** Ainsi donc, nous y voilà ! La petite fête annuelle des marchés financiers — intercalée entre la Saint Nicolas et le réveillon de Noël — s’annonce particulièrement réussie cette année : les opérateurs n’ont pas lésiné sur les préparatifs afin que la « journée des trois sorcières » du millésime 2006 laisse un souvenir impérissable.
Prenez par exemple l’Eurotop 100, qui retraçait hier son record annuel à 3 100 points. L’indice paneuropéen le plus représentatif des places boursières du Vieux Continent aligne pas moins de neuf séances de hausses consécutives — soit un ébouriffant sans faute depuis le 1er décembre. Cela malgré la dégringolade du dollar sous les 1,33/euro (survenue entre le 25/11 et le 13/12), malgré la remontée du baril de pétrole de 60 $ jusque vers 62,5 $ ce jeudi 14/12, et malgré la hausse de 0,7% des prix à l’importation (hors énergie) au mois de novembre aux Etats-Unis.
Nous pourrions certainement allonger la liste des « malgré » en passant en revue toutes les statistiques publiées aux Etats-Unis depuis Thanksgiving… mais les investisseurs auraient choisi par bonheur de ne retenir dans l’intervalle que les rares rayons de soleil observés entre deux averses de chiffres macro-économiques médiocres.
Quelques éclaircies se sont développées dans le secteur du marché du travail… mais nous n’avons pas le souvenir que les embauches aient jamais reculé au mois de novembre depuis le début du siècle, compte tenu des recrutements massifs de salariés temporaires dans la grande distribution ou les enseignes spécialisées. L’embellie est également incontestable sur le front des ventes des détails (la chute du prix des carburants à la pompe a permis aux ménages d’accroître leurs dépenses festives de 1% fin novembre)… mais Wal-Mart s’attend à une stagnation de son chiffre d’affaire (à périmètre constant) en 2007.
Le tableau devient nettement moins réjouissant aux Etats-Unis lorsqu’il s’agit de la production industrielle, des commandes de biens durables, et du déficit commercial… Pour ce dernier, la diminution mécanique de -8,5% en octobre — dans le sillage des coûts de l’énergie — dissimule mal une dégradation structurelle dans le domaine des services ou des produits finis et semi-finis, principalement face à la Chine, mais également face à l’Inde ou la Corée du Sud, en passant par Taiwan, Hong Kong et Singapour.
Mais comme nous l’a expliqué Ben Bernanke, ce qui constituerait un handicap rédhibitoire pour n’importe quelle autre nation belliqueuse, fortement débitrice et amatrice de gaspillages de toute nature, ne ferait que renforcer l’attrait qu’exercent les Etats-Unis sur les capitaux asiatiques ou moyen-orientaux. Comme nous l’expliquions la veille, l’Amérique possède une alliée économique infaillible qui s’appelle Boucles d’Or.
** Les Russes continuent de résister à ce genre contes de fées (il est vrai que les légendes slaves ne baignent pas dans le miel et les bons sentiments) : ils considèrent le dollar ou les T-Bonds comme de la monnaie de singe. Poutine et ses principaux lieutenants, qui ont fait main basse sur 70% des richesses du pays (estimation « conservatrice » des experts occidentaux), ont certainement de bonnes raisons de se méfier du miracle à la Bernanke, et de se gausser de la prétendue influence protectrice du merveilleux sortilège baptisé Goldilocks.
Les agences de renseignement héritières du KGB ont mis leur talent et leur capacité à collecter de l’information au service des oligarques moscovites. Ces derniers se préoccupent désormais beaucoup moins de préparer une future guerre froide que des moyens les plus judicieux de recycler les masses de pétrodollars qu’ils encaissent en tant que premier producteur mondial de brut.
Et nul ne doute qu’avec l’appui financier et technologique de la Chine et du Japon, la Russie va creuser encore un peu plus l’écart avec l’Arabie Saoudite et les Emirats du Golfe Persique au cours des dix années à venir.
L’influence de l’OPEP (réunie à l’heure où j’écris ces lignes à Abuja, au Nigeria) s’étiole pour cause d’indiscipline de ses membres. Une nouvelle réduction des quotas de production (-500 000 barils/jours à 25,8 millions de barils/jour) peut bien être votée pour le début de l’année 2007, cela n’émeut personne. Les bons connaisseurs du marché physique savent en effet pertinemment que de nombreux pays trichent — et notamment ceux qui ne font pas mystère de leur anti-américanisme viscéral !
L’OPEP tente cependant de reprendre la main et d’accentuer son emprise sur l’évolution des prix pétroliers : le conseil vient de voter à l’unanimité l’admission de la République d’Angola, qui devient ainsi le douzième membre de plein droit. Elle pèse actuellement 1,4 millions de barils/jour mais pourrait monter à deux millions d’ici 2010.
La manœuvre semble avoir en partie réussi, puisque le WTI se hissait à proximité des 63 $ ce jeudi soir sur le NYMEX, ce qui ne freinait en rien l’irrésistible ascension du Dow Jones. L’indice phare américain fera une fois encore la une de tous les journaux télévisés avec son nouveau record historique inscrit à plus de 12 425 points jeudi soir (soit +0,9%).
** Les +0,6% du CAC 40, qui vient d’égaler — à un mois de distance — son précédent zénith annuel des 5 516 points (le 16 novembre dernier) font « petit joueur », en comparaison… mais le marché parisien a déjà assuré l’essentiel, à savoir respecter la « divine proportion » de 15% de retour sur investissement.
Les valeurs françaises s’offrent même un petit bonus de 2% supplémentaires, alors que le Dow Jones se contente d’un dépassement symbolique de 1%… Le Nasdaq, qui grimpait in extremis de 0,9%, reste loin du compte avec 11,3% de performance annuelle.
Cela représente tout juste la moitié des gains engrangés par les valeurs allemandes, et à peine le tiers des 34% de hausse des valeurs espagnoles, dopées par le dynamisme des pays émergents d’Amérique du Sud ou d’Amérique Centrale — sans oublier le premier d’entre eux : le Mexique.
Et pendant que l’Espagne caracole de record en record et encaisse des excédents budgétaires et commerciaux, la France découvre qu’elle est victime d’une gigantesque arnaque à la TVA (à base d’entreprises exportatrices fantômes) portant sur 12 à 15 milliards d’euros… Tandis que toute la classe politique française ne savait plus comment exprimer son émoi devant l’annonce de l’exil fiscal de notre Johnny national vers les contrées helvétiques. Nous sommes passé l’an dernier devant son chalet de Gstaad : il n’a rien de tapageur, ce n’est qu’un « deux pentes » parmi tant d’autres, avec une belle haie de conifères et un tas de bûches rangé à l’aplomb du toit. Il en existe de beaucoup plus imposants et de plus luxueux aux alentours, tous équipés de l’incontournable abri anti-atomique.
Ils appartiennent à des familles saoudiennes, des acteurs anglo-saxons (nous avions croisé au détour des rues piétonnes du centre du village des visages familiers comme Jude Law, Nicolas Cage ou Jack Nicholson), des industriels et banquiers helvétiques, des têtes couronnées de l’Europe entière… mais également du continent africain.
Des « résidents » souvent 10 fois, 100 fois, voire 1 000 fois plus riches que Jean-Philippe Smet… mais qui payent moins d’impôts dans leur pays d’origine que l’artiste d’origine franco-belge : il va de soi que rien ne doit changer chez nous, c’est au reste de la planète d’adapter sa fiscalité à celle qui s’applique dans l’Hexagone.
De même, il n’y a toujours aucune raison de s’émouvoir que l’actionnaire tricolore parte avec un handicap de -27% par rapport à un membre de sa famille opérant depuis Bruxelles ou Amsterdam. La France a de grands principes en matière de justice sociale, et les grands principes, ça se paye… d’un grand éclat de rire pour ces 5 000 Français qui ont délocalisé entre 10 et 12 milliards d’euros hors de nos frontières en l’espace de 25 ans.
Philippe Béchade,
Paris