▪ Interrogé par certains de nos lecteurs sur la déconnection (réelle ou imaginaire) des indices boursiers par rapport aux dernières données conjoncturelles de la première quinzaine du mois d’août, j’ai entamé mon commentaire quotidien par un aphorisme qui m’a été suggéré par un businessman croisé à Hong Kong au Felix, le bar panoramique de l’hôtel Peninsula.
Il s’agit du bâtiment historique situé en bordure de la baie de Hong Kong, face au célèbre quartier d’affaires dont les tours sont animées à la tombée du jour par des jeux de lumières psychédéliques.
Selon lui, « les statistiques chinoises sont presque toutes ‘enjolivées’ — pour rester politiquement correct –… mais les cours de Bourse sont, eux, parfaitement exacts ».
▪ Des marchés cohérents dans leur absurdité
Symétriquement, « nos données conjoncturelles occidentales sont relativement exactes (et déplorables)… mais ce sont nos cours de Bourse qui sont complètement faux ».
Les hommes d’affaires hongkongais aiment bien faire état de leur différence lorsqu’ils rencontrent des Occidentaux. Ils adorent également chambrer leurs homologues de Pékin ou de Shanghai. C’est un peu comme les Londoniens avec les Français, les Catalans avec les Madrilènes, les Milanais avec les Napolitains.
Dans un monde idéal, les chiffres économiques devraient être justes et la valorisation des marchés refléter des anticipations raisonnables. Or, nous tendons vers un monde où les statistiques sont de plus en plus trafiquées et où les marchés sont manipulés à la hausse comme à la baisse au-delà de toute mesure.
Si la perception de la réalité conjoncturelle est erronée et artificielle, pourquoi le niveau des marchés ne le serait-il pas tout autant ? Cela préserve finalement une certaine forme de cohérence… par l’absurde !
Mais cela devient un ensemble irrespirable et abscons pour les épargnants dotés de leur seul bon sens ou d’un tempérament d’investisseur. Ces derniers prennent des positions destinées à être conservées plus de quelques dixièmes de secondes, voire parfois des semaines et le croiriez-vous, des années !
▪ La Bourse : loto ou Monopoly ?
Les Chinois considèrent la Bourse comme une sorte de gigantesque jeu de hasard, mais tout le monde y participe avec du véritable argent.
Les Occidentaux, eux, ne sont plus que quelques milliers à influencer les cours de Bourse –grâce aux super-robots algorithmiques, adieu le pur hasard qui place chacun sur un pied d’égalité. Le tout avec la fausse monnaie imprimée par la Fed et par la BCE depuis quatre ans.
Les indices ne reflètent donc plus aucune réalité économique mais seulement la complaisance des banques centrales envers le milieu d’affaires.
A Wall Street, les indices américains nous ont réservé mardi soir une toute petite surprise en clôturant dans le rouge — aux antipodes de leurs homologues européens qui se sont appréciés de 1% en moyenne.
L’Euro-Stoxx 50, le DAX 30, le CAC 40 ont été entraînés vers des niveaux plus approchés depuis la mi-mars pour des motifs archi vus et revus tels que « la BCE va faire quelque chose ».
▪ La BCE : un joker qui fonctionne en chaque circonstance
Chaque fois que personne ne sait au juste pourquoi les indices montent — et surtout dans des proportions inattendues — les commentateurs dégainent ce joker, avec peu de risque d’être démentis.
Le CAC 40, par exemple, a déjà engrangé 15% en un mois pour ce seul prétexte que l’on nous ressert en boucle et à toutes les sauces.
La mission du jour qui consistait à franchir les 3 500 points (avec ou sans raison crédible) a donc été accomplie et l’essentiel est acquis. Le marché reste techniquement haussier.
Les cours montent inexorablement, et peu importe que cela ait un sens économique ou non. « Il y a encore des vendeurs à plumer » répètent en choeur les fins connaisseurs des marchés dérivés.
▪ L’indice du stress et de la volatilité à son plus bas
Mais cette explication ne nous satisfait qu’à moitié. Les marchés ont peut-être été influencés par l’expiration d’une échéance mensuelle sur le VIX — l’indice du stress associé au S&P 500. Le voici qui décrochait (comme par hasard) sous les 14 une heure après l’ouverture de Wall Street. Il s’agit là de son plus bas niveau historique tandis que le S&P flirtait symétriquement avec son record annuel.
Le VIX traduit un sentiment de confiance absolue et hégémonique, comme il n’en avait plus été observé depuis l’été 2007. Les opérateurs jugent implicitement que le risque de consolidation est désormais nul et que le marché n’a aucune chance de se retourner à la baisse.
Alors qu’un nouveau zénith estival a été inscrit à 3 525 points à Paris (et annuel à 1 425 points sur le S&P500), les permabulls ne voient pas pourquoi le CAC 40 s’arrêterait de grimper après avoir gagné +16% (470 points) en moins de quatre semaines.
Il y a toujours un argument pour justifier la montée du baobab boursier jusqu’au ciel. Les opérateurs citaient les rumeurs véhiculées par l’agence économique d’information chinoise, selon lesquelles Pékin plancherait sur l’introduction de mesures visant à soutenir la demande des ménages via le crédit.
Fort bien… Mais nous connaissons un bon milliard et quelques de Chinois qui ne sont pas éligibles à l’obtention du moindre prêt , que ce soit pour s’acheter une voiture low cost — de plus en plus difficile à faire immatriculer dans les grandes métropoles — ou un simple climatiseur.
▪ La Grèce s’étrangle avec la ceinture de l’austérité
Pendant que Pékin affirme vouloir encourager les cigales, Athènes prie les fourmis grecques de se serrer encore un peu plus la ceinture. A force, les fonctionnaires helléniques pourront bientôt faire tenir leur pantalon avec un simple bracelet de montre en cuir !
Le premier Ministre Antonis Samaras s’efforce de rassurer ses partenaires européens en proposant de réduire le déficit grec de 11,5 milliards d’euros supplémentaires cette année et l’année prochaine. Tout ça à coups de laminage des pensions de retraites, de nouvelles coupes dans les effectifs de la fonction publique et de nouvelles baisses de salaires.
Les Etats-Unis ont eu 1929 puis un New Deal dès 1932. La Grèce a eu un 2009, puis les choses se sont gâtées en 2010, 2011, 2012. Et elles seront encore pires en 2013 — que la Grèce reste ou non membre de la Zone euro.
Jamais un pays occidental ne s’est effondré de la sorte depuis l’après-Seconde Guerre mondiale. Nous excluons du lot l’Argentine et l’Islande — qui s’est vite redressée, sans l’entrave constitué par la Monnaie Unique. Même les ex-Pays de l’Est avaient réussi à préserver pendant des décennies des standards sociaux dont les Grecs n’osent même plus rêver aujourd’hui.
Mais qu’ils se consolent, la Grèce demeure — à l’image de l’ex-RDA — le pays le mieux équipé en chars d’assaut de toute l’Europe !