Assistons-nous à la fin de l’énergie, de la main-d’œuvre et de l’argent abordables ?
Sur un champ de bataille, le soleil se lève doucement. Petit à petit, on distingue des formes au loin – le ciel, l’horizon, les arbres…
…puis, plus petits, moins distincts… on aperçoit les tanks, l’artillerie…et les soldats prêts à nous attaquer.
La semaine dernière, les investisseurs ont commencé à voir ce qui se dirigeait vers eux. Pendant la majeure partie de l’année, ils étaient dans le déni. Les actions baissaient, ils achetaient le creux de la vague. Et puis, elles ont baissé à nouveau. Mais leur stratégie d’investissement n’a pas changé. « Achetez le p***** de creux ! » (APC), criaient-ils.
Et c’est ainsi que, une fois de plus, les investisseurs ont cru entendre les clairons souffler derrière eux.
Jay Powell a déclaré :
« […] [Le FOMC] prendra en compte le resserrement cumulatif de la politique monétaire, les délais avec lesquels la politique monétaire affecte l’activité économique et l’inflation, ainsi que les développements économiques et financiers. »
C’est tout ce dont ils avaient besoin. La Fed venait à la rescousse ! Ils ont balayé leurs inquiétudes, confiants que la Fed les soutenait… et que le creux qu’ils attendaient était là. Ils sont passés à la vitesse supérieure, chargeant l’ennemi baïonnettes au poing, et lançant leur cri de guerre à gorge déployée – APC !
C’est alors que le président Powell leur a fait comprendre qu’ils étaient en réalité « livrés à eux-mêmes » :
« Envisager une pause dans la hausse des taux directeurs est très prématuré. Nous avons encore du chemin à parcourir. »
Trois différences fondamentales
Les trois heures qui ont suivi ont été les pires de l’histoire pour un « jour de la Fed » (quand la Fed annonce les changements de taux d’intérêt), en particulier pour les investisseurs du Nasdaq, un marché très centré sur les valeurs technologiques.
Et qui peut les blâmer ? Le seul monde qu’ils ont connu était remarquablement prospère… indulgent, et sûr. C’était un monde – approximativement de 1980 à 2022 – qui était marqué par trois choses extraordinaires.
Premièrement, les Chinois nous offraient la main-d’œuvre la moins chère qui soit.
Deuxièmement, les capitalistes et les innovateurs nous offraient l’énergie la moins chère de tous les temps.
Troisièmement, la Fed nous a offert le crédit le moins cher de l’histoire.
Ce sont ces trois éléments, et non pas le génie des chefs de la Fed, ni les magiciens de la Silicon Valley, ni les je-sais-tout de la Maison Blanche, qui nous ont permis d’atteindre les 36 000 points sur le Dow Jones, l’économie « Goldilocks » et la « grande modération », accompagnée d’une stabilité macroéconomique pendant trois décennies avant 2022.
Et maintenant, les choses ont changé de manière si fondamentale que les investisseurs sont désormais contraints de se poser des questions. Ils veulent savoir où nous en sommes.
Ici, à La Chronique Agora, le point d’interrogation est notre signe de ponctuation le plus précieux. Nous l’utilisons sur tout, comme du ruban adhésif ou du WD-40. Il est toujours avec nous, à l’arrière du camion, avec la roue de secours, le cric et la bouteille de whisky ; on ne sait jamais quand on peut en avoir besoin.
En général, les points d’interrogation disparaissent lorsque tout va bien. Mais quand l’aile tombe, vous sortez le ruban adhésif.
Comment se fait-il que la productivité soit en baisse ? Pourquoi cette inflation « transitoire » n’a-t-elle pas transité ? Qu’est-ce que l’attachée de presse de la Maison-Blanche, Karine Jean-Pierre, essayait de dire ?
Les investisseurs ont la nostalgie du bon vieux temps. Ils continuent à attendre, à espérer, à rêver d’un pivot de la Fed. À chaque fois, ils font monter le cours des actions… en espérant que les choses reviennent à la normale. Et à chaque fois, notre vieux camarade de classe, le président Powell, qui doit garder une photo de Paul Volcker sur son bureau, leur prouve qu’ils ont tort.
M. Powell rencontre M. le Marché
Mais toute une génération d’Américains n’a jamais connu la « normalité ». Et maintenant que les conditions curieusement bénéfiques des dernières décennies les ont abandonnés, la nouvelle normalité est terrifiante.
Quant à la main-d’œuvre bon marché, la Chine est en train d’en manquer. La ruée de quelque 500 millions de paysans vers une économie industrielle en voie de modernisation a été un événement unique. Il ne reste plus beaucoup de paysans ; ceux qui vivent encore dans les villages chinois sont nécessaires au sein des fermes. La main-d’œuvre chinoise n’est plus très bon marché. Et les fédéraux travaillent dur pour décourager le commerce avec la Chine, dans tous les cas. M. Trump a limité les importations en provenance de Chine. M. Biden a maintenu ses tarifs douaniers en place.
L’énergie n’est plus aussi bon marché non plus. Généralement, les prix du pétrole baissent lorsque le dollar augmente. Mais aujourd’hui, le dollar est à son plus haut niveau depuis 20 ans… alors que le pétrole dépasse 86 $ le baril – rappelons qu’il était à moins de 30 $ en 2020.
Le pétrole ou le gaz ne sont pas non plus susceptibles de devenir beaucoup moins chers. Pratiquement tous les grands gouvernements du monde occidental ont menacé de mettre les producteurs en faillite, tout en subventionnant activement leur concurrence. Le prix de l’essence est déjà en train de remonter. Et les factures de chauffage au gaz cet hiver devraient être environ 30% plus élevées que l’année dernière.
Et les taux d’intérêt ? Pour l’instant, la Fed les augmente (ce qui rend le crédit plus cher). M. le Marché les augmente aussi ; il doit se protéger de l’inflation. Les taux hypothécaires, par exemple, ont dépassé les 7% la semaine dernière. A eux deux, M. Powell et M. le Marché font que le prix du crédit augmente.
Et, pour le meilleur ou pour le pire, le monde de 1980-2022 n’est tout simplement plus.