La CJUE s’est récemment prononcée en faveur de la politique pro-européenne plutôt qu’en faveur de la réduction des risques santé.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a décidé de ne pas renverser l’interdiction du tabac snus (poudre de tabac humide). La cour motive cette décision par une argumentation de politique de santé publique.
En janvier de l’année dernière, la New Nicotine Alliance (NNA) a fait appel contre l’interdiction de l’UE de 1992 sur le tabac sans fumée, connu comme “snus”. Le snus est du tabac en poudre, souvent vendu dans des petits sachets préemballés de la taille d’un index, que l’utilisateur place dans la bouche, entre la gencive et la lèvre supérieure.
On le confond parfois avec le tabac à priser, qui reste considéré comme légal. Le snus comporte des risques pour la santé et peut également entraîner une dépendance à la nicotine, mais il réduit le risque de maladies pulmonaires. Le produit est particulièrement populaire dans les pays scandinaves.
Selon les chiffres d’Eurostat, les taux de tabagisme en Suède – qui a négocié une dérogation à l’interdiction du snus lors de son adhésion à l’UE en 1995 – sont les plus bas de toute l’Europe. En fait, ils sont à environ la moitié de ceux de la plupart des pays européens et sont trois fois moins élevés qu’en Bulgarie, en Grèce, en Hongrie ou en Turquie.
Il est difficile d’imaginer que le snus ne joue pas un rôle là-dedans, car il n’est pas considéré comme du tabac. De même, les statistiques norvégiennes révèlent que 2017 a été la première année où les personnes de 16 à 74 ans ont consommé plus de snus que de cigarettes.
La négation du principe de la réduction des risques : entre deux maux choisissons le pire
Les conseils de la Commission européenne, du Conseil européen, du Parlement européen, de la Norvège et du Royaume-Uni défendaient l’interdiction auprès de la Cour. Parmi les arguments présentés figuraient la nécessité de réduire la consommation de tabac sous toutes ses formes et le fait que le snus pouvait être considéré comme une porte d’entrée vers les cigarettes conventionnelles.
Non seulement il n’y a aucune preuve scientifique à l’appui de l’allégation de « drogue d’introduction », mais il est également bizarre que l’UE interdise la drogue d’introduction tout en permettant la vente de cigarettes, une drogue qu’elle considère plus dangereuse. Les défenseurs du snus ont subi un coup dur lorsque l’avocat général danois Henrik Saugmandsgaard a conclu que le snus est un danger pour la santé, ce qui légitime son interdiction.
Dans un arrêt publié le 22 novembre, la Cour s’est prononcée contre la ré-autorisation du snus dans l’Union européenne.
Les partisans du snus se comptaient parmi les entreprises fabricantes dont l’intérêt financier est évident. Mais ils argumentaient aussi sur la réduction des méfaits : les fumeurs de cigarettes peuvent cesser de fumer par le snus.
Oui, le snus n’est pas un produit inoffensif en soi, mais c’est une meilleure alternative que la cigarette. L’objectif de la santé publique ne devrait-il pas être d’encourager ce processus de réduction des risques ?
L’arrêt de la Cour de justice fait preuve d’un parti-pris profond contre le principe de la réduction des risques. Le tribunal rejette l’expérience de la Norvège et de la Suède et déclare que le snus comme méthode de sevrage tabagique est « incertain ». Il parvient aussi à affirmer qu’il y a un « risque d’effet de passerelle » du snus au tabac. Le fait d’appeler cela un simple risque dispense les juges de prouver la relation de cause à effet. Pour l’instant, rien n’a été prouvé.
Deux paragraphes de la décision ressortent clairement :
« En effet, les produits du tabac à usage oral demeurent nocifs pour la santé, ont un caractère addictif et sont attractifs pour les jeunes. En outre, comme il a été constaté au point 26 du présent arrêt, ils représenteraient, en cas de mise sur le marché, des nouveaux produits pour les consommateurs. Or un tel contexte est toujours susceptible d’induire les États-membres à adopter des dispositions législatives, réglementaires et administratives diverses visant à mettre fin à l’expansion de la consommation de produits du tabac à usage oral. »
Rien dans ce paragraphe 58 n’est faux. Le snus est nocif pour la santé, il peut créer une dépendance et il est attrayant pour les jeunes (comme on l’observe dans les pays scandinaves). Il est également exact que le produit serait nouveau et que certains États-membres seraient enclins à réglementer au niveau national. Mais rien, non plus, ne contredit donc les allégations de réduction des risques.
« En outre, en ce qui concerne plus particulièrement l’allégation de Swedish Match selon laquelle l’autorisation donnée à la commercialisation des autres produits du tabac et des produits connexes démontrerait le caractère disproportionné de l’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral, il y a lieu de rappeler qu’une mesure de l’Union n’est apte à réaliser l’objectif recherché que si elle répond véritablement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique […]. »
Ce paragraphe 59 de l’arrêt est le plus révélateur des motivations politiques du tribunal. Swedish Match pose une question intéressante : pourquoi le snus est-il illégal alors que d’autres produits plus nocifs, comme les cigarettes, sont légaux ?
Le paragraphe contient beaucoup de jargon juridique, mais il renvoie dans ses arguments à une décision plus ancienne.
En substance, la CJUE affirme que les règles de l’UE contre le tabac visent à protéger la santé publique, ce qui signifie que tout changement sur le marché qui pourrait, de quelque manière que ce soit, rendre un produit plus intéressant pour les consommateurs est contraire à l’objectif de la loi.
En fait, la Cour ne nie pas qu’une interdiction du snus est disproportionnée en soi, mais qu’étant donné le contexte des objectifs de la politique de santé publique, une interdiction est justifiée. La Cour a choisi clairement con camp : confirmer les politiques de l’Union européenne plutôt que d’appliquer une justice neutre et proportionnée.
Le snus permet de réduire les risques et offre aux fumeurs une solution pour arrêter la cigarette.
Oui, les consommateurs ne choisissent pas toujours l’option la plus saine pour eux-mêmes, mais s’ils se voient offrir des choix sur le marché, ils pourraient réduire leurs risques. Il serait plutôt bienvenu d’avoir une Cour pragmatique fondant ses décisions sur les faits plutôt que sur les idéologies politiques du moment.