▪ On pensait les marchés actions en croissance éternelle arrosés par la déferlante de fausse monnaie. Mais les indices décrochent depuis le début de la semaine : CAC, S&P 500, Nasdaq, Nikkei, Bombay, Shanghai…
On croyait les marchés obligataires sous contrôle, arrosés par la déferlante de fausse monnaie et les rachats sur le marché secondaire de la dette souveraine des pays surendettés. Mais les rendements redressent la tête aux Etats-Unis et en Europe.
Les marchés semblent maintenant pris d’un doute. C’est que, voyez-vous, la vengeance des vraies choses sera terrible et nous en voyons peut-être les prémices.
Que s’est-il passé ? Remettons un peu d’ordre dans ce puzzle dont les pièces n’arrêtent pas de se déformer pour reprendre l’image de Bill Bonner. Un drame se déroule sous nos yeux.
▪ Acte 1 : La Fed imprime des dollars sans vergogne
Il le faut. C’est indispensable pour sauver l’économie américaine et donc la croissance mondiale. Le but : créer un sentiment de richesse. Faire grimper les actifs pour relancer l’immense machine de la consommation à crédit.
En coulisse, les metteurs en scène savent aussi qu’il le faut pour éviter que les rendements obligataires ne grimpent. Car les Etats-Unis ont besoin de s’endetter toujours plus et il ne faudrait pas que les acheteurs boudent le T-Bills, T-Notes et autres papiers d’Etat. Toute augmentation de taux d’intérêt serait fatale.
▪ Acte 2 : l’émission monétaire provoque une hausse des prix mondiale
Ce savant plan fonctionne. Les marchés montent. Le problème, c’est que tout monte aussi. Notamment les produits agricoles dans les pays émergents. La Chine resserre ses taux. Le Brésil aussi. Les Bourses émergentes commencent à hésiter. Shanghai, Bombay… La hausse des taux directeurs, c’est toujours mauvais pour les actions.
▪ Acte 3 : la révolte populaire éclate là où on ne l’attendait pas
Il y a les pays émergents. Ceux dans lesquels les conditions de vie de la population s’améliorent et le pouvoir d’achat augmente. Et il y a les laissés-pour-compte. Les pays dans lesquels la population est jeune et au chômage, dans lesquels l’augmentation du prix de la nourriture est une catastrophe, dans lesquels les conditions de vie ne s’améliorent pas.
La Tunisie ? Pas grave, petit pays qui vit du tourisme.
L’Egypte ? Embêtant, ça, il y a le canal de Suez. Les projecteurs médiatiques se braquent. Le pétrole monte, dépasse les 100 $ le baril.
La Libye ? Là, il ne s’agit plus de l’acheminement de quelques barils. Il s’agit d’un producteur de 1,6 million de barils par jour, de taille similaire au Mexique, à l’Angola, au Royaume-Uni, au Kazakhstan… A comparer aux 87 millions de baril par jour nécessaires pour faire tourner le monde. Moins de 2% de perturbation mais les marchés s’affolent : le baril s’approche de 105 $.
La Libye terrorise les marchés parce que la hausse du pétrole ne présage rien de bon. Cette hausse se répercutera sur toutes les autres matières premières. Les émeutes peuvent se propager. Déjà les résultats des entreprises montrent que les marges commencent à se rétrécir. Un cours de Bourse n’est pas autre chose que des bénéfices en devenir.
Une tragédie classique a cinq actes. Il en reste deux à écrire.
Une hausse des matières premières, des Bourses émergentes qui commencent à piquer du nez, cela ne vous rappelle rien tout ça ? Oui, bien sûr : le début du krach de 2008. A partir d’octobre 2007, l’indice de Shanghai avait fait un refus d’obstacle. Le pétrole et les matières premières ont poursuivi leur hausse pour atteindre un sommet mi-2008. Ensuite ce fut la crise du crédit subprime et l’effondrement.
Cette fois, ce n’est pas le crédit subprime qui risque de s’effondrer. C’est tout bonnement le crédit souverain. Avouez que c’est plus… tragique.
Ben Bernanke va découvrir que la fausse monnaie a des effets secondaires qu’il ne maîtrise pas. Les bonnes comédies utilisent toujours les mêmes vieilles ficelles, notamment l’arroseur arrosé. Mais là, les ravages seront tels que ce sera une tragédie.
[Simone Wapler est analyste, journaliste et ingénieur de formation. Elle a déjà contribué à des publications telles que Le Point, Enjeux, Les Echos, Chart’s… Spécialisée dans les valeurs industrielles, les matières premières, les énergies, l’or, les minières Simone Wapler est passionnée par les investissements « tangibles » et c’est ce qu’elle met chaque semaine au service des abonnés de L’Investisseur Or & Matières. Elle analyse chaque mois le secteur aurifère dans la lettre d’investissement Vos Finances. Elle est aussi la rédactrice en chef du magazine MoneyWeek, dont cet article est extrait.]