▪ La semaine dernière, c’était le Jour de Nettoyage des Tombes, jour férié ici à Taïwan, d’où écrit votre correspondant. Sans tombe à nettoyer, votre chroniqueur a profité de ce week-end prolongé pour s’envoler pour Bornéo et faire renouveler son visa. L’île n’est qu’à trois heures de vol au sud de Taipei et, avec l’expansion des vols bon marché dans la région, on peut faire l’aller-retour pour seulement 150 $. Pas mal.
J’ai atterri à Kota Kinabalu, une petite ville pittoresque de la côte ouest, avec quelques îles tropicales accessibles par un court trajet en ferry depuis le vieux port anglais de Jesselton. L’endroit, comme vous pouvez l’imaginer, est paradisiaque. Les gens arborent ces sourires qu’on voit dans les brochures d’agences de voyage. Les fruits de mer sont très bon marché et fraîchement pêchés tous les jours. Les spots de plongée sous-marine sont spectaculaires et l’eau est fraîche et limpide.
Comme vous devez vous en douter, ces quelques jours ont été très relaxants… à l’exception d’un léger détail…
▪ La pluie est tombée drue le premier après-midi, rendant impossible l’excursion dans les îles proches. Pendant que j’attendais dans ma chambre d’hôtel, je suis accidentellement tombé sur la chaîne CNBC à la télévision. D’habitude, à Taïwan, je ne regarde pas beaucoup la télévision, et je n’entends pas non plus très souvent d’accent américain, ma première réaction a donc été d’apprécier cette familiarité. C’était comme d’avoir un vieil ami avec moi… du moins pendant une seconde.
Peut-être que j’ai vécu à l’étranger pendant trop longtemps… ou peut-être que je suis devenu cynique avec l’âge. Peut-être les deux. Quoi qu’il en soit, je vous recommande de ne JAMAIS polluer votre week-end dans les îles avec un média de masse quelconque. Il m’a fallu plus d’un cocktail et au moins une heure de plongée dans l’eau cristalline avec un tuba dans la bouche avant de pouvoir me sentir de nouveau "propre".
Qu’est ce que c’est que ces imbécilités de "route vers la reprise" ? Ces gens ne savent donc pas que le monde est en phase prolongée de désendettement ? Ils ne savent pas que nous sommes en train de nous remettre d’un demi-siècle d’expansion du crédit — un demi-siècle passé à vivre bien au-dessus de nos moyens ? Ils ne savent pas que les économies occidentales souffrent d’hémorragie et que les pansements sous forme de plans de relance sont, au mieux, temporaires ? Ils ne savent pas que vivre sur la demande volée sur l’avenir, avec une monnaie faible, n’est pas le genre de reprise sur laquelle on construit un avenir plus beau et plus souriant ? Ils ne savent pas que les gens réduisent leurs dépenses ? Que la bière est le nouveau champagne… que Bornéo est le nouveau St Bart ?
En un mot : non.
L’espace d’une minute, j’ai cru me retrouver dans l’optimisme inconscient qui régnait durant la Bulle Epoque. Les présentateurs se sont largement étendus sur les chiffres de l’emploi de vendredi dernier, ils ont chantonné au sujet du rally boursier, des actions décisives et salvatrices de la Fed, et ils ont lancé les paris pour savoir quand les marchés atteindraient 11 000 points, tout en inscrivant déjà 12 000, 13 000, 14 000… et plus encore sur le script des prochaines nouvelles télévisées. Etrangement, nous avons eu le sentiment que le mot "reprise" était écrit en surimpression durant toute l’émission, comme une campagne publicitaire subliminale mal faite dans un vieux cinéma. Mais non. C’est bien la version officielle.
Est-ce que quelqu’un est prêt à avaler ça ? Est-ce que les présentateurs croient vraiment à ce qu’ils disent ? J’en frissonne rien que d’y penser…