▪ Tout semblait encore aller pour le mieux à Wall Street, Londres ou Paris en milieu de semaine — et même jeudi matin. Vous auriez trouvé sans difficulté nombre d’investisseurs prêts à vous démontrer que nous allions revivre en ce mois de juillet un scénario assez comparable à celui que nous avions connu exactement à la même époque, un an auparavant.
Nous allions pouvoir nous émerveiller une fois encore de résultats trimestriels scintillants comme une véritable pluie d’étoiles filantes. Les entreprises multinationales auraient ri d’une conjoncture moins porteuse dans les pays occidentaux grâce au gisement de croissance inépuisable que recèlent la Chine, l’Inde et même les plus grands pays d’Amérique du Sud.
Les optimistes n’avaient pas fini de décliner leur surenchère en matière de performances boursière que la correction s’est enclenchée. Cela fut brutal et sans véritable signe précurseur, si ce n’est une situation technique de surachat.
▪ La seconde moitié du mois de juillet ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. Aucun indice avant-coureur de rebond technique ne se dessinait vendredi à la mi-séance à Wall Street. Le S&P chutait de 2,5% et le Nasdaq de 2,75%, tandis que le Dow Jones replongeait vers 10 100 points.
Même si la séance avait bien mal commencé, sous l’impact d’un recul sensible des places européennes et d’un trou d’air de -2,85% à Tokyo, nous n’aurions pas misé notre argent de poche du week-end sur l’hypothèse d’une chute de 2,5% des indices américains.
Il fallait un catalyseur. Ce fut la publication du baromètre mensuel concernant la confiance des ménages américains : tombé à 15h55, il agit comme un véritable coup de massue s’abattant sur Wall Street. Le score de juillet, qui s’établit à 66,5 contre 76 en juin, a été jugé « désespérant » ; il faut préciser que le consensus tablait sur un effritement de -1,5, à 74,5.
Cette chute est tout simplement la plus brutale depuis le 11 septembre 2001. L’opinion sur les conditions actuelles a plongé de 10 points à 75,5 ; les personnes sondées invoquent la dégradation du marché de l’emploi mais également l’instabilité des marchés financier.
▪ Nous venons de vivre une bien étrange semaine où les mouvements boursiers — pas toujours explicables sur le moment mais étonnamment violents — se sont succédé sans logique économique évidente, au gré d’anticipation contradictoires. Cela témoigne d’une versatilité psychologique qui trahit une véritable perte de repères de la part des investisseurs.
Les marchés des changes se sont montrés eux aussi très volatils dans l’intervalle, ce qui a renforcé le sentiment d’insécurité.
Le CAC 40 a replongé de pratiquement 4% en 48 heures, dont -2,3% ce vendredi. La semaine s’achève sur une consolidation de -1,5%, qui apparaît cependant modeste en regard des 6,15% gagnés la semaine précédente.
Sur les places européennes, la correction a été assez comparable en intensité. On enregistre -2,1% pour l’Euro-Stoxx 50 et -1,9% pour l’Eurotop 100. La tendance a été plombée par Bank of America, qui plongeait contre toute attente de 8% à 14,15 $, malgré des trimestriels supérieurs aux estimations.
▪ Même constat sur General Electric (GE) : de bons chiffres, une direction qui se veut résolument optimiste… mais un cours qui chutait de 4% peu après l’ouverture !
Dans le détail, Bank of America a engrangé un bénéfice net de 3,1 milliards de dollars, en léger repli par rapport au 3,2 milliards de l’année dernière à la même époque ; le bénéfice s’est établi à 27 cents, alors que les spécialistes anticipaient en moyenne 22 cents.
Pour le conglomérat géant GE, le résultat net augmente de 14% à 3,3 milliards de dollars au deuxième trimestre 2010. Le bénéfice atteint les 30 cents par action, quand les analystes déclaraient s’attendre en général à 26 ou 27 cents seulement.
Citigroup était également en repli de 3,6% après publication de ses trimestriels. Une fois encore, un profond fossé semble s’être creusé entre les estimations officielles destinées au grand public et les « whisper numbers » [chiffres officieux, NDLR.] qui circulent entre initiés dans les salles de marché.
▪ Les marchés sanctionnent surtout de mauvais chiffres sur le front macro-économique — une véritable série noire cette semaine. De nouveaux indicateurs américains ont renforcé ce vendredi les doutes sur la vigueur de la croissance. Rappelons que la Fed avait fait part des siens dès mercredi à l’occasion du compte-rendu de sa dernière réunion de politique monétaire.
La semaine écoulée a également été marquée par l’une des plus fortes hausses hebdomadaires de l’euro au cours de la dernière décennie : +3,6% à 1,3020 $, avant un léger repli vers 1,2930 $ en fin d’après-midi.
C’est un mouvement dont la brutalité ne saurait s’expliquer par le seul enchaînement des chiffres décevants publiés depuis mardi dernier. Après tout, le billet vert a déjà résisté à pires désillusions ces derniers mois.
Peut-être s’agissait-il d’un phénomène purement spéculatif, lié au rachat de positions lourdement vendeuses depuis fin mai, sur fond de problème de surendettement de plusieurs Etats européens… Mais peut-être aussi que les cambistes s’inquiètent maintenant de la question des « municipal bonds » aux Etats-Unis — véritable épée de Damoclès qui pointe vers le coeur des grands équilibres budgétaires américains.
Ils sont déjà largement compromis, mais pas une agence de notation occidentale n’oserait en prendre prétexte pour priver l’Amérique de son flamboyant « AAA ».
▪ Wall Street a peut-être tort de se réjouir : la Chine possède elle aussi une agence de notation dénommée « Dagong Global Credit Rating » (DGCR)… et tient à ce que cela se sache. Pas question de publier une première enquête globale sur la dette souveraine des 50 premières économies mondiales qui ressemble à un bol d’eau tiède.
Et si la Chine espérait que la sphère financière tende enfin l’oreille lorsque des experts asiatiques émettent un avis motivé sur la qualité des émissions obligataires des pays occidentaux, le but est largement atteint.
DGCR frappe très fort pour son premier rapport. Elle a dégradé simultanément les notations « AAA » des Etats-Unis (à « AA ») et de l’Allemagne (à « AA+ »), ainsi que de la Grande-Bretagne et de la France (à « AA-« ). L’Espagne, la Belgique et l’Italie se sont vues sanctionnées d’un peu rassurant « A-« . Le buzz était garanti de la City à Manhattan en passant par Tokyo et Singapour !
L’agence chinoise — qui note les émissions domestiques « AA+ » — explique clairement sa méthodologie. Elle n’évalue pas la solidité de la dette d’un pays en fonction du nombre d’ogives nucléaires détenues (c’est une plaisanterie assez répandue au sujet des agences occidentales mais ce n’est pas si éloigné de la vérité) mais privilégie la notion de « potentiel de création de richesse et de capacité de remboursement ».
Elle prend également en compte le volume des réserves de change. Cela s’avère crucial dans le cas d’un pays présentant une situation fortement débitrice auprès de créanciers non résidents (le Japon, surendetté, échappe au risque de fuite de ses bailleurs de fonds).
Dans le classement de Dagong, le précieux « triple A » n’est accordé qu’aux pays nordiques comme la Norvège ou le Danemark. Il concerne aussi la Suisse, le couple Australie/Nouvelle-Zélande (qui regorgent de richesses naturelles) et Singapour — qui ignore ce qu’est un déficit.