Si la chaîne d’approvisionnement pour un produit du quotidien est déjà très longue, y ajouter la mondialisation rend l’ensemble encore plus complexe, ce qui a quelques avantages, et un colossal inconvénient.
Je n’ai pas exagéré les composants et les étapes de la fabrication d’une miche de pain dans l’exemple que je vous ai présenté hier – c’est au contraire une description encore très simplifiée de la chaîne d’approvisionnement réelle.
Une description complète de la chaîne d’approvisionnement nécessaire remonterait plus loin (d’où viennent les semences pour le blé ?) et se ramifierait dans des directions tangentielles (d’où proviennent les emballages du pain ?).
Une description complète de la chaîne d’approvisionnement d’une miche de pain, avec l’analyse du choix du fournisseur, les tests de contrôle de la qualité et les remises sur les achats en gros, entre autres branches de l’arbre de décision, pourrait facilement s’étendre sur plusieurs centaines de pages.
Une chaîne qui couvre le monde entier
Nous avons considéré ici que tous les liens de la chaîne d’approvisionnement et les éventuels goulots d’étranglement décrits précédemment sont exclusivement limités au niveau national. Mais très peu de chaînes d’approvisionnement sont en réalité aussi locales, dans le sens où les PDG, les ingénieurs en logistique, les consultants et les politiciens ont consacré les 30 dernières années à rendre les chaînes d’approvisionnement mondiales.
On entend parler de la mondialisation depuis le début des années 1990. Ce que l’on n’a peut-être pas réalisé, c’est que le processus qui était mondialisé était justement la chaîne d’approvisionnement.
Vous savez sans doute déjà que les iPhones sont fabriqués en Chine. Mais saviez-vous que le verre spécial utilisé dans l’iPhone provient de Corée du Sud ? Saviez-vous que les semi-conducteurs de l’iPhone proviennent de Taïwan ? Que la propriété intellectuelle et le design proviennent de Californie ?
L’iPhone se compose de stockage flash du Japon, de gyroscopes d’Allemagne, d’amplificateurs audio, de chargeurs de batterie, de multiplexeurs de port d’affichage, de batteries, de caméras et de centaines d’autres pièces complexes.
Au total, Apple travaille avec des fournisseurs dans 43 pays sur six continents pour se procurer les matériaux et les pièces qui entrent dans la fabrication d’un iPhone. Voilà un aperçu rapide de la chaîne d’approvisionnement de ce smartphone. Bien entendu, chaque fournisseur d’Apple possède sa propre chaîne de sources et de processus. Encore une fois, les chaînes d’approvisionnement sont immensément complexes.
De nouveaux maillons
Si nous ajoutons la perspective mondiale aux réflexions que je vous proposais hier, nous devons étendre nos options de transport par camions et par trains aux navires et aux avions. Cela signifie que les ports et les aéroports sont des maillons supplémentaires de la chaîne.
Ces installations ont leurs propres liens et équipements, notamment les grues, les conteneurs, les autorités portuaires, les contrôleurs aériens, les pilotes, les capitaines et les navires eux-mêmes. Et à notre liste de camions, trains, navires et avions, nous pouvons ajouter les pipelines qui transportent des liquides tels que le pétrole, l’essence et le gaz naturel.
Vous voyez le topo. Les chaînes d’approvisionnement sont peut-être cachées, mais elles sont partout. Elles sont étroitement interconnectées et d’une complexité inimaginable.
La clé de voûte de ces efforts a été le principe du juste-à-temps (ou just-in-time, en anglais). Si vous installez des sièges sur une chaîne de montage automobile, l’idéal est que ces sièges arrivent à l’usine le matin même de l’installation. Cela minimise les coûts de stockage et d’inventaire. Il en va de même pour chaque pièce installée sur la chaîne de montage. La logistique derrière tout cela est impressionnante, mais elle peut être gérée par des logiciels de pointe.
Tous ces efforts sont pertinents tant que tout fonctionne bien. Les économies de coûts sont réelles. Les chaînes d’approvisionnement sont efficaces. La capacité de ce système à maîtriser les coûts est démontrable.
Depuis le début des années 1990, la révolution de la chaîne d’approvisionnement consiste à réduire les coûts, ce qui se répercute sur les consommateurs sous la forme d’une baisse des prix. Cela explique pratiquement tout le phénomène.
Un colosse aux pieds d’argile
Il n’y a qu’un seul point noir. Le système est extrêmement fragile. Lorsque quelque chose coince, tout se grippe en même temps. Une livraison manquée peut entraîner l’arrêt de toute une chaîne de montage. Un navire retardé peut se traduire par des rayons vides. Une panne de courant peut entraîner une panne de transport.
En un mot, c’est ce qui est arrivé à la chaîne d’approvisionnement mondiale. Il n’y a pas de plan de secours. Le système n’est pas adapté aux chocs. Or, des chocs se sont produits (pandémie, guerres commerciales, découplage Chine-États-Unis, insuffisance de garanties bancaires, etc.) et le système s’est effondré.
Les défaillances se sont enchaînées. Les retards dans la réception des produits de base en Chine ont entraîné des retards de fabrication pour les exportations du pays. Les pénuries d’énergie notamment ont entraîné de nouvelles perturbations dans la production d’acier, l’exploitation minière, le transport et d’autres industries de base.
Les pénuries de semi-conducteurs en Asie ont interrompu la production de produits électroniques, d’appareils électroménagers, d’automobiles et d’autres biens de consommation durables qui dépendent d’applications automatisées dans le monde entier.
En fin de compte, si les chaînes d’approvisionnement s’effondrent, l’économie s’effondre. Si l’économie s’effondre, l’effondrement de l’ordre social n’est pas loin derrière.
Et les coûts du désordre social sont bien plus élevés que les éventuelles économies réalisées grâce à des chaînes d’approvisionnement prétendument efficaces.