Alors que l’an III de la crise s’ouvre dans nos pays riches — de dettes et de maux –, les enseignements légués par la Grande dépression sont votre botte secrète. Et ces actions, qui ont résisté à l’épreuve du temps, constituent le gage de votre prospérité.
Tirer des leçons de la Grande dépression permet de sortir gagnant de la crise actuelle. Les similitudes entre les deux krachs d’ampleur inégalée sont en effet saisissantes. "Un des faits troublants avec la Grande dépression est qu’elle fut sévère, globale, et a duré plus d’une décennie — et qu’elle est survenue à la suite de l’éclatement d’un boom immobilier et boursier, de façon assez similaire aux événements qui ont précédé la crise actuelle",écrivait, fin septembre, l’économiste Robert J. Shiller dans le quotidien suisse L’Agefi.
Qu’y a-t-il devant nous ? Encore sept années de malheurs, au bas mot. C’est le décompte des économistes Carmen et Vincent Reinhart dans une publication d’août. Après une crise financière, il faut s’attendre à une décennie de marasme économique. Nous n’en commençons que la troisième année.
▪ Pris entre tempêtes et accalmies…
Les trois premières années de ce qui allait devenir la Grande dépression comme les trois que nous venons de vivre ont été sanglantes pour la Bourse. Entre le lendemain du Jeudi noir d’octobre 1929 et avril 1930, le S&P 500 a perdu la moitié de sa valeur. Entre le 15 septembre 2008 et le 9 mars 2009, le S&P a abandonné 43%, le CAC 40 39%.
La décennie boursière 1930 est celle des montagnes russes. Certes, les rebonds entre 1932 et 1937 atteignent 30% en moyenne — même 66% durant les cent premiers jours de la présidence Roosevelt. Mais le marché reste fondamentalement baissier. En septembre 1929, le S&P valait 31,3 points ; il stagne à 12 points 10 ans plus tard. Aujourd’hui, S&P et CAC n’ont toujours pas retrouvé leurs niveaux d’avant le trépas de Lehman Brothers.
▪ … il y a plus à perdre qu’à gagner
De quoi déprimer. Même les économistes se sont cassé les dents. En septembre 1929, Irving Fisher assure que"les prix des actions ne sont pas trop élevés et que Wall Street ne connaîtra rien de la nature d’un krach". Optimiste borné, il investit l’argent de sa femme et de sa belle-soeur en actions en 1930 et 1931. Il n’en reverra pas la couleur.
Si le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale a été, d’un point de vue économique, bénéfique, il n’en a rien été sur le plan financier. Investir en septembre 1939, c’était se retrouver sur la paille à la mi-1942. "Après le krach de 1929, n’importe quelle personne investissant au début d’une phase de stabilisation du marché aurait perdu plus des trois quarts de son argent en deux ans",explique John Authers dans le Financial Times. Il a fallu vingt-cinq ans pour renouer avec les plus-hauts de 1929. Cela promet.
Pour autant, il y a eu des coups à faire pour qui a eu le nez creux entre 1932 et 1937 comme entre mars et l’automne 2009. Les ratios de valorisation des actions sont devenus alléchants, tombant au-dessous de leur moyenne historique (16,3 fois depuis 1881). Voyez le PER (rapport cours sur bénéfice) moyen des actions américaines : 25,2 fois en septembre 1901, 32,5 en septembre 1929, à peine plus de 5 en juin 1932, 44,1 en décembre 1999, moins de 15 en 2009. Comment peuvent encore survivre la stratégie de "buy and hold"et le vieil adage "à 10 ans, vous êtes toujours gagnant sur les actions" ?
"Il y a eu de puissants rebonds dans les années 1930, mais ils n’ont jamais été tenables, ni n’ont permis à l’activité économique de retrouver des niveaux de bénéfices normaux et à la population de retrouver le marché du travail", corrige Bill Baker, dans le Daily Reckoning.
▪ Nos économies se noient sous l’argent facile
"Il est faux de dire que lorsque vous cassez un miroir, vous aurez sept ans de malheur. C’est une superstition. Mais si vous laissez un marché financier tourner en roue libre jusqu’au point de rupture, vous encourrez effectivement le risque d’années de malaise économique. C’est un schéma historique",assène l’économiste Robert J. Shiller.
Les autorités américaines ont mal piloté le début de la crise des années 1930, et des leçons en ont été tirées. "En 2008-2009, la Réserve fédérale a été très agressive […], mais, depuis lors, elle n’a pas fait grand-chose, à part réinvestir l’argent des emprunts hypothécaires. La politique de Ben Bernanke a été la bonne pour stopper la faillite des banques, mais, ensuite, la Fed s’est arrêtée en chemin. Pendant longtemps, elle n’a cherché qu’à lutter contre l’inflation. Mais on est loin de ce danger actuellement",explique l’historien Niall Ferguson.
La perfusion monétaire, voilà le remède d’urgence utilisé dès 1932 comme en 2009. Malheureux en Bourse, Irving Fisher retourne sa veste et devient un fervent avocat de la reflation. On doit l’invention de la planche à billets au président Franklin Roosevelt.
Aujourd’hui, les rotatives tournent à plein régime avec les quantitative easing I et II. Comme au jeu du Monopoly, la banque ne peut faire faillite et imprime à gogo de nouvelles coupures. Par deux fois, les gouvernements ont donc tenté la même réponse : substituer l’endettement public à l’endettement privé. Entre 1932 et 1942, l’endettement total américain (ménages et public) a fondu de 300% du PIB à 160%. Il approche à nouveau les 100%, ce qui n’est pas tenable quand le moteur de la croissance est par ailleurs grippé.
Citons une autre étude d’économistes, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (Growth in a time of debt, Croissance dans un monde d’endettement, dans l’American Economic Review, mai 2010). Leur conclusion : la dette publique extérieure dépasse 60% du PIB et la croissance annuelle baisse de 2% ; elle atteint les 90% et le taux de croissance est amputé d’un quart.
Voyez à très long terme (1790-2009) : la croissance annuelle du PIB américain était de 4% avec une dette au-dessous de 30% mais de — 1,8% avec une dette trois fois plus lourde. Seule l’endurance des économies émergentes nous a évité de voir le PIB chuter de 9%, moyenne historique après une crise financière.
Ce fardeau de la dette a remis la solution de l’hyperinflation au goût du jour. Rien de tel au programme. Si, dans les émergents, l’inflation suit le niveau de dette, ce n’est pas si automatique dans nos pays. "Même en jetant l’argent par les fenêtres, il n’y aura pas d’inflation aux Etats-Unis",assure Niall Ferguson. C’est même la déflation que veut combattre la création monétaire de la Fed.
[Alexandra Voinchet est journaliste, diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, dans la spécialité Médias. Elle est également titulaire d’un master de Presse économique de l’Université Paris Dauphine. Après deux ans d’expérience en presse financière et boursière, elle a rejoint l’équipe du magazine MoneyWeek.]
Première parution dans MoneyWeek le 6/01/2011