** Acheter le Dow, c’est parier sur une classe d’actifs toute entière — les grandes valeurs. Vont-elles monter, vont-elles baisser… nous n’en savons rien. Mais si nous avons envie de jouer, nous irons au casino ; là-bas, au moins, il y a de quoi boire — et des jolies filles à regarder.
* Investir dans une action bien précise, c’est complètement différent. On peut toujours trouver une ou deux valeurs raisonnables — même dans un marché surévalué. Si vous faites vos devoirs — comme Warren Buffett, par exemple — vous ferez un investissement. Nous laissons aux autres le soin d’effectuer les travaux de force. A la Chronique Agora, nous nous contentons de montrer du doigt… et de rire.
* Nous avons ri des acheteurs de dot.com durant la frénésie de la fin des années 90. Ensuite, nous avons ri des acheteurs de subprime dans la bulle immobilière de 2001-2006. Nous rions toujours de quiconque "investit" dans un hedge fund. Et nous aimons par-dessus tout rire des institutions les plus "sophistiquées" — dont font partie bon nombre de hedge funds — mettant leur argent dans des contrats dérivés composés de prêts subprime. Les investisseurs de ces fonds sont tellement crédules qu’ils sont persuadés que, par une mystérieuse transsubstantiation inexpliquée, les prêts accordés à des gens incapables de les rembourser peuvent être tranchés, empaquetés et transformés en crédit Triple A. De plus, ces investisseurs étaient prêts à abandonner 2% de leur investissement principal et 20% de leurs gains à ceux qui leur offraient de participer à l’affaire !
* Ha… ha… ha…
* Mais il faut rendre à Goldman ce qui est à Goldman. Ils ont donné aux investisseurs ce qu’ils voulaient — dans les grandes largeurs. Ils ont titrisé ces prêts louches… les ont fourgués à leurs clients… puis, afin de se protéger des pertes inévitables… ils les ont vendu à découvert !
* Et voilà que Goldman déclare que l’immobilier résidentiel californien — précisément ce qui fournit le nantissement de ces crédits titrisés — est surévalué de 40%
* Non, nous ne rions pas de Goldman Sachs… nous les saluons. Tout investisseur assez bête pour se tenir au bord d’un tel précipice mérite qu’on le pousse. Goldman s’est empressé de le faire — et a fait de beaux profits par la même occasion.
** Le soleil se couchait sur les Andes. L’air était immobile. La température était parfaite. Francisco sirotait tranquillement son mate. Jorge regardait votre correspondant avec nervosité — se demandant s’il devait appeler la police ou le médecin.
* Nous finissions notre visite du ranch en nous informant du bétail. Nous avions envie de nous excuser. Mais à qui ? Pour quelle raison ?
* Pour autant que nous puissions en juger, Jorge et Francisco avaient mis toutes leurs cartes sur la table. Les chiffres étaient justes. Il y avait du fourrage… et il y avait du bétail. Nous avons étudié leurs visages. Ecouté leurs voix. Ces gens ne faisaient pas de campagne électorale, ils ne vendaient pas de hedge fund et ils ne dirigeaient pas la Fed. Il s’agissait de gauchos, de ranchers… sans la moindre propension au mensonge, sans la moindre trace de forfanterie ou d’escroquerie. Nous avons pris notre décision : c’était des hommes à qui nous pouvions faire confiance.
* Tout était en ordre. Les factures… les dépenses… les stocks… les vaches.
* "L’année a été épouvantable", a résumé Francisco, "mais même ainsi, les vaches ne sont pas aussi maigres qu’on pourrait le craindre".
* Nous ne savions pas quoi craindre. Les seules vaches que nous ayons côtoyées de près sont françaises — et ces dernières jouissent toujours d’une santé insolente. En France, l’herbe est généralement si épaisse que c’est à peine si les vaches ont besoin de bouger. Les températures sont modérées. Le soleil n’est jamais trop chaud… les nuits sont rarement trop froides. La vie d’une vache, en France, ressemble à une tendance haussière en Bourse : son seul inconvénient, c’est le jour où elle prend fin.
* Combien les vaches argentines seraient jalouses, si elles pouvaient les voir ! Sur le ranch, c’est à peine si on trouve un brin d’herbe à des kilomètres à la ronde. Elles errent dans le désert, mangeant ce qu’elles peuvent trouver — à nos yeux, cela ressemble fortement à des broussailles. Et lorsqu’elles ont soif, elles doivent parcourir des kilomètres pour trouver l’un des minuscules ruisseaux coulant sur nos terres. Les jours sont brûlants ; les nuits sont froides.
* En France, une vache est censée avoir un veau par an. Rares sont celles qui n’y arrivent pas. Et chaque veau est accueilli comme un héritier royal, surveillé et dorloté avec soin jusqu’à ce qu’il soit prêt à être expédié.
* Dans le désert, par contre, seule la moitié des veaux parvient à naître et survivre. Bon nombre d’entre eux succombent aux conditions trop dures. D’autres sont tués par des pumas.
* " Señor Bonner, nous sommes au bout du monde", expliquait Jorge. "Nous sommes le dernier bastion avant les salares. Rien ne peut y vivre. Et même ici, il faut se battre".
* "Tout de même, nous ne nous en sommes pas trop mal tirés", a ajouté Francisco. "Cette année, on rentrera dans nos frais, même après avoir acheté tout ce foin — enfin, on rentrera dans nos frais si on peut vendre les novillos".
* "Qu’est-ce que c’est qu’un novillo ?"
* "Ce sont les bêtes que les ‘squatteurs’ nous donnent au lieu de payer un loyer. Dans les collines, des gens vivent sans aucun argent. On trouve que c’est dur, ici — mais c’est encore plus dur là-haut. Ils élèvent quelques vaches, des chèvres, des moutons. Et au lieu de nous payer un loyer sur les terres, ils nous paient en nature… avec des bêtes. On essaie de les faire passer à un loyer en argent, mais ils n’ont rien : on prend donc 5% de leurs troupeaux chaque année. On les appelle des novillos parce que ce sont en majeure partie des mâles. Castrés, généralement. Mais ils sont si maigres. Et c’est une race mêlée… très robuste… mais très dure. Personne ne veut les acheter".
* "Ceci dit, si on peut les vendre, on rentre dans nos frais sur cette année", a continué Francisco. "Bien entendu, je ne peux rien dire pour l’année prochaine".
* "Vous n’attendez pas une autre sécheresse, quand même ?"
* "Non… j’espère que non".
* "On devrait donc enregistré un profit, puisqu’on n’aura pas besoin d’acheter de fourrage".
* "Oui, mais à cause de la sécheresse cette année… et des conditions si dures — on a aussi un des hivers les plus froids de l’histoire — nous n’avons pas eu beaucoup de veaux. On n’en aura donc pas beaucoup à vendre. Je suis désolé, Don Bill… mais l’an prochain, on perdra probablement de l’argent".