Les remarques du président de la Fed sont associées à l’un ou l’autre oiseau. Dernièrement, c’est plutôt le faucon qui est mis en avant, donc l’idée d’une Fed qui prendrait des mesures fortes pour lutter contre l’inflation. En écoutant un peu plus que le début des discours, en revanche, c’est plutôt la colombe qui roucoule.
Nous évoquions hier la tendance à transformer le système économique pour le faire passer en état de guerre. C’est Ben Bernanke qui a lancé la machine aux Etats-Unis quand il était à la tête de la Fed, en réaction à la crise des subprime, et ni lui ni ses successeurs n’ont réussi à l’arrêter depuis.
Celui qui est en poste actuellement, c’est Jerome Powell. Le seul qui a tenté la démobilisation, mais qui s’est ridiculisé dans la manœuvre.
Lors de la dernière réunion du conseil des gouverneurs de la Fed, le FOMC, il était revenu à une position qualifiée de « hawkish », le faucon qui voudrait ici lutter contre l’inflation en relançant son idée de démobilisation.
Tout va bien, ou presque
Ecoutons donc Powell le « faucon » directement :
« L’activité économique s’est développée à un rythme soutenu l’année dernière. […] L’économie a fait preuve d’une grande force et résilience. […] Il y a un risque que l’inflation élevée que nous constatons se prolonge, et il y a un risque qu’elle augmente encore plus. […]
Nous avons un marché du travail extrêmement fort. […] Le marché du travail a fait des progrès remarquables et, à bien des égards, il est très solide. […] La demande de main-d’œuvre reste historiquement forte. […] Les employeurs ont du mal à pourvoir les postes vacants et les salaires augmentent à leur rythme le plus rapide depuis de nombreuses années. […]
La plupart des participants au FOMC conviennent que les conditions du marché du travail sont compatibles avec un emploi maximum. »
Il continue :
« Les ménages sont en meilleure santé financière qu’ils ne l’ont été. Les entreprises sont en bonne santé financière. Les défauts de paiement sur les prêts aux entreprises sont faibles. Les banques sont fortement capitalisées avec une liquidité élevée et assez résilientes et solides.
Il y a des inquiétudes dans le secteur financier non bancaire autour des fonds du marché monétaire, bien que la SEC ait fait des propositions très positives là-bas. Et nous avons également vu certaines choses sur le marché du Trésor pendant la phase aiguë de la crise que nous cherchons à résoudre. Mais, dans l’ensemble, je dirais que les vulnérabilités de la stabilité financière sont gérables. »
Conclusion : la guerre étant gagnée avec une large victoire, on va pouvoir remballer l’artillerie.
Un processus « ordonné et prévisible »
« La politique monétaire deviendra nettement moins accommodante. […] La meilleure chose que nous puissions faire pour soutenir les gains continus du marché du travail est de promouvoir une longue expansion, et cela nécessitera la stabilité des prix. […]
Le bilan de la banque centrale est beaucoup plus gonflé qu’il ne devrait l’être. Il y a donc une réduction substantielle du bilan à faire. Cela va prendre du temps. Nous voulons que ce processus soit ordonné et prévisible. »
On s’y croirait n’est-ce pas ?
On aurait tort !
Car remarquez que Powell n’a rien annoncé, rien décidé, ni hausse des taux ni date ou ampleur de réduction de la taille du bilan de la Fed. Il n’a fait qu’aligner les mots et les phrases; il a créé une ambiance.
Ce qu’a fait immédiatement remarquer Mohamed El-Erian, d’Allianz :
« La Fed a livré ce que j’attendais, mais pas ce que je pense être nécessaire pour un bien-être économique durable. Elle aurait dû cesser immédiatement d’acheter des actifs et donner un signal plus clair sur les hausses de taux. Au lieu de cela, la banque centrale a doublé son compromis de 2021 consistant à essayer de plaire aux marchés financiers tout en augmentant les défis à venir pour l’économie, c’est à dire qu’elle a repoussé l’élaboration de politiques saines et sa propre crédibilité. »
Après avoir mis les plumes du faucon, Powell a donné raison à El-Erian, il a roucoulé comme une colombe :
« Je pense que la voie est très incertaine, dans la mesure où nous nous engageons à utiliser nos outils pour nous assurer que la forte inflation que nous constatons ne s’enracine pas. Un certain nombre de facteurs soutiennent une baisse de l’inflation. »
Au final, la lutte ne serait pas si nécessaire…
La conférence de presse de Powell a permis de renforcer le côté colombe :
« Il y a d’autres forces à l’œuvre cette année, qui devraient également contribuer à faire baisser l’inflation […] y compris une amélioration du côté de l’offre […] la politique budgétaire sera moins favorable à la croissance cette année […]. Il y a donc de multiples forces qui devraient agir sur au cours de l’année pour que l’inflation baisse. »
Tiens tiens, finalement, on continue de miser sur la baisse spontanée de l’inflation et de se raccrocher à la théorie de l’inflation transitoire.
Dans son intervention, Powell a insisté sur la nécessité d’être « agile » (répété quatre fois), mais aussi « adaptable » et « humble » (deux fois chacun) :
« Il n’est pas possible de prédire avec beaucoup de confiance exactement quelle trajectoire pour notre taux directeur va s’avérer appropriée. Et donc, pour le moment, nous n’avons pris aucune décision sur la voie de la politique. Et je souligne à nouveau que nous serons humbles et agiles. »
Powell a été particulièrement prudent dans ses commentaires concernant la question brûlante de la réduction du bilan :
« La question du bilan est encore une chose relativement nouvelle pour les marchés et pour nous, nous sommes donc moins sûrs de nous. […] Nos décisions de réduire notre bilan seront guidées par nos objectifs maximaux d’emploi et de stabilité des prix. […] Gonfler puis réduire le bilan est compliqué, et cela implique inévitablement des surprises. Et donc, au cours des années du cycle précédent, nous avons modifié nos conceptions sur le bilan à plusieurs reprises. »
Général Jerome et docteur Powell
L’analyse serrée des interventions de Powell met en évidence deux parties tout à fait distinctes. La première est la partie faucon.
Dans cette partie, il faut sortir les griffes et tenir un discours de fermeté. C’est ce que j’appelle la partie politicienne, celle pour la masse.
Dans la seconde partie, la priorité est de nier, d’annuler le jeu du faucon et de sortir à nouveau la colombe de sa manche. Cette seconde partie est à destination des généraux, des élites, elle a pour objectif de les rassurer, et de réaffirmer : attention, certes, mais nous ne vous ferons pas de mal.
La réalité, ce n’est pas un ensemble de décisions concrètes – immédiates ou planifiées –, mais c’est qu’il faut attendre, se donner le temps, être humble et souple.
C’est par une manipulation tout à fait téléguidée que les médias et les gourous de Wall Street ont amplifié le message faussement faucon. Ils l’ont fait parce que c’est leur intérêt de faire croire qu’il en est ainsi, de collaborer avec Powell.
Le président de la Fed développe un « en même temps » : il ne fait rien de restrictif, mais, en même temps, il parle pour que l’écume du marché spéculatif retombe.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]
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La valse-hésitation du président de la Fed nous fait penser à la pièce de théâtre intitulée « En attendant Godot », du dramaturge irlandais Samuel Beckett (1953).
Cette pièce de théâtre met en scène deux personnages principaux, Vladimir et Estragon qui attendent en vain la venue d’un troisième personnage, Godot, qui finalement n’arrivera jamais.
Da façon analogique, nous pourrions assimiler Vladimir et Estragon aux acteurs majeurs des marchés financiers qui attendent fébrilement la décision finale de la Fed de jouer le rôle du faucon ou celui de la colombe.
Godot serait ainsi la décision finale tant attendue par les acteurs majeurs des marchés financiers.
On comprend que cette décision finale ne viendra jamais étant donné que la Fed cherche à ménager la chèvre et le chou.
Une « activité économique » qui a besoin d’être subventionnée a tout simplement perdu sa raison d’être : ce n’est plus une économie mais une dissipation, un gaspillage. Quand en France , je compare sur certains « projets » les montants d’argent public aux emplois soit disant créés, j’arrive à 400 000 euros par emploi ! Donnez moi ces 400 000 euros, je les enterre et je vis jusqu’à mes 100 ans avec dans ma maison de campagne sans jamais mettre de l’essence dans une voiture pour aller travailler !