** Dans la chronique d’aujourd’hui, nous ne donnons aucune réponse. Nous posons seulement une question : pourquoi la SEC ne fait-elle pas une enquête sur la Fed et le Trésor US ? Cette question nous est venue après que votre correspondant ait entendu par hasard une bribe de conversation…
– "Tu as vu ça ?" demandait un investisseur à un ami. "Tu as vu la page six du Financial Times d’aujourd’hui ?"
– "Oui, et alors ?" a répondu son ami.
– "Il y a deux articles qui, côte à côte, présentent une image terriblement ironique", a expliqué l’investisseur. "L’un des articles décrit les tentatives de la SEC de retrouver les fonds spéculatifs apparemment impliqués dans les ‘lancements de rumeur’ pour faire baisser le prix de l’action Bear Stearns. Et l’article placé juste à côté dit :
– "Un officiel haut placé du Trésor US a reconnu hier que les autorités voulaient que J.P. Morgan paie un prix peu élevé pour acheter Bear Stearns selon un accord ayant l’aval du gouvernement fédéral — afin d’éviter que la banque d’affaire, déjà chancelante, ne fasse faillite. Bob Steel, sous-secrétaire aux finances domestiques au Trésor US, a déclaré devant une commission du Sénat que, d’après les officiels publics impliqués dans l’opération, le prix payé pour Bear Stearns ne devait ‘pas être très élevé’… Selon M. Steel : ‘on considérait que le prix ne devait pas être très élevé ou qu’il devait pencher vers le bas… étant donné l’implication du gouvernement’."
– "Hallucinant !" s’est exclamé l’ami. "Alors la SEC va lancer une chasse aux sorcières pour retrouver les gars qui ont deviné que Bear Stearns allait sombrer. Mais au même moment, la SEC ferme les yeux sur le fait que le Trésor lui-même reconnaît manipuler le prix de l’action Bear Stearns à la baisse".
– "Exact", a acquiescé l’investisseur. "Et cette ironie accidentelle en dit long sur l’état actuel des marchés financiers américains. Depuis que la crise du crédit a débuté, la Fed et le Trésor n’ont cessé de réécrire les règles de la banque et de l’investissement. Tous les jours ou presque, ils annoncent un nouveau plan de sauvetage. Non contents de mettre leur nez dans les marchés financiers, ils ont manipulé le cours des valeurs de façon directe et indirecte. Mais malheur à l’investisseur privé qui anticipe correctement les manipulations gouvernementales. La SEC va venir frapper à sa porte".
– La Fed se déleste de ses poids comme jamais auparavant, chers investisseurs, et nous nous inquiétons de savoir où ils vont tomber. Quelles réglementations vont-ils écraser ; quels principes de l’économie de marché vont-ils pulvériser ; quelle devise considérée comme réserve du monde vont-ils réduire en purée ?
– En renflouant de manière sélective une banque d’affaire bien précise — Bear Stearns — et en mettant tous ses efforts dans un seul secteur de l’économie — les insouciantes institutions de prêt — la Fed a élevé la spéculation et l’effet de levier au rang de sacro-sainte entreprise économique.
– Ben Bernanke l’a fait savoir au monde entier : aucune spéculation, aussi idiote soit-elle, ne perdra le soutien du gouvernement fédéral tant qu’elle conservera au moins neuf zéros avant la virgule des décimales. Douze zéros c’est encore mieux (les petits spéculateurs n’ont pas besoin de la protection du gouvernement ; s’ils se ruinent, ils ne ruinent qu’eux, pas la couverture du Wall Street Journal de demain).
** Donc, grâce à l’hyperactivité de la Fed, le système financier américain qui a déjà trop fait jouer l’effet de levier continue à se traîner tant bien que mal. Mais que va-t-il advenir de cette économie américaine affaiblie ? Le récent barrage de renflouements impressionnants a-t-il rapporté un bénéfice mesurable dans l’économie américaine ?
– Si c’est le cas, nous n’avons rien vu.
– Qui a vraiment été secouru par les sauvetages de la Fed ? Certainement pas les propriétaires en difficulté ou les petits employés de Wall Street. Jusqu’à maintenant, les renflouements de la Fed ont renfloué très peu d’êtres humains… autres que ceux qui mériteraient la prison plutôt que des salaires généreux. Des millions d’Américains vont quand même perdre leur maison et des dizaines de milliers de petits employés perdre leur emploi.
– Pour être juste, la Fed n’est pas responsable de ces tragédies. Mais elle ne peut pas nier sa responsabilité dans le fait que les hauts employés de Wall Street à l’origine de cette crise ont l’assurance de conserver leur emploi et leurs maisons de plusieurs millions de dollars. La Fed ne peut pas nier qu’elle a sauvé les prédateurs et non la proie.
– Nous pourrions pardonner à la Fed d’avoir sauvé les prédateurs si les proies ne perdaient pas par milliers leur emploi et leur maison. Nous pourrions approuver les tactiques originales de la Fed si elles rapportaient des bénéfices conséquents à l’ensemble de l’économie américaine.
– Mais on ne voit rien.
– Au lieu de ça, nous voyons une Fed qui a échangé la considération mondiale durement acquise du dollar contre quelques centaines de points pour le Dow. Les capitaines de Wall Street crient peut être victoire, mais les soldats sont encore dans les tranchées.
– Même si la Fed est parvenue à acheter quelques centaines de points pour le Dow, elle ne peut pas s’acheter une vitalité économique. Elle ne peut pas faire suffisamment de chèques pour maintenir à flots une économie américaine de 14 milliers de milliards de dollars. Aucun gouvernement, de toute l’histoire, n’a jamais réussi à s’acheter une prospérité économique. La Fed de Ben Bernanke n’y parviendra pas non plus.