Les secteurs de l’immobilier et de la finance donnent déjà des signes de faiblesse, et l’industrie exportatrice chinoise pourrait très bien trébucher à son tour vers la récession.
Un scénario qui relevait de la pure fiction en 2020 est en train de se matérialiser.
Petit à petit, les dominos de l’économie chinoise tombent et l’empire du Milieu semble se rapprocher de ce qui paraissait inconcevable avant les années Covid : une récession.
La semaine dernière, une entreprise de plus, Country Garden, a indiqué à ses créanciers qu’elle était dans l’incapacité de régler le paiement des intérêts de sa dette. Ce qui pourrait n’être qu’une péripétie comptable prend une toute autre dimension lorsque l’on sait que Country Garden est un promoteur immobilier d’importance systémique.
Le groupe affiche en effet un endettement de plus de 1 100 milliards de yuans (150 Mds€). Si son défaut de paiement est confirmé, il s’agira d’une défaillance majeure qui aura, à l’instar de celle d’Evergrande, des conséquences en cascade sur le reste de l’économie.
La nouvelle est d’autant plus inquiétante pour la Chine que les moteurs de la croissance calent les uns après les autres : immobilier bien sûr, mais aussi consommation intérieure et même production industrielle commencent à marquer le pas.
L’inévitable purge économique
Nous vous mettions en garde sur la matérialisation d’un scénario similaire à la crise des subprimes en Chine dès l’été dernier.
Les similarités entre l’économie chinoise de 2020 et l’économie américaine de 2008 étaient flagrantes. Tout d’abord, les deux géants voyaient leur économie réelle ralentir après des années de progression quasi-ininterrompue. Des premiers ajustements dans le comportement des acteurs économiques avaient été constatés, notamment avec une pause dans la hausse de l’immobilier. Enfin, et c’est cet élément déclencheur qui nous avait incités à tirer le signal d’alarme, les premières défaillances d’entreprises « too big to fail » ont eu lieu.
En Chine, c’est le promoteur Evergrande qui a été le premier à plier l’échine sous le poids de sa dette. Il a suffi d’un léger trou d’air dans les commercialisations de biens pour que le géant de l’immobilier ne puisse plus faire face à ses obligations de remboursements.
Ce qui était présenté à tort par les analystes comme un simple incident de parcours d’un promoteur réputé était en fait une vraie crise de solvabilité. Les comptes consolidés du groupe ont été rendus publics il y a quelques jours, lors du dépôt de bilan devant les tribunaux américains. Ils font état d’une dette de 340 Mds$ – qui ne sera évidemment jamais remboursée.
Le gigantisme de la somme la rend difficile à visualiser. Pour réaliser l’ampleur du séisme, il faut comprendre que ces 340 Md$ représentent pas moins de 2% du PIB de la Chine.
Cet été, c’est donc un second domino systémique qui tombe à son tour : Country Garden. Fondé dans les années 1990, Country Garden était un des plus grands promoteurs du pays qui a fait sa fortune sur le dynamisme immobilier des villes moyennes. Malgré une ampleur moindre qu’Evergrande, Country Garden engrangeait un chiffre d’affaires annuel de plus de 430 milliards de yuans (50 Mds€) en année pleine.
A son tour, il s’est avéré incapable d’honorer ses échéances obligataires durant le mois d’août. Si le défaut ne sera techniquement prononcé qu’après un délai de grâce de 30 jours, la restructuration semble inévitable.
Et, avec une dette estimée par Bloomberg à 1 400 milliards de yuans (176 Mds€), c’est un nouveau point de PIB chinois qui risque de s’évaporer, avec un fort risque de contagion au reste de l’économie.
Les épargnants tétanisés
Beaucoup d’analystes occidentaux imaginaient, sous le prisme de l’expérience américaine des subprimes, que la faillite d’Evergrande serait soit évitée par les pouvoirs publics qui ne pouvaient se permettre la faillite d’un groupe systémique, soit, au pire, une purge suffisante pour faire repartir le secteur de l’immobilier sur des bases plus saines.
Il n’en a rien été.
Tout d’abord, Xi Jinping n’a aucun problème de principe à voir les fleurons nationaux en péril et à faire tomber leurs dirigeants. D’aucuns pourraient même faire remarquer que des faillites régulières permettent au Parti de rappeler à tout un chacun que rien, ni personne, n’est au-dessus du PCC.
La faillite d’Evergrande était donc un prélude à une purge sectorielle massive. Les promoteurs ne seront pas sauvés par Pékin et, quoiqu’il en soit, les créanciers occidentaux seront les derniers à revoir la couleur de leur argent en cas de restructuration. Plus que jamais, le secteur est en péril et les investisseurs internationaux doivent prendre la mesure du danger qui plane sur l’ensemble des entreprises.
La pierre était, depuis la fin du XXe siècle, le premier véhicule d’épargne des citoyens. L’achat d’un appartement neuf drainait l’essentiel des économies des ménages.
Pour les plus audacieux, l’achat d’actions de promoteurs immobiliers était une manière de faire ses premiers pas en Bourse, et les généreux dividendes (jusqu’à 19% pour Evergrande en 2020, et plus de 8% pour Country Garden en 2021) servaient de complément de revenus dans ce pays où le système social est encore balbutiant.
Avec l’effondrement du prix de l’immobilier et les faillites des promoteurs, les investisseurs se retrouvent à perdre l’épargne accumulée durant une vie de labeur. Ils doivent faire une croix sur la perspective de rendement (dividendes ou loyers) comme sur le principal.
Signe qu’il ne s’agit pas d’une simple méfiance envers un secteur en bulle, le reste de la Bourse n’a pas profité de la panique des investisseurs qui aurait pu déclencher un mouvement de rotation vers les titres réputés plus sûrs. Contrairement au marché bancaire américain où les grandes banques ont profité à plein de la vague de faillite des banques régionales par effet de vases communicants, la Bourse de Shanghai a plongé avec l’immobilier. L’indice Shanghai Composite a terminé l’année 2022 en baisse de 15%, et les maigres 8,8% gagnés entre janvier et mars 2023 ont été perdus depuis.
Il faut dire que la confiance dans l’ensemble du système est en train de s’effondrer : le groupe financier Zhongrong a manqué des dizaines de versements sur ses produits d’investissement ces derniers mois, signe que l’assèchement des liquidités touche désormais l’ensemble du tissu économique.
Après l’immobilier et la finance, la consommation et la production ?
Le risque est maintenant que « l’effet richesse », mécanisme bien connu par lequel les particuliers augmentent spontanément leur niveau de consommation lorsque la valeur de marché de leur épargne illiquide augmente, se mette à fonctionner à l’envers.
Une nouvelle contraction de la consommation intérieure serait dramatique : l’indice PMI manufacturier chinois n’a été supérieur au seuil des 50 (ce qui signifie une croissance de l’activité) que trois fois au cours des douze derniers mois.
Alors que le pays s’enfonce dans la guerre commerciale avec les USA comme l’ont prouvé les dernières passes d’armes au sujet des semi-conducteurs, les mauvaises nouvelles industrielles s’accumulent. Les exportations, déjà en baisse régulière depuis début 2022, pourraient bien plonger de manière encore plus brutale, comme vous pouvez le voir sur le graphique ci-dessous :
Symbole fort, nous apprenions mi-août que l’usine Foxconn de Sriperumbudur, en Inde, produira la prochaine génération d’iPhone 15 quelques semaines seulement après les usines situées en Chine. Le déplacement du centre névralgique de la production des produits phares d’Apple de l’empire du Milieu vers la plus grande démocratie du monde a de quoi inquiéter Pékin.
Car si, après l’immobilier et la finance, l’industrie exportatrice commence à trébucher à son tour, la récession sera inévitable.
4 commentaires
Bien évidemment les élites gouvernantes chinoises ne sont pas commandées par les capitalistes ! De même que Poutine. D’où la guerre entre les Grands Marchands occidentaux et ceux qui leur résistent partout dans le monde.
Of course the Chinese governing elites are not commanded by the capitalists! As well as Putin. Hence the war between the Western Great Merchants and those who resist them all over the world.
Cette affaire rappelle aux plus anciens d’entre nous la fin de la décennie 80, époque héroïque où tous les meilleurs analystes prévoyaient que le Japon était en passe de dominer le monde car tous les indicateurs le démontraient.
La bonne nouvelle est que le pire à venir n’est pas sûr
La Chine ne sacrifira pas sa monnaie pour sauver des entreprises mal gérées et/ou financées par du shadow banking (classes sociales aisées, fonds de capital-risque). Les investisseurs et spéculateurs prennent une vraie leçon de capitalisme: le risque de pertes en cas de mauvaise allocation du capital.
Pas de socialisation de la dette et retour à une croissance plus saine même à 3%/an. Les 2,5% perdus de croissance provenant de l’immobilier sont financés par de la dette privée et étaient artificiels.
La Chine est endettées auprès de sa population comme le Japon d’ailleurs. Donc pas d’inquiétude, mis à part les conséquences dans la finance occidentale pour USA et Europe.
La Chine reste incontournable pour les terres rares et les savoir-faire acquis ces 2 dernières décennies.
Ses réserves de change sont considérables et elle est une des plus grosse détentrice de dettes américaines.
Le capitalisme d’Etat n’a jamais bien fonctionné (exemple de la Russie) mais les dirigeants de la Chine ont bien compris qu’il fallait en passer par là pour asseoir leur pouvoir. En tous cas, la population en profite au moins matériellement.