** La question est toujours en suspens. La marée s’est-elle retirée ou non ?
* Nous regardons les bouteilles de bière et les canettes de soda. Flottant à la surface des flots, elles devraient nous indiquer le sens du courant. Mais elles semblent bien incertaines ; bloquées dans des tourbillons et des remous, il est difficile de dire dans quel sens flottent les ordures. Et les marchés n’arrivent toujours pas à se décider.
* Les prêts subprime… et les investissements de pacotille qui en découlent… semblent clairement se retirer. Ils emmènent avec eux une bonne partie des plus-values, des réputations et des carrières les plus brillantes de Wall Street. Bon nombre de dirigeants ont déjà été jetés par-dessus bord. Des centaines de milliards de pertes ont été inscrites ou prévues. Les maîtres de l’univers n’ont plus l’air aussi génial qu’il y a quelques mois de ça.
** Oui, tiens, rappelons-nous les génies du private equity. Lorsque la marée de liquidités mondiales était à son plus haut, aucun navire ne flottait plus fièrement. Mais comme Marx le disait du capitalisme dans Das Kapital, nous pensions que le private equity serait défait par ses contradictions internes.
* Cela n’avait pas de sens. Les investisseurs individuels peuvent sans aucun doute faire mieux que leurs concitoyens de temps en temps. S’ils ont de la chance… et s’ils font leurs devoirs… ils peuvent trouver des entreprises que "le marché" a mal évaluées. Mais l’idée du private equity, c’est que de grandes compagnies d’investissement sophistiquées pouvaient y parvenir opération après opération. Les sociétés de private equity prétendaient être plus intelligentes que tout le monde. Elles pouvaient trouver des actifs de valeur que des millions d’autres investisseurs avaient manqués… Et la vanité ne s’arrêtait pas là : elles prétendaient ensuite trouver des moyens d’améliorer les entreprises qu’elles achetaient — faisant des changements que, d’une manière ou d’une autre, les précédents dirigeants n’avaient pas réussi à voir ou à mettre en place.
* Quel pain mangeaient ces génies du private equity ? Quel air respiraient-ils ? Comment avaient-ils pu devenir supérieurs à tel point qu’ils pouvaient non seulement repérer les sociétés sous-évaluées mieux que tout le monde… mais également les gérer plus habilement ?
* Pendant un temps, cela sembla presque vrai. Les sociétés privées achetaient des sociétés cotées, leur ravalaient la façade, les chargeaient de dettes et les revendaient aux mêmes investisseurs boursiers.
* Puis les prétentions absurdes se muèrent en contradictions ridicules. Les sociétés de private equity se tournèrent vers les investisseurs boursiers en leur offrant de leur vendre des actions ! "Nous sommes tellement plus intelligents que vous", dirent-ils. "Mais nous allons vous donner le moyen de participer ; nous allons vous permettre d’acheter des parts de notre société".
* Qu’était-ce ? Le private equity allait prendre l’argent des investisseurs pour acheter des entreprises sur les marchés de manière à en extraire tout le jus pour ensuite les revendre aux investisseurs. Combien de temps cela pouvait-il durer ? Pas longtemps. Comme nous l’avions prévu, lorsque les demi-dieux du private equity sortirent de l’eau… ils coulèrent derechef.
* "Si les sociétés de rachat sont si malignes", demandait un titre du New York Times, "pourquoi se trompent-elles autant ?"
* Les raisons de leurs erreurs résident dans la chose même qu’elles sont censées maîtriser : passer des accords. Depuis l’été, lesdits accords partent en lambeaux. Les experts du rachat n’achètent plus. Ils quittent le navire, abandonnant les deals qu’ils trouvaient si merveilleux. Cerberus, par exemple, abandonne un dépôt de 100 millions de dollars plutôt que de poursuivre son acquisition à quatre milliards de dollars d’United Rentals.
* "Les circonstances ont changé", disent les sociétés de private equity.
* Sur ce point au moins elles ont raison. Le problème, c’est qu’anticiper un changement de circonstances, c’est précisément ce qu’on est censé faire, sur les marchés financiers. Les bons accords devraient pouvoir survivre aux changements de circonstances. Parce que les circonstances changent sans arrêt.
** Pensez aux malheureuses dindes ! Non, nous ne parlons pas des pigeons du private equity, ou des trop crédules prêteurs subprime. Nous parlons des dindes, de la variété à plumes. Elles sont — pardonnez-nous l’expression — comme des coqs en pâte. Elles mangent bien… elles vivent dans des abris bien tièdes… on leur donne même des soins médicaux. Pour l’instant, la vie des dindes n’est que luxe, calme et volupté. Les choses vont en s’améliorant de jour en jour. Et tout à coup… qui aurait pu le croire ? Dans quelques semaines, tout va changer ; les circonstances évolueront de manière tout à fait dramatique pour une majorité de dindes.
* Nous avons le sentiment que les circonstances ont changé radicalement pour une majorité d’investisseurs aussi. La marée se retire, disons-nous. Mais avec tant de courants qui tourbillonnent ici et là, il est difficile d’en être certain.