** Nous ne savons pas si la reprise américaine — dont l’imminence est martelée par une majorité d’économistes et de chroniqueurs qui prennent quotidiennement le pouls de Wall Street — sera au rendez-vous fin 2009. En revanche, nous avons la certitude que les plus grandes banques ressentent le besoin urgent de rembourser les sommes empruntées au TARP afin de retrouver une totale indépendance en matière de stratégie financière et de fixation du niveau de rémunération des dirigeants et collaborateurs identifiés comme stratégiques.
10 des 19 plus grandes institutions financières américaines viennent de recevoir l’autorisation de procéder à un paiement par anticipation. Le montant cumulé pourrait avoisiner les 68 milliards de dollars et servira à reconstituer le matelas de sécurité du système bancaire américain.
** Voilà un bel exemple de vertu et un signe de bonne volonté que les Européens seraient bien inspirés de suivre ! Ce n’est pas nous qui l’affirmons mais Tim Geithner. Il compte se rendre en Italie cette semaine pour discuter de la mise en place d’un stress test à la mode européenne, histoire de pouvoir prouver que des pays comme l’Allemagne, la Hollande ou la France — très critiques à l’égard des Etats-Unis — auraient bien besoin de balayer devant leur porte.
Mais si le principe d’une opération d’évaluation est bien "dans les tuyaux", elle serait globale : il n’y aurait pas d’enquête personnalisée établissement par établissement. Et si nos gouvernants choisissent d’imiter le sage exemple de la Grande-Bretagne (qui a devancé l’appel américain de quelques semaines), les résultats demeureront un secret bien gardé !
Nous avons déjà indiqué à de nombreuses reprises que les banques du Vieux Continent avaient délibérément pris un "léger" retard dans la prise en compte de leurs pertes potentielles… C’est bien joué puisqu’entre temps, les règles du mark to market (valorisation des positions en fonction de l’état présent du marché) ont été assouplies, ce qui contribue à minorer substantiellement le montant de l’ardoise sur les dérivés de crédit.
** Cependant, le principal enjeu aujourd’hui pour les Etats-Unis, ce n’est plus seulement le degré de confiance qu’inspirent les banques mais bel bien celui qui concerne les états : avec une Californie en faillite et qui ne survit qu’à coup de dotations exceptionnelles, avec une région des Grands Lacs et du Centre en pleine récession, une Floride qui voit s’effondrer ses recettes fiscales (taxes foncières, tourisme) et un système de santé au bord de l’apoplexie financière, c’est le crédit du pays tout entier qui est menacé d’un abaissement de notation.
Bien entendu, aucune agence n’osera priver ouvertement les Etats-Unis de leur triple A : comme le disaient avec humour nombre d’économistes après la dégradation de la dette souveraine britannique il y a un mois, les experts de Standard & Poor’s, Moody’s et autres Fitch auraient trop peur d’aller compléter les cellules qui se libèrent à Guantanamo !
Mais si les agences de notation savent jusqu’où ne pas aller trop loin, le marché, lui, est parfaitement libre d’exprimer à sa façon (impitoyable et souvent brutale) sa propre évaluation de la solidité de la dette américaine. Une nouvelle vague d’émissions de bons du Trésor est programmée cette semaine et l’adjudication de 35 milliards de dollars de T-Notes à trois ans a été précédée ces dernières 48 heures d’une flambée de 15 points du taux de rendement implicite (à 1,38%).
** Nous allons revenir dans quelques instants sur l’état réel du moteur principal de la croissance américaine, c’est-à-dire le marché immobilier qui conditionne le niveau de la consommation. Avant cela, nous ne résistons pas à l’envie de vous faire part d’une petite anecdote — qui en dit plus long qu’un savant discours macroéconomique émaillé de formules mathématiques alambiquées.
Figurez-vous que le secrétaire américain au Trésor US s’est résolu début juin à placer en location sa maison de Westchester County (état de New York) après avoir échoué à la vendre, même en ayant consenti une ristourne sur le prix de cession initial.
Timothy Geithner peut toujours tenter de nous convaincre que la reprise est à une portée de tir d’un lanceur de tarte à la crème… nous lui attribuons d’office le Prix Pinocchio : l’état de New York va en effet voir son déficit fiscal exploser de 1,7 milliard de dollars en 2009, à 17,65 milliards de dollars en 2010 (+1 000%, ce sera un record national !).
Et en 2010, le taux du déficit budgétaire de l’état de New York atteindra -31,9%, juste derrière le numéro un toutes catégories confondues, à savoir le Nevada avec -32%. Mais le podium ne serait pas au complet sans l’Alaska de Sarah Palin (-30%)… et deux autres prétendants sont bien placés pour remporter une médaille, moyennant quelques nouveaux déboires imprévus : il s’agit de la Floride et de l’Arizona (avec -28%).
La Californie n’occuperait paradoxalement que la sixième position avec un déficit de -22,5%. Cependant, l’état dirigé par Arnold le "Gouvernator" affichera une ardoise sans équivalent de -25 milliards de dollars (contre -14,8 milliards en 2009).
** La Californie, c’est un peu le laboratoire avancé des phénomènes macroéconomiques américains. Cet état peut s’enorgueillir de détenir trois des cinq premières places du pays en matière de chute des prix de l’immobilier (classement par zones résidentielles) en l’espace de deux ans.
La chute atteint -46,5% à Fairfield (non, pas il ne s’agit pas de Fairview ni de Wisteria Lane… mais les propriétaires — hommes ou femmes d’intérieur — sont bel et bien désespérés). On en est à -50,8% à Modesto — où la valeur des maisons est en effet devenue bien plus modeste. Et ce sont -51,1% à Stockton, avec en prime le second plus fort taux de negative equity des Etats-Unis puisque 57,5% des acheteurs perdent de l’argent par rapport à leur prix d’acquisition.
Le numéro un toutes catégories confondues reste toutefois — vous deviez vous en douter — Las Vegas, dans le Nevada. On y enregistre une chute de moitié du prix des biens immobiliers (maisons, copropriétés, parts foncières dans les casinos) et un taux imbattable de 67,2% en negative equity.
Toutes nos excuses si cette avalanche de chiffres présente un caractère quelque peu aride : elle nous est apparue nécessaire pour redonner un caractère concret à certaines réalités qui dérangent. Aux Etats-Unis, les impasses budgétaires état par état vont enregistrer une envolée d’une ampleur jamais observée durant la grande crise de 29.
Les prix des logements vont continuer de chuter inexorablement, alors que 50% des transactions sont le fruit de ventes aux enchères de biens saisis dans une dizaine d’états de l’Union. Le nombre de défauts de paiement sur les cartes de crédit pourrait doubler dans l’intervalle si les taux d’intérêt continuent de se tendre au rythme actuel.
Alors félicitons-nous de ce que Wall Street ait réussi à clôturer inchangé pour la troisième séance consécutive, avec un Dow Jones qui semble faire son nid vers 8 764 points.
Philippe Béchade,
Paris
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