Nous vivons dans un âge de trahisons, de détails et de statistiques, d’immobilier inaccessible et d’épargne disparue…
« Vous irez à l’hôpital », a dit le médecin.
« Mais je ne veux pas aller à l’hôpital. »
« Pourquoi ? »
« Je pourrais attraper quelque chose. »
« Vous avez déjà quelque chose. Vous devez rester en observation au moins 24 heures pour que l’on garde un œil sur vous. »
« Et si je garde un œil sur moi-même ? »
Au final, l’âge et la tromperie ont eu raison de la jeunesse et la compétence du médecin. Nous sommes rentrés à la maison.
Puis nous avons passé plusieurs jours alités, dans un état proche du coma, terrassés par une sorte de grippe. Plongés dans un état de léthargie, nous pouvions voir un ange flotter au pied du lit. Étaient-ce ses ailes qui caressaient nos joues rouges ? Ou était-ce le chauffage qui réchauffait la pièce ?
L’ange en question était une peinture sud-américaine d’un « saint armé », un beau jeune homme vêtu d’un costume cossu, tenant dans ses mains un vieux fusil. Il avait des ailes.
Dans notre piètre état, nous avons aperçu quelque chose de nouveau. Il nous a semblé voir un nouveau visage, caché dans les replis de cette peinture du XVIIème siècle. Un détail particulièrement sinistre. Nous n’y avions pas prêté attention lorsque nous étions fringants. Mais quand vous êtes affaibli ou malade, transi de froid ou baignant dans la sueur, les diables et les démons apparaissent.
Des travailleurs de plus en plus pauvres
La fièvre retombée, nous voici de retour au bureau. Un peu tremblants, mais capables de marcher, de parler, de lire l’actualité… et de se comporter comme une personne normale.
Quelle est l’actualité ? Anges ou démons… Vivants ou morts ? Essayons de donner du sens à un pandémonium de données contradictoires.
La semaine dernière, The New York Times nous prévenait d’une bonne nouvelle apparente :
« Les salaires ont augmenté de 5,1%, un rythme qui reste rapide à l’heure où la Fed prévoit un ralentissement de l’économie.
Le salaire horaire moyen a augmenté de 5,1% en glissement annuel en juin, après un chiffre légèrement inférieur à la hausse de 5,3% en rythme annuel enregistrée en mai dernier. Des économistes interrogés par Bloomberg avaient anticipé un ralentissement légèrement plus marqué, à 5,0%. »
Cet article aurait tout à fait pu s’intituler « L’économie reprend du poil de la bête » ou « Pourquoi la Fed ne fera pas de pause ».
Mais attendez. Charles Billelo nous offre un autre son de cloche :
« Le mois de novembre a été le vingtième mois consécutif au cours duquel l’inflation a progressé plus vite que le salaire horaire, entraînant une perte de pouvoir d’achat pour les travailleurs Américains. »
Vous voyez ? Les salaires augmentent à un rythme « rapide ». Et les travailleurs s’appauvrissent.
C’est quasiment toujours la même combine. Chaque information doit être vérifiée. Et à chaque fois, l’envers du décor est peu reluisant.
Le taux de chômage est proche de son plus bas niveau de l’histoire. Mais le nombre de personnes qui travaillent effectivement… comme le nombre d’heures travaillées… n’ont jamais retrouvé leurs niveaux d’avant la pandémie de Covid.
L’épargne fond
Les prix du logement évoluent à la baisse depuis trois mois. Mais la hausse des taux d’intérêt fait que les biens immobiliers coûtent plus cher. Les prix ont tellement augmenté qu’un ménage moyen qui souhaiterait acheter un logement au prix médian y laisserait la moitié de ses revenus.
La Fed continue à rehausser ses taux. Mais elle prête de l’argent à un niveau qui reste inférieur de 370 points de base à l’indice des prix à la consommation (IPC). Parallèlement, la masse monétaire diminue. La contraction de 1,5% enregistrée au cours des sept derniers mois est la plus brutale jamais enregistrée sur une telle durée.
Le taux d’épargne des ménages d’octobre était aussi digne des livres des records. Il s’est replié à 2,3%, ce qui en fait le deuxième taux le plus bas de l’histoire. Les ménagent consomment, mais l’argent commence à manquer. Et si une récession survient, ils seront frappés de plein fouet.
Confrontés à des informations aussi contradictoires, les gens peuvent se former n’importe quelle opinion.
Les investisseurs ont pour leur part choisi de voir le verre à moitié plein. « L’économie est plutôt saine », expliquent-ils. « La hausse des taux de la Fed ne plombera pas l’économie. Revenons donc nous positionner en Bourse. »
Pour l’instant, les Bourses ont rebondi de 17% par rapport au creux atteint en octobre. Précédemment, il y a déjà eu quatre rebonds, depuis le début de ce marché baissier. Ils se sont tous soldés par de nouveaux points bas. Cela sera-t-il encore le cas ?
Personne ne le sait. Mais, à l’avenir, lorsque nous décortiquerons l’actualité, il nous faudra certainement analyser les contractions et ambiguïtés sous un angle différent.