banques d’affaires font les gros yeux.
Le VIX vient de se redresser de 20% en 10 jours, repassant de 14,5 à 18… Il reste à bonne distance toutefois du seuil pivot des 20 au-delà duquel les opérateurs cessent d’afficher un optimisme béat et un souverain mépris pour l’économie qui concerne les « vrais gens » (les 98% de la population qui ne possèdent pas 50% des actions cotées à Wall Street).
La séance boursière de vendredi fut un remake assez fidèle de la séance de lundi — où les indices américains, en net repli de -0,5% à -0,8% à la mi-journée, avaient refait surface au cours de la dernière heure.
▪ Les marchés ne bougent pas malgré des statistiques positives
New York a donc clôturé à l’équilibre, sur des écarts qui nécessitent l’usage d’une bonne loupe : +0,03% pour le Dow Jones, -0,07% pour le S&P et +0,06% pour le Nasdaq.
L’indice électronique n’a dû son salut qu’à l’envol d’Amazon (+7%) et à la remontée plus que salutaire d’Apple (remonté de -3% à -0,95% au final, ce qui sauve le palier des 600 $). Les acheteurs n’ont repris la main qu’au prix d’un effort homérique puisque plus de 36 millions de titres ont été échangés, soit un volume titanesque de 22 milliards de dollars (pas loin de 16 milliards d’euros).
Sur cinq les dernières séances, une seule s’est soldée par une variation supérieure à 0,2% ! Prenons le Dow Jones : +0,02% lundi, -19% mercredi, +0,20% jeudi et +0,03% vendredi. Tout s’est donc joué sur la seule séance de mardi ; c’est de là que proviennent les -1,5% pour le S&P et les -1,8% du Dow Jones.
Ce qui nous a intrigué, ce sont les rendez-vous manqués avec les bonnes statistiques américaines publiées jeudi et vendredi. En d’autres circonstances, Wall Street n’aurait pas manqué l’occasion de reprendre 1,5% en quelques secondes, ne laissant d’autre choix aux vendeurs que de se racheter en catastrophe.
Pour qui aurait négligé la défense acharnée du seuil des 600 $ sur Apple et les +7% d’Amazon, une clôture positive semblait logique vendredi après la publication d’un PIB US en hausse de 2% au troisième trimestre.
Dans le détail, l’activité économique aux Etats-Unis reste soutenue pour plus d’un tiers par les dépenses de l’Etat (commandes du Pentagone notamment)… Sans oublier qu’il s’agit d’une estimation préliminaire : la croissance du deuxième trimestre avait été annoncée à 1,7%, elle a été revue au final à 1,3%.
Si les opérateurs se montrent plus circonspects, cela doit avoir un rapport avec les trimestriels et perspectives annoncées par les entreprises US : elles sont seulement 36% contre 60% d’ordinaire à publier des chiffres d’affaires supérieurs aux anticipations.
Apple a pour coutume de battre le consensus de 10% à 15% mais cette fois-ci, les chiffres publiés sont tout juste conformes au consensus ; les prévisions pour le quatrième trimestre 2012 ressortent carrément 20% en dessous des attentes. N’importe quelle autre entreprise du secteur technologique — mettons Alcatel-Lucent par exemple — aurait été démolie, laminée de -15% ou -20% en quelques heures.
Pas Apple dont l’évolution est trop stratégique pour Wall Street ! Rappelons-nous du mot d’ordre informel véhiculé par la Fed depuis la mi-septembre : pas de krach avant le 6 novembre.