▪ Mini-krach à la hausse, délit d’initié, flash krach à la baisse… Le marché a décliné toute la palette de ses pires aspects en quelques heures.
Vous n’avez pas vraiment compris comment les marchés fonctionnent et à quel point les robots gardent une emprise écrasante sur les transactions boursières ? Alors prenez le flash krach de -150 points du Dow Jones hier à 19h08, qui a duré deux minutes montre en main.
Explication : des robots lexicaux traitant en temps réel toutes les informations circulant sur la Toile (sites d’agences de presse, TV et médias, blogs, tweets) ont réagi — car ils sont programmés pour cela — à un tweet pirate portant la signature « Associated Press ».
Personne n’a eu le temps de relire le faux message faisant état d’une attaque terroriste sur la Maison Blanche (!) que des dizaines de milliers d’ordres informatisés avaient déjà été générés — sans que quiconque connaisse la source de ce trou d’air ni n’ait eu le temps de sélectionner une opération (achat ou vente) sur des écrans tactiles ultra-rapides.
Vous l’avez compris, une fois encore, les marchés peuvent faire absolument n’importe quoi — comme se désintégrer en quelques secondes (et même centièmes de secondes) — sans que quiconque ait le moindre contrôle sur le déroulement des opérations. Les décisions humaines sont bannies du marché dans un contexte de bombardement d’informations numériques impossibles à sourcer et à vérifier.
▪ Alliances et délits d’initiés
Il y a une autre particularité des marchés à l’ère post-Lehman : le nombre d’intervenants institutionnels participant à l’émergence d’une tendance puis capables d’assurer sa perpétuation est passé de 10 à cinq… et à partir du moment où il n’y a plus qu’une poignée de sherpas, les alliances l’emportent largement sur la tentation de se faire concurrence. Il y a des milliers, voire des millions d’intervenants à « tondre » en pratiquant la prise à contrepied du consensus.
Ces contrepieds sont d’autant plus faciles à orchestrer lorsque l’on détient des informations privilégiées… ou que l’on parvient à convaincre le marché qu’on les détient (manipulation délibérée des indices, ce qui ne vaut guère mieux).
Quelle meilleure illustration de ce principe que l’envolée du CAC 40 (+3,58%) survenue ce mardi ? Elle a été parfaitement linéaire : difficile d’y détecter une once de psychologie.
Pas la moindre trace de doute, pas la moindre trace d’hésitation lors du franchissement de résistances telles que 3 690 (MM100), 3 735 (zénith du 2 janvier et du 19 février), 3 750 points (ex-borne inférieure du canal ascendant long terme).
Ceux qui ont « payé » le marché en s’appuyant sur de puissants robots algorithmiques qui écrasent tout sur leur passage ont agi comme des opérateurs qui « savent ». Car au-delà des 3 735 points, ne soyons pas naïfs, il ne s’agissait plus d’un pari de quelques spéculateurs audacieux. C’était bien la certitude que la BCE va prendre une décision qui ne laisse pas d’autre choix que d’acheter des actions, même si le ralentissement économique mondial va peser sur les profits des entreprises.
C’est la préfiguration d’une nouvelle phase de la stratégie du « choix forcé » mené par les banques centrales qui subvertit toute la mécanique de la fixation des prix depuis 2009.
Créer des flux de liquidités, les réserver à quelques complices puis ériger l’inefficience du marché en principe de fonctionnement — voilà la définition de l’orchestration d’une bulle.
C’est ainsi que le CAC 40 a rejoint en quelques heures la résistance des 3 785 points testée du 28 au 31 janvier puis le 11 avril. L’indice a effacé en une seule séance le terrain perdu au cours des sept précédentes.
Les commentateurs se félicitaient de l’aubaine, à défaut de l’avoir anticipée ou même envisagée… Et aussitôt ressurgissent les discours évoquant le re-test des 3 850/3 900 points.
La séance a également donné lieu à des écarts spectaculaires sur les marchés obligataires. Les taux avaient commencé à se détendre en Europe dès l’ouverture alors que l’indice manufacturier PMI chinois préliminaire d’HSBC pour avril ressortait à 50,5 points contre 51,6 en mars (et 51,5 attendu par le consensus).
▪ Mauvais chiffres et « double bonne surprise »
La contraction des rendements s’est accélérée avec la déferlante de mauvais indices PMI européens qui ont déboulé entre 9h30 et 10h. La plus vive déception est venue de l’Allemagne, qui subit une chute du baromètre des services de 51 vers 49,2.
Le PMI Composite Markit de l’activité globale dans l’Eurozone reste inchangé en avril à 46,5 — mais il recule à 47,9 contre 49 au niveau manufacturier. Cet indicateur signale la 19ème contraction mensuelle de l’activité globale en Europe au cours des 20 derniers mois, l’exception ayant été une croissance marginale en janvier 2012.
L’industrie manufacturière affiche son plus fort taux de repli depuis quatre mois. Quant au secteur des services, il enregistre pour sa part un léger ralentissement de la contraction par rapport à mars.
La seule bonne surprise provient de France, avec une hausse du PMI des services de 42 vers 44,1. C’est en fait une « double bonne surprise » puisque la dégradation de la conjoncture allemande trahit une brusque contraction du différentiel de croissance entre l’Allemagne et la France.
Le stratège de la banque Leonardo, François Chevallier, se félicite de ce phénomène. Il jugeait préjudiciable le fait que la conjoncture reste soutenue dans l’Europe du nord et dépressionnaire au sud. Maintenant que l’Allemagne subit la contamination de la récession franco-italienne (et dans une moindre mesure de l’Espagne), l’ensemble de l’Europe se retrouve dans la mouise, s’enfonce avec une touchante unanimité dans le chômage, la déprime et la perte de confiance dans ses élites.
C’est donc le moment idéal pour Mario Draghi de s’imposer comme le « patron »… et de passer outre l’opposition d’Angela Merkel à tout assouplissement monétaire qui inciterait les pays non-vertueux à prendre des libertés avec leurs engagements en matière d’austérité.
Plus personne ne veut entendre parler d’austérité, ni le FMI, ni l’OCDE, ni la France, ni les pays périphériques. Donnez-nous de la planche à billets, remplissez le bol de punch, sortez les miroirs et les fines pailles en argent. Cela ne va rien changer à la dure réalité économique mais au moins, cela cessera d’être une cause de souffrance et de morosité.
▪ La Fed en prend pour 10 ans
Nous tenons à rassurer ceux qui ont pu craindre un moment que la Fed étudie la mise en oeuvre d’une stratégie de sortie. Selon Goldman Sachs, il faudra au moins une décennie à la Fed pour revenir à une structure de bilan comparable à l’avant-crise.
Cela signifie que la Fed est devenue l’équivalent du sarcophage de Tchernobyl, stockant des déchets obligataires toxiques pour des décennies, en espérant que de nouvelles épaisseurs de béton (d’argent des contribuables) seront coulées au cours des prochaines années… Cela afin d’assurer une étanchéité complète qui préservera éternellement le système financier des conséquences de ses dérives et de ses colossales erreurs des dernières années Greenspan.
Mais Ben Bernanke leur a depuis longtemps donné l’absolution — et c’est Warren Buffett qui résume d’une formule la morale de l’histoire : « les ultra-riches mènent une bataille contre les 98% les moins riches, et cette bataille, ils sont en train de la gagner ».
La clé du succès réside glorieusement dans les délits d’initiés jamais réprimés et la manipulation sans vergogne des marchés. Combien de temps peut encore survivre une telle « économie de marché » ?