La récession en Zone euro devrait se monter à 8,7% en 2020, selon les dernières estimations de la Commission européenne. Les plans de relance s’enchaînent les uns après les autres, ce qui a pour effet de faire exploser les déficits budgétaires.
Certains Etats-fourmis, comme l’Allemagne, viennent de s’offrir un plan de relance digne des cigales les plus impatientes, ce qui n’a pas manqué de faire la joie des partisans de l’intégration budgétaire européenne.
A l’échelon supérieur, les Etats membres de la Zone euro et la Commission sont en train de négocier un gigantesque plan de relance, dans un ciel européen qui reste en permanence illuminé des coups de bazookas de la BCE. Pour pleinement apprécier les enjeux de ce qui se déroule à Bruxelles et à Francfort, il faut avoir à l’esprit l’évolution de la situation sur le front de la dette publique, puisque la mise en place de l’euro en a fait le fil directeur de l’intégration européenne.
Préambule lexical : cigales, fourmis, PIGS, pays du Nord, pays du Sud, buveurs de vin, buveurs de bière, radins, frugaux, etc.
Depuis la crise sanitaire et les annonces politiques qui s’en sont suivies en Europe, deux nouveaux qualificatifs ont émergé pour distinguer les Etats qui préfèrent afficher un solde budgétaire positif de ceux qui se complaisent à voir leurs comptes publics baigner dans le rouge.
Alors que les chefs d’Etat ou de gouvernement des Pays-Bas, d’Autriche, du Danemark et de Suède se sont eux-mêmes décrits comme les quatre « frugaux » (c’est-à-dire simples, sobres dans leur façon de vivre), les étatistes qui leur font face se sont empressés de les rebaptiser « les quatre radins ».
Il ne s’est à ma connaissance pas trouvé grand monde chez nos politiques et dans nos médias nationaux pour trouver quoi que ce soit à y redire. Il n’y a là rien de très étonnant à une époque où l’irresponsabilité fait office de vertu, et où les droits-créances sont ancrés dans les esprits comme d’indéboulonnables acquis sociaux, une grande partie de la population ayant oublié que le socialisme a des limites.
« Le problème avec le socialisme, c’est que tôt ou tard, vous finissez par arriver à court de l’argent des autres. »
Je me suis d’ailleurs permis de soumettre cette remarque à l’un des chantres du recours à l’argent des autres, mais ça n’a pas donné grand-chose.
Il me semble important de rappeler qu’à partir de 2008, certains s’offusquaient que d’autres se permettent de regrouper le Portugal, l’Italie, la Grèce et l’Espagne sous l’acronyme de PIGS (« porcs », en anglais). Douze and plus tard, voilà qu’on ne trouve rien de mieux à faire que d’insulter des chefs d’Etat et de gouvernements, et leur population avec, au prétexte qu’ils ont adopté un comportement budgétaire jadis qualifié de « vertueux ».
Heureusement, certains commentateurs, qu’ils soient d’ailleurs en faveur de l’intégration européenne ou non, sont là pour relever le niveau.
Bref, en ce qui me concerne, je n’emploierai pas ce genre de vocabulaire ; j’en resterai aux traditionnelles classifications géographiques et culinaires ainsi qu’à la bonne vieille métaphore de la cigale et de la fourmi, laquelle a le mérite de décrire justement la situation sans pour autant jeter l’opprobre sur qui que ce soit.
Ces quelques considérations linguistiques posées, il est temps de passer aux chiffres.
Pour la première fois, l’endettement public de la Zone euro va dépasser les 100% de son PIB
La plupart des Etats membres de la Zone euro ont réagi à la crise sanitaire en confinant strictement leur population. Pour remédier à la crise économique qui s’en est suivie, des déficits publics très importants ont vu le jour dans tous les Etats membres de la Zone.
Le 29 mai, Natixis voyait la situation budgétaire quasi neutre de la Zone euro en 2019 se dégrader jusqu’à atteindre -8% en 2020, et -6% encore en 2021.
Le 6 juin, l’IIF a publié une estimation des besoins de financement nets des pays de la Zone euro en vue de contrer la crise économique en 2020 et 2021. Il en ressort que l’Espagne et l’Italie vont avoir besoin de pas mal d’argent frais.
Au total, l’endettement public de la zone bondirait ainsi d’un peu plus de 85% du PIB en 2019 à presque 105% en 2020.
Dans le détail, la situation de départ au 31 décembre 2019 était la suivante, selon les derniers chiffres d’Eurostat.
Comme le relève l’institut statistique :
« Les ratios les plus élevés de la dette publique par rapport au PIB à la fin du quatrième trimestre 2019 ont été enregistrés en Grèce (176,6%), en Italie (134,8%) et au Portugal (117,7%) et les plus faibles en Estonie (8,4%), en Bulgarie (20,4%) et au Luxembourg (22,1%). »
La France arrivait alors en cinquième position, à 98,1% du PIB, après avoir temporairement passé la barre des 100% (100,1%) à l’issue du troisième trimestre 2019.
En 2020, l’Allemagne voit sa dette publique bondir de 60% à 75% de son PIB : et après ?
Berlin a évidemment un sacré bout de chemin à faire si elle veut combler l’écart qui la sépare depuis 2008 de Paris en matière de dette publique.
Il n’en reste pas moins que, comme nous l’avons vu dans notre précédent billet, l’Allemagne est subitement passée du statut de champion de l’austérité à celui de gros dépensier de l’Europe. Son ratio dette publique/PIB devrait passer de 59,8% fin 2019 à plus de 75% en 2020.
Reste à voir si Berlin saura renouveler l’« exploit » qui avait suivi la relance budgétaire post-2008 en contractant à nouveau sa dépense publique pour retourner autour des 60%, ou bien si elle optera pour un destin « à la française »…
France : les 120% enfin en ligne de mire !
Cocorico, nous allons bientôt franchir une nouvelle étape dans la constitution de notre montagne nationale de dette publique !
Aux dernières nouvelles, « le gouvernement table sur une dette proche de 120% fin 2020 », nous annonçaient indiscrètement Les Echos le 2 juin. Voilà une performance bien méritée puisque l’exécutif français s’efforce de « garder son cap », ce qui est généralement synonyme au pays de Molière de « dépenser toujours plus d’argent public » – mais je ne vous apprends rien.
Il y a quoi qu’il en soit de très fortes chances que notre dette publique dépasse les 115% d’ici la fin de l’année, comme l’a annoncé le ministre de l’Action et des Comptes publics le 24 mai.
A ce niveau-là, la France signe définitivement son entrée dans le très vulnérable club des pays du sud.
Nous y serons au coude-à-coude avec l’Espagne, dont le gouvernement anticipe un accroissement de la dette publique de 95,5% fin 2019 à 115% fin 2020.
Qui dit mieux ?
Italie : la dette publique à plus de 150% fin 2020 ?
Rome, bien sûr ! De nombreux commentateurs lui prévoyaient au mois de mai un destin à plus de 150% du PIB en matière de dette publique…
… ce qui en ferait son plus haut niveau depuis la fondation de l’Etat italien en 1860.
Les Etats fourmis tenus de contribuer au tonneau des Danaïdes pour sauver l’euro ?
Bref, autant dire que l’IIF ne risque pas de nous annoncer une baisse du taux d’endettement mondial lors de son prochain Global Debt Monitor.
Le problème, en ce qui concerne la Zone euro, c’est qu’elle a en son sein trois mastodontes surendettés – l’Italie, la France et l’Espagne – dont la situation budgétaire n’est pas tenable sans une intégration européenne toujours plus poussée, au sens de l’apport de garanties par les Etats fourmis vis-à-vis de la dette des autres Etats de la Zone euro.
Comme l’écrivait Natixis le 13 mai au sujet de l’Italie…
« Toutes les crises et récessions font craindre aux investisseurs qu’une crise de la dette publique apparaisse en Italie qui menacerait l’intégrité de l’euro. […] le taux d’intérêt à long terme maximum sur la dette publique de l’Italie […] est de l’ordre de 2,2%. Il serait de 2% sans la détention de la dette publique de l’Italie par la Banque centrale [européenne]. Pour que le taux d’intérêt à long terme reste inférieur à ce niveau en Italie, la seule solution est que l’Italie continue à profiter de la protection de la BCE et de la mutualisation des dettes publiques au niveau européen. »