Voici un extrait du dernier livre de Bill, Un-Civilizing America: How Win-Win Deals Make Us Better.
Un soir, alors que nous roulions sur la route dans la campagne française, nous avons observé un lapin devant la voiture. L’animal faisait des feintes vers la gauche, puis vers la droite, essayant de nous tromper. Cette tactique, transmise par les survivants d’affrontements lui ayant précédés, était désormais ancrée dans son instinct. Si le lapin avait été poursuivi par un chien ou un renard, cela lui aurait probablement donné un léger avantage. Mais contre une Nissan Patrol, en revanche, c’était contre-productif.
Les mythes intégrés, comme les leçons de morale, dépendent des conditions dans lesquelles ils ont été créés. Si l’animal avait simplement sauté hors de la route, il aurait survécu. La voiture n’a pas remarqué ses feintes. Elle a écrasé le lapin.
L’instinct de lutte… de défense… de prise d’armes contre un envahisseur… est né à une époque où l’échelle d’information était beaucoup plus petite. A l’époque, toutes les informations disponibles étaient privées. Elles étaient aussi de grande qualité.
Au fur et à mesure que la civilisation a évolué, avec des communautés de plus en plus grandes, l’information a elle aussi évolué. Elle est devenue plus abondante. Mais la qualité moins garantie. La vérité a été remplacée par des mythes. Certains étaient plus adaptés aux nouvelles circonstances. D’autres, nourris par les nouveaux médias, ont réveillé de vieux instincts… et provoqué des catastrophes.
En 1945, les habitants d’Hiroshima vaquaient à leurs occupations. Mais les choses se sont corsé pour les Japonais. Les Etats-Unis contrôlaient les mers et les airs. Ils ont coupé le Japon de ses lignes de ravitaillement, laissant le pays affamé… et sans véritable moyen de se défendre. La population mourait déjà de maladies liées à la faim, comme la tuberculose et le béribéri. Jeunes et vieux avaient été enrôlés dans l’effort de guerre, participant quotidiennement aux exercices d’alertes aériennes… avec des seaux d’eau à portée de main pour éteindre les incendies, et s’entraînant à se jeter sous les lits pour se protéger des bombes. Chaque maison disposait également d’un bâton de bambou aiguisé à l’entrée pour repousser les soldats américains.
N’importe quel observateur objectif pouvait constater que la situation était désespérée. Un observateur ayant accès aux détails du projet Manhattan pouvait comprendre que la menace était existentielle. Les lances en bambou et les matelas ne constituaient aucune défense contre une bombe atomique. Mais les Japonais – ou du moins certains d’entre eux – croyaient que l’empereur Hirohito était divin. C’était peut-être difficile, mais lorsqu’ils regardaient vers l’avenir, le mythe bloquait leur vision. Ils ne voyaient pas comment ils pourraient perdre la guerre, car cela signifierait que l’empereur aurait perdu face aux mortels… mortels qui n’étaient même pas japonais.
Les Japonais ont découvert les limites de ce mythe le 6 août 1945. Il n’était pas seulement inapproprié, il était mortel. En quelques secondes, le lapin s’est fait écraser – le centre d’Hiroshima a été oblitéré par des températures plus élevées qu’à la surface du soleil. L’acier a fondu. Les organes ont été vaporisés.
Des absurdités saisissantes
L’homme lambda ne sait pas ce qu’il y a dans ses hot-dogs, ou comment fonctionne le système médical de son pays. Même les poids et mesures sont un mystère. Il croit aux fantômes ; il doute du fait que des hommes soient allés sur la lune.
Il se demande combien il y a de pouces dans un gallon. Il ne sait pas situer l’Ukraine sur une carte. Il pense que la Déclaration d’indépendance est un document terroriste… Quant aux musulmans, il est sûr qu’ils préparent un mauvais coup, même s’il n’en a jamais rencontré un. Il s’en remet à ses élites pour traiter ces questions complexes et compte sur elles pour être justes. Quand ce n’est pas le cas, il cherche quelqu’un à pendre, mais pas nécessairement celui qui l’a bien cherché.
Il y aura toujours des gens plus forts, plus intelligents, plus rapides, plus charmants, plus productifs, etc. La société s’organise toujours selon une structure hiérarchique, pyramidale, avec les élites au sommet et les masses à la base. Les élites aident les masses en séparant les bons mythes des mauvais, les faits des mensonges, les idées idiotes des idées utiles. Elles aident à administrer la justice avec des tribunaux où règnent le calme, la raison et le droit commun, plutôt que des foules de lyncheurs. Elles fournissent une expertise technique pour la plomberie intérieure et les réseaux informatiques. Elles guident les autres spirituellement et veillent à ce que les trains soient à l’heure.
Les élites ont le pouvoir. Et le pouvoir invite à la corruption. Dans un grand empire moderne, les élites ont tellement de pouvoir qu’un double jeu est presque inévitable. Au lieu de remettre en question et de corriger les mythes fabriqués de toute pièce qui motivent les foules, elles encouragent des illusions encore plus extravagantes.
Nous devons anéantir ISIS en Syrie, sinon aucun habitant de l’Iowa ne sera en sécurité. La Fed renforce notre économie en falsifiant les taux d’intérêt et en l’inondant d' »épargne » (crédit) que personne n’a jamais épargnée. Le ministère de l’Éducation peut nous rendre plus intelligents… le ministère de la Défense peut apporter plus de sécurité… et le ministère des Affaires de genre peut faire de nous de meilleurs êtres humains. Tout ce dont ils ont besoin, c’est de plus de pouvoir, et de plus d’argent !
Le citoyen lambda est censé croire six choses impossibles avant le petit-déjeuner et une demi-douzaine d’autres avant le déjeuner. Il n’a aucun moyen de distinguer un faux mythe des mythes utiles qui sont essentiels à sa survie. Il en est trop loin, dans tous les sens du terme.
Au XXIe siècle, il entend que les terroristes représentent une menace. Il met alors ce mythe dans la même case que l’attaque imminente d’une tribu hostile. Ses émotions – et non son esprit – sont sollicitées. Il voit déjà sa femme ravagée sous ses yeux… et ses enfants emmenés en esclavage. Son comportement devient absurde : il prend les armes contre un ennemi qui n’existe que sous la forme d’un artefact public mythique et choisit comme soldat le mâle alpha le plus stupide de la tribu.
Et tout s’empire.
L’entreprise derrière le « nous » – qu’il s’agisse d’une guerre contre le terrorisme, d’une guerre contre la drogue ou d’une guerre contre la pauvreté – dépend de la survie de ce « nous ». Les mythes ont besoin de croyants. Et lorsque les gens cessent d’y croire… Pouf ! Les mythes disparaissent.
C’est pourquoi autant de pression est exercée pour ne pas que l’on pense indépendamment des autres, mais que l’on suive le programme le plus stupide qui soit, dicté dans les médias. C’est pourquoi il faut être solidaire, comme disent les Français, des politiques publiques, aussi absurdes soient-elles.
Heureusement pour les mythes et les personnes qui en bénéficient, la plupart des gens sont d’accord. Ils soutiennent leurs dirigeants, aussi médiocres soient-ils. Et ils considèrent tous ceux qui ne le font pas comme des traîtres.