▪ Cette semaine, M. le Marché a regardé de haut en bas et décidé de rester plus ou moins là où il était.
Cette semaine marquait aussi l’anniversaire de l’Armistice. Le 11 novembre 1918 à 11h du matin, les canons se sont tus ; la "grande saignée" prit fin.
Nous étions pris ailleurs, mais Elizabeth a assisté aux cérémonies du souvenir en Normandie :
"Les noms de plus d’1,3 million de Français ayant péri durant la Grande guerre sont inscrits sur des monuments dans les villages et villes de France. Le village de Courtomer a son propre monument : une colonne de pierre portant la flamme de la victoire, couchée sur le côté — la jeunesse frappée dans la fleur de l’âge, peut-être.
Le président de l’association des vétérans hochait sombrement la tête en se rendant au vin d’honneur. Il est difficile de motiver les vétérans, ces temps-ci. ‘Ceux de la Première Guerre mondiale ont une bonne excuse’, a gentiment noté le maire. Ils seraient plus que centenaires, aujourd’hui.
La commémoration a commencé par une messe. Les vétérans se sont rassemblés derrière l’autel, drapeaux levés ou abaissés selon la liturgie. Le prêtre a mené la procession au sortir de l’église, puis les vétérans et une poignée de connaissances se sont rendus au Monument aux Morts. La gerbe traditionnelle a été posée au pied du monument par les maires de Courtomer et du canton voisin de Ferrières. Le maire de Courtomer a prononcé un petit discours évoquant les batailles de la Première Guerre mondiale. Il y a un peu plus de 100 ans, en 1915, la seconde bataille d’Ypres a fait 100 000 victimes, nombre d’entre elles ayant succombé aux nuages empoisonnés de gaz moutarde utilisé par l’armée allemande".
Le grand’père d’Elizabeth était canadien. Lorsque la guerre a commencé, toutes les colonies britanniques ont appelé leurs jeunes hommes à aider à combattre les Huns. Quelques semaines plus tard, le jeune soldat Owen, tout frais débarqué de la chasse à l’élan dans les bois de Nouvelle-Ecosse, se battait pour sa vie à Ypres. Il survécut et pilota plus tard un biplan armé d’une mitraillette — synchronisée de manière à ne pas tirer dans l’hélice. Le système de synchronisation étant à la pointe de la technologie militaire, il devait être protégé à tout prix. De sorte que lorsqu’il fut abattu derrière les lignes allemandes, le pilote mit le feu à son réservoir pour que l’avion brûle avant de pouvoir être étudié par les Allemands. Cela eut un résultat terrifiant : les Allemands soulignèrent que l’avion capturé était leur propriété, non la sienne — sa destruction était donc un acte de sabotage pour lequel il pouvait être fusillé sur le champ. Au lieu de cela, il passa les deux années suivantes dans un camp de prisonniers de guerre.
▪ Dans quel but ?
Ypres fut la première bataille où l’on utilisa du gaz toxique à grande échelle. Le soldat W. Hay, arrivant à Ypres le 22 avril 1915, décrivit ce qu’il voyait :
"Nous savions que quelque chose n’allait pas. Nous avons commencé à marcher vers Ypres mais nous ne pouvions pas avancer à cause des réfugiés allant en sens inverse sur la route. Nous avons suivi la ligne de chemin de fer jusqu’à Ypres ; il y avait des gens, des civils et des soldats, couchés le long de la route dans un état épouvantable. Nous les avons entendus dire que c’était à cause du gaz. Nous ne savions même pas ce qu’était ce satané gaz. Lorsque nous sommes arrivés à Ypres, nous avons trouvé beaucoup de Canadiens allongés là, morts à cause du gaz de la veille, les pauvres diables. C’était une vision tout à fait horrible pour nous autres jeunes soldats. Je n’avais que 20 ans, cela a donc été assez traumatisant ; je ne l’ai jamais oublié et je ne l’oublierai jamais".
Les Canadiens ont été particulièrement touchés durant la Première Guerre mondiale. Ils ne savaient pas dans quoi ils mettaient les pieds. Mais ils n’ont pas reculé et ne se sont pas enfuis. Un récit d’une attaque dans le no man’s land par une compagnie originaire de Terre-Neuve est particulièrement émouvant. Il raconte qu’ils avançaient dans une tempête de balles "comme si c’était un blizzard". Ils "rentrèrent le menton et continuèrent d’avancer" jusqu’à être tous tués.
Et pour quoi ? Des millions de morts. Des maisons détruites. Du temps perdu. Et pour rien qu’on puisse définir précisément. La Première Guerre mondiale a été un tel désastre mal ficelé que quiconque y a été impliqué devrait avoir honte.
Aujourd’hui, les soldats de la Première Guerre mondiale ont disparu. Les soldats de la Deuxième guerre mondiale tombent comme des Canadiens à Ypres. Les quelques vieux soldats qui se sont rassemblés en Normandie étaient pour la plupart des vétérans de la guerre d’Algérie, un autre conflit affligeant.
Les historiens débattent encore des causes de la Première Guerre mondiale. Les Américains remercient leurs militaires pour les services rendus à la patrie, s’abstenant généreusement de demander quelle en était l’utilité. Et à 11h le 11ème jour du 11ème mois de l’année, en Terre-Neuve, le coeur d’une vieille femme se serre probablement, se rappelant le coût de tout cela.
3 commentaires
Rectification: Votre article parle de l’épisode de Roland Garros, touché par des Territoriaux bavarois affectés à la défense des voies et contraint de se poser derrière les lignes allemandes au nord de Courtrai le 19 avril 1915. Une balle ayant atteint le moteur, il parvient à incendier son avion. Mais il faut savoir Que Fokker travaillait sur le même sujet deux ans déjà avant le début de la guerre, donc en 1912. Deux brevets ont déjà été déposés en Allemagne, décrivant un système d’entraînement de l’arme par un moteur propulsif (Euler en 1912) ou sa synchronisation avec un moteur rotatif, l’arme étant commandée au pied par le pilote (Franz Schneider en 1913, que l’on peut considérer comme l’inventeur du principe).
J’ajoute que Fokker a mis au point un tir synchronisé à travers l’hélice d’une grande fiabilité avec une mitrailleuse Parabellum. Le crantage entre le moteur et la détente permettait le déclenchement du tir, tandis que le système pneumatique jouait sur la pression des gaz dans le moteur qui agit sur la détente de l’arme en réglant ainsi sa cadence (Brevet du 12.06.1916). Son système s’imposera pour sa fiabilité auprès des autres constructeurs et motoristes et mettra en action jusqu’à 3 mitrailleuses fixes. Ce système a été installé sur un monoplace d’avant-guerre sous la désignation Fokker M.5K/MG (MG pour Maschinengewehr; mitrailleuse), puis sur un Fokker E I. Quand il apparaît à l’été 1915, le Fokker E I manque de puissance avec son moteur Oberursel de 80 ch, mais le 1er août, Immelmann remporte sa première victoire avec le nouveau système. Rapidement des modèles améliorés, E.II, mais surtout E.III à partir de décembre, entrent en ligne, équipés d’un Oberursel rotatif de 100 ch et de deux mitrailleuses Parabellum ou Maxim.
En mai 1914, Raymond Saulnier déposait aussi un brevet portant sur un dispositif de tir synchronisé avec l’hélice, mais ce système se révéla peu fiable. Même si les allemands n’engagent les Fokker qu’à l’intérieur de leurs lignes pour garder le secret du tir synchronisé, la chasse détient un avantage majeur qui met les Français et les Anglais en position d’infériorité. Ironie de l’Histoire, un appareil allemand est à son tour capturé le 8 avril 1916, révélant le secret au alliés et leur permettant de le copier. Voilà la vraie histoire du tir synchronisé.
Bravo et merci pour l´article.