▪ Notre collègue Cécile Chevré revenait lundi dans La Quotidienne de MoneyWeek sur le rôle et la méthodologie contestable des agences de rating. A elle trois — il s’agit comme vous le savez de Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch — elles jouissent d’un monopole de la notation des dérivés de crédit (et autres produits structurés), de la dette des entreprises… et ce qui est le plus sérieux, de la dette des Etats.
Je saisis la balle au bond pour au moins deux raisons. D’abord parce que Cécile reprend une partie de mes arguments — mais aussi et surtout parce que Moody’s, cinq jours seulement après Fitch, émet un commentaire critique sur la dérive du rythme d’endettement de la France, de l’Angleterre… et même de l’Allemagne. Alors que Fitch avait préféré cibler d’abord l’Espagne puis le Royaume-Uni.
Pour qui aime lire entre les lignes, les avis de Fitch et Moody’s (qui maintiennent stables les notations AAA des pays sous revue) ont valeur d’avertissement. Si la situation budgétaire française, espagnole, britannique ou italienne continuait de se dégrader, la perspective serait inexorablement dégradée à « négative » avant que le couperet de l’abaissement à AAA- ne tombe.
C’en serait alors terminé du refinancement à prix cadeau ! Le service de notre dette nous coûte actuellement 3,1 points de PIB : c’est peut-être beaucoup mais cela pourrait être bien pire… et Fitch ou Moody’s n’auront pas manqué de relever que ce taux est déjà deux fois plus élevé que la croissance attendue en 2010 dans l’Hexagone (1,5% à 1,6%).
Autrement dit, à moins d’alourdir sensiblement la pression fiscale et de diminuer fortement les dépenses sociales (comme en Grèce ou en Espagne), la situation budgétaire française va continuer de se détériorer d’ici la fin de l’année. Ce n’est pas le projet de réforme des retraites — dont personne ne sait ce qu’il rapportera — prévu pour l’automne qui pourra renverser la vapeur, tout du moins pas avant le collectif budgétaire 2011.
▪ J’ai assisté mercredi dernier à un déjeuner dont l’invité d’honneur était Eric Woerth. Je n’ai pas pu laisser passer l’occasion de l’interroger sur les mesures gouvernementales visant à rassurer les agences de notation. Vous connaissez pourtant tout le bien que je pense de ces dernières et mon malaise à la seule évocation de l’obligation de jouer les bons élèves à leurs yeux… un comble lorsque l’on dresse la liste de leurs erreurs de l’époque Enron, Worldcom ou Vivendi puis vis-à-vis des subprime et autres MBS de 2005 à 2007 !
Le ministre du Budget a répondu que contrairement à 2009, les recettes fiscales allaient se redresser en 2010 (la tendance est redevenue positive au quatrième trimestre). Le tout sans hausse de la pression fiscale… et heureusement, selon lui, car il est encore trop tôt pour ajouter un nouveau fardeau sur le dos des entreprises ou des consommateurs, dans un pays qui est déjà le champion européen des taxes et impositions en cascade.
Le ministre des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l’Etat (tous ses autres titres ont été énumérés au moment de passer à table) affiche sa confiance dans la politique de relance du gouvernement… et son scepticisme au sujet de la création d’un fonds monétaire européen — dont François Fillon était justement en train de discuter au même moment en Allemagne avec l’entourage d’Angela Merkel.
Eric Woerth n’a pas voulu rentrer dans les détails. Il a évacué le sujet en remarquant que, le cas échéant, cela ne pourrait en aucun cas contribuer à résoudre la crise à laquelle est confrontée la Grèce. Vous devinez que d’ici à ce que les pays européens résolvent la question de leurs contributions respectives, la Vénus de Milo aura vu ses bras repousser !
M. Woerth n’a pas voulu non plus s’appesantir sur la question du coût de l’évasion fiscale. Un de mes voisins de table a suggéré au ministre d’encourager le rapatriement des fonds exilés de façon illicite en créant une enveloppe destinée à soutenir le logement en France ; l’argent ainsi collecté serait restitué à leurs propriétaires au bout d’une période de cinq ans — ou plus — sans pénalité ni versement d’intérêt.
La solution proposée ne serait ni une amnistie, ni une punition, mais une simple confiscation temporaire. Le ministre considère toutefois qu’une telle mesure serait considérée politiquement comme un cadeau accordé aux riches (il n’a certainement pas tort de ce point de vue), et la ligne actuelle à Bercy est de créer ni nouvel impôt ni nouvelle niche fiscale.
▪ Les Américains, plus pragmatiques, ne s’interdisent pas de faire des fleurs aux catégories les plus favorisées (l’ère Bush a cependant dépassé les bornes de l’injustice sociale en multipliant les cadeaux fiscaux aux ultra-riches)… Ils pourraient reprendre la proposition que j’évoquais ci-dessus à leur compte !
Les toutes dernières nouvelles en provenance du secteur de l’immobilier américain sont en effet bien pires qu’en France : le problème des Etats-Unis n’est pas de gérer la pénurie (cela soutient les prix), mais bel et bien la surabondance chronique de l’offre.
Le tableau reste bien sombre : l’indice conjoncturel de la NAHB/Wells Fargo (association des constructeurs de maisons individuelles américains) chute de deux points au mois de mars — de 17 vers 15, au lieu d’un rebond anticipé vers 18. L’indice des promesses d’achat chute quant à lui de 12 vers 10, pour atteindre son plus bas niveau depuis un an, c’est-à-dire le mois de mars 2009 de sinistre mémoire… avec son score de 9, en forme de plancher historique.
▪ De tels chiffres pourraient expliquer le repli de 0,6% de Wall Street à la mi-séance — mais les jeux étaient faits bien avant cette statistique. Curieusement, les actions chutaient d’entrée de jeu de 0,5% malgré une série de statistiques officielles plutôt satisfaisantes publiées en préouverture.
La production industrielle américaine a progressé de 0,1% en février aux Etats-Unis, en dépit des fortes tempêtes de neige qui ont soufflé dans le nord-est du pays. Rappelons que les économistes prévoyaient une stabilité à la suite du rebond de 0,9% confirmé pour le mois de janvier.
Par ailleurs, le taux d’utilisation des capacités de production est remonté à 72,7% le mois dernier, un plus haut depuis la fin 2008, contre 72,5% le mois précédent.
Enfin, l’indice « Empire State » de la Fed de New York se contracte — mais moins que prévu, à 22,9, contre 24,9 en février. Cela suggère un léger ralentissement de l’expansion du secteur manufacturier sur la Côte est (rien de bien alarmant).
Wall Street semble avoir tiré sa dernière cartouche haussière vendredi avec une treizème séance de hausse consécutive sur le Nasdaq 100. La tradition du « lundi haussier », qui perdure depuis fin octobre, a été démentie en ce 15 mars. En Europe, ni le CAC 40 ni l’EuroStoxx 50 ne sont jamais passés dans le vert à aucun moment de la séance ; les indices ont clôturé pratiquement au plus bas du jour.
Si Paris recule pour la troisième séance consécutive, les volumes demeurent anecdotiques avec tout juste 2,5 milliards d’euros échangés ce lundi. Les opérateurs les plus optimistes semblent attendre un nouveau catalyseur pour poursuivre leurs achats, tandis que les vendeurs restent délibérément absents faute de signal clairement baissier sur les marchés.
▪ Nous considérons cependant que le pétrole reste un bon précurseur de la tendance à Wall Street et à Paris.
Un plafonnement est survenu dès mercredi dernier sous les 83 $. Le baril a brusquement accéléré à la baisse vendredi, avec l’enfoncement des 81,5 $, et le mouvement de repli se renforçait ce 15 mars avec une chute de 2% sous les 79,5 $.
De ce point de vue, le message émanant du NYMEX nous semble clair… Cependant, les indices américains refusent apparemment de l’entendre avec une seconde clôture consécutive à l’équilibre.
Globalement, depuis la publication des chiffres de l’emploi le vendredi 5 mars, Wall Street ne va nulle part. La supposée absence d’inspiration des investisseurs est une explication bien peu pertinente : le véritable enjeu reste l’écrasement de la volatilité en prévision de la séance des « Quatre sorcières » de vendredi… et cette opération-là est bel et bien menée de main de maître.