▪ Le Nasdaq 100 aligne une onzième progression consécutive, c’est déjà en soi un record. Mais il y a plus fort encore : les technologiques progressent pour la dix-neuvième fois sur une série de 22 séances. Cela commence à tenir du prodige, voire du surnaturel !
L’une des conséquences les plus remarquables, c’est le recul de l’indice VIX du stress boursier au contact des 17,5, c’est-à-dire à proximité immédiate du plancher des 16,5 du 10 janvier dernier.
Vous pouvez interroger n’importe quel spécialiste de l’analyse technique. Même si la théorie invite à demeurer acheteur tant que le marché grimpe, 11 séances de hausse d’affilée, cela « n’existe pas ». Un tel scénario n’est répertorié nulle part, il ne peut se prédéterminer par aucune méthode connue, ne répond à aucune modélisation algorithmique.
Un ratio de sept séances positives pour une seule de timide consolidation, sur un intervalle de quatre semaines, cela ne correspond pas non plus à une psychologie de marché telle que les chartistes l’entendent : ce n’est tout simplement pas le reflet d’un comportement humain.
Seules des machines en ont le pouvoir… ou plus précisément des programmes informatiques ayant pour caractéristique d’interdire tout mouvement de consolidation.
Leur rôle consiste apparemment à tuer toute amorce de correction technique — quel que soit le contexte (bonnes ou mauvaises nouvelles) et quelle que soit l’évolution des taux et des parités de change. C’est évident depuis 10 jours puisque les amples fluctuations du couple euro/dollar n’ont eu aucune incidence durable sur les cours boursiers.
▪ Les valeurs bancaires avaient entraîné les places européennes à la baisse mardi matin — elles reculaient en moyenne de 2,2%. Ce sont les mêmes qui se situaient aux avant-postes ce mercredi ; elles fusaient à la hausse, de 2,5% à 3% en moyenne.
Le Wall Street Journal croit savoir que la banque britannique Barclays PLC (qui ne se maintient à flot que grâce aux subsides de la Banque centrale d’Angleterre) se préparerait malgré ses difficultés de trésorerie à jeter son dévolu sur une banque de détail américaine. Les cibles les plus couramment citées sont SunTrust, Fifth Third Bancorp ou Comerica Inc.
Puisqu’il n’y a aucune actualité, pourquoi ne pas aiguillonner le microcosme financier avec la thématique des OPA ? Et ça marche… Mieux encore : ça court après le papier !
Mais attendez un peu… cet article date de mardi après-midi ! C’est donc du réchauffé !
Une seule certitude : les suiveurs s’en donnent à coeur joie. Ils ne savent pas pourquoi le marché monte (faites un sondage, ils étaient 90% à ignorer l’existence de l’article du Wall Street Journal publié avant-hier)… mais le franchissement de nouvelles résistances les incite à se ruer aveuglément à l’achat, en priorité sur les titres les plus volatils à la hausse.
Et ça monte d’autant plus vite qu’une dix-huitième ou dix-neuvième hausse au bout de 22 séances est de très loin le scénario le plus improbable… donc le plus profitable, un maximum d’observateurs — nous les premiers — étant pris à contre-pied.
▪ Le CAC 40 montait dans le vide mercredi (avec seulement trois milliards d’euros échangés) mais il monte. Il s’offre un net débordement du palier de résistance des 3 910/3 915 points (ex-zénith du 20 octobre 2009) et rejoint les 3 950 points. Ce dernier seuil marque une petite résistance court terme selon les chartistes ; il correspond au fixing d’ouverture du 4 janvier, première séance de l’année.
Ce mouvement perpétuel à la hausse ne repose sur pratiquement rien de concret — et surtout pas sur de solides volumes… Mais cela n’empêchera pas les chartistes de parier sur une douzième séance de hausse consécutive sur le Nasdaq 100 jeudi, avec l’espoir que Wall Street et le CAC 40 suivent naturellement le mouvement.
▪ Autre illustration de la psychologie très particulière du marché (c’est du second degré… nous vivons une période d’intense manipulation des cours, la psychologie n’est même plus un alibi crédible) : la réaction du NYMEX lors de la publication d’une forte baisse des stocks d’essence (-2,9 millions de barils) la semaine dernière.
Cette prodigieuse nouvelle a fait grimper le pétrole de 1,5% en quelques minutes à New York. Il a retracé son zénith annuel des 82,5$ durant quelques secondes avant de rechuter vers 81 $ deux heures plus tard.
Mais de quel prodige parlons-nous ? Avec la cessation des intempéries début mars, les automobilistes américains ont recommencé à circuler normalement et sont allés faire le plein dans les centres commerciaux.
Même après cela, le niveau des stocks américains reste bien supérieur à la moyenne historique… Cependant, le marché a feint de ne retenir que l’aspect « rebond de la demande » — ce qui était le phénomène le plus largement prévisible.
▪ Il y a manifestement une volonté de faire grimper coûte que coûte toutes les catégories d’actifs, et beaucoup d’acheteurs jouent les faux naïfs. Tenez, par exemple, la hausse de la production industrielle « plus forte que prévue » en France au mois de janvier (+1,6% après -0,2% en décembre) : n’allez pas croire que les usines se sont soudain remises à tourner à plein régime !
L’explication, c’est la forte hausse de la consommation d’électricité et de fioul avec la vague de froid du mois de janvier… car les milliers de mégawatts supplémentaires annoncés par EDF, c’est de la production, les millions d’hectolitres de fioul raffinés par Total, le surcroît de gaz distribué par GDF pour alimenter les chaudières des habitations, c’est aussi de la production.
Hors énergie, le rebond se limite à 0,9%, partant d’une base de comparaison très favorable puisque le mois de janvier 2009 avait été le pire des quatre dernières décennies. Il n’était donc pas difficile de faire mieux, un résultat contraire aurait même été stupéfiant !
Voilà comment un chiffre brut peut traduire fictivement un réchauffement de l’activité économique alors qu’il n’est que le reflet d’un pays qui a grelotté — et continue de grelotter — pour cause de descentes d’air polaire dans des volumes tout à fait inhabituels.
Et voilà comment les marchés justifient à l’emporte-pièce des hausses qui ne reposent sur aucun motif qui résiste à l’examen… Mais le temps que nous écrivions tout ce qui précède, de gros malins ont eu largement le temps de faire grimper le CAC 40 de 1% !
Et le temps que vous découvriez cette chronique, il pourrait en avoir reperdu autant.