A Sintra, nos grands argentiers ignorent en grande partie les marchés… à part Jerome Powell, qui encourage les investisseurs à rester positifs.
Le sommet de Sintra au Portugal, où la plupart des banquiers centraux de la planète ont été invités par la BCE, pourrait constituer une répétition du sommet de Jackson Hole dans le Wyoming (pour sa 45ème édition), organisé par la Fed les 24, 25 et 26 août prochain.
Mais il est certaines répétitions où la spontanéité procure plus de sensations que la représentation devant un public nombreux et qui connait le programme par cœur… Ce qui est presque toujours le cas, car la Fed prépare soigneusement le terrain lorsqu’elle a un message à délivrer aux marchés.
La prestation de Jerome Powell à Sintra était attendue, mais, compte tenu de ses deux prestations d’il y une semaine devant le Congrès américaine, pas plus que celle de l’hôtesse de cette réunion de fin de semestre.
Mais s’il n’a pas fait d’annonces fracassantes, c’est justement ce qu’il n’a pas dit qui au sujet des facteurs inflationnistes qui est le plus riche d’enseignement.
Le nouveau quoi qu’il en coûte
Christine Lagarde avait pourtant donné le ton dès mardi : « L’inflation reste trop forte en Europe et l’institution va devoir poursuivre sa lutte contre la hausse des prix… quoi qu’il en coûte ».
Une formule dont les marchés ont pu apprécier la portée en juillet 2012 et fin mars 2020.
Sauf que ce nouveau « quoi qu’il en coûte » ne les convainc pas, mais vraiment pas du tout !
Alors que les « Gilts » évoluent en zone rouge (vers 4,40%) depuis la mi-juin, Andrew Bailey, le patron de la Banque d’Angleterre, a tenu à peu près le même langage ce 28 juin, en expliquant que la hausse inattendue de 50 points (vers 4,50%) décidée la semaine dernière visait à diminuer le taux d’inflation au Royaume-Uni, le plus élevé parmi les pays du G7 : « La BoE fera ce qu’il faut pour réduire l’inflation. »
Les invités ont ensuite pu se détendre avec la prestation du patron de la banque du Japon, Kazuo Ueda, lequel n’a pas voulu se prononcer sur une hausse imminente de taux malgré le recul du Yen vers 144,5 pour 1 $, un niveau à partir duquel il avait indiqué vouloir intervenir pour défendre la devise nippone.
Kazuo Ueda concède qu’il pourrait mettre fin à la politique monétaire ultra-accommodante en vigueur depuis près de 7 ans s’il devenait « raisonnablement certain » que l’inflation s’accélérerait en 2024 après une période de modération qui se dessine en cette fin de 1er semestre 2023.
L’inflation sous-jacente reste pour l’instant très proche de l’objectif de 2%, à la différence du CPI global qui caracole à 3,2% (après 3,4% en avril, ce qui résulte d’une forte décrue des prix de l’énergie).
Une ou deux hausses
Venons-en maintenant aux propos de Jerome Powell qui a repris l’essentiel des éléments de langage délivrés la semaine dernière devant le Congrès : « La lutte contre l’inflation se poursuit, nous sommes loin d’un retour à la normale et nous ne nous attendons pas à un retour de l’inflation sous-jacente sous les 2% cette année ou l’année prochaine, plutôt pour la suivante. »
Le patron de la Fed confirme que lui-même et la majorité de ses collègues ont estimé que « les taux devraient être encore relevés par deux fois : il n’a pas été décidé si ces hausses se réaliseront lors des deux prochaines réunions seront ou plus étalées dans le temps ». Avant de préciser qu’il « n’écarte pas la possibilité de hausse lors de deux réunions successives ».
Mais il n’a pas commenté le net rebond des ventes d’immobilier au mois de mai (qui ont déjoué tous les pronostics), après un sursaut déjà inattendu au mois d’avril.
Le moral des ménages américains s’améliore nettement en juin alors que le prix des carburants poursuit son reflux, ce qui redonne des marges pour des dépenses de loisirs au meilleur moment : les congés d’été démarrent ce week-end.
Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, Wall Street pourrait terminer le premier semestre calendaire ce vendredi au contact de ses plus hauts annuels, les valeurs impliquées dans « l’IA » culminant à des sommets historiques.
La bulle reste bien gonflée
Jerome Powell évoque le resserrement des « conditions financières » dans le domaine du crédit aux particuliers et aux entreprises, mais s’abstient de préciser qu’il continue d’alimenter les marchés financiers en liquidités, de façon à leur permettre d’absorber sans aigreur un programme d’émission massif de bons du Trésor (150 Mds$ par mois jusqu’à la fin de l’année).
Mais cela permet surtout à la bulle boursière de continuer de prospérer, via une expansion des multiples vertigineuse sur les sept plus grosses capitalisations du S&P 500.
Apple bat même le record historique de pondération dans un indice américain depuis les années 1980, avec un score de 7,3% du S&P et une valorisation supérieure à la totalité des titres composant le Russell 2000.
La santé insolente de Wall Street, à propos de laquelle Jerome Powell n’a émis aucune objection, continue d’alimenter un « sentiment de richesse » qui est à peine écorné par le repli des prix immobiliers.
Et, comme pour valider son approbation tacite, lorsque la journaliste de CNBC Sara Eisen lui a demandé si les récentes hausses des actions et des obligations étaient « contre-productives », Powell s’est bien gardé de se saisir de l’occasion pour tacler la complaisance ou l’exubérance de Wall Street. Il a plutôt répondu qu’il était fondamentalement d’accord avec l’optimisme dont font preuve les investisseurs.