▪ C’est tout juste si notre écran ne s’est pas mis à cracher serpentins et confettis lorsque nous avons ouvert la page d’accueil des principaux sites boursiers les plus fréquentés aux Etats-Unis.
Nous avons pris en pleine figure, sous forme de gros titres en caractères ultra gras de trois centimètres de haut : « le pont de Thanksgiving a donné lieu à des ventes record » et à une hausse inattendue du panier moyen des acheteurs. Comprenez que le niveau est arrivé à 425$, ce qui assure une réalisation de l’objectif de 600$ par Américain d’ici la fin du mois.
Attendez un peu ! Ce n’est pas que nous tenions à gâcher la fête… mais il y a quelque chose qui nous chiffonne dans le déluge de chiffres déversé depuis vendredi. Certes la fréquentation des magasins a bien augmenté de 3,5% vendredi mais le total des ventes (de l’argent dépensé) ressort en baisse de 1,8% par rapport à l’an dernier, à 11,2 milliards de dollars.
En revanche, les ventes en ligne ont progressé de 26%, de 750 milliards de dollars à un peu plus d’un milliard. De nombreux achats ont été conclus par des internautes qui comparaient en direct depuis les boutiques les prix en rayon et les promos sur internet pour le même produit.
Notre accroche est volontairement provocatrice mais le paradoxe n’en est pas moins réel : plus il y a de monde dans les centres commerciaux, moins les consommateurs passent à la caisse !
▪ Une communication triomphaliste à manipuler avec précaution
Le résultat des courses est facile à anticiper. Les grandes enseignes (et les marques) vont tenter du mieux qu’elles peuvent de s’aligner sur les prix internet pour éviter de voir leur clientèle nomadiser dans les boutiques virtuelles.
C’est tout bénef’ pour le consommateur. En revanche, c’est une pression supplémentaire qui s’exerce sur les marges des distributeurs.
Autre biais non négligeable qui nous amène à relativiser la communication triomphaliste des sites d’information américains : le démarrage en trombe du Black Friday s’explique très facilement par la généralisation de l’ouverture anticipée des centre commerciaux à minuit et une seconde (le vendredi matin… ce qui respecte la loi à la lettre !).
Autrement dit, il ne s’était effectivement jamais dépensé autant d’argent dans l’histoire des Etats-Unis entre 00:00:01et 08:01:00 — heure d’ouverture classique pour les commerces au lendemain de Thanksgiving.
Tout ce qui a été acheté en solde vendredi matin à la première heure (dans le sens littéral de l’expression) ne le sera pas le samedi ni le dimanche… ni à la veille de Noël dans trois semaines. Beaucoup de distributeurs ont misé agressivement sur la captation de la première vague sachant que beaucoup de ménages au budget serré n’iront nulle par ailleurs.
Pour ceux qui ne regardent pas à la dépense, soit environ 10% des Américains, ce qui compte c’est d’acheter des produits exclusifs (et en priorité des marques). S’ils sont fortement soldés, c’est tant mieux… mais pas essentiel.
Le luxe n’échappe pas à la manifestation d’un comportement d’achat grégaire, auprès d’une clientèle presque exclusivement asiatique — en provenance majoritaire de Chine — qui cumule les prix discount et les économies de taxes (soit -25% par rapport à Shanghai ou Pékin).
Autre biais : de nombreux sinistrés de l’ouragan Sandy ont profité des soldes pour racheter des équipements pour la maison, d’où des ventes particulièrement soutenues dans le secteur bricolage et matériel électrique.
▪ Des soi-disant records qui ne se voient pas dans les chiffres
Malgré le bon niveau d’activité du commerce de détail et des ventes sur internet — c’est satisfaisant mais pas exceptionnel — Wall Street n’a pas rouvert sur un grand bond en avant qui aurait constitué le prolongement de la séance de vendredi. Les indices américains ont rapidement cédé 0,5% dès les premiers échanges avant de porter leur recul à 0,7%.
Plus paradoxal encore, le géant Amazon, qui représente la quintessence du commerce en ligne, principal bénéficiaire théorique de l’envol de 26% des commandes par internet, ne grappillait que 0,1% à la mi-séance.
Le Nasdaq ne se maintenait à l’équilibre que grâce à Apple (2%) et l’espoir d’un Cyber Monday record pour les ventes d’iPhone et d’iPad (bien qu’Apple fasse peu de soldes).
La lourdeur des autres indices américains était mise sur le compte de la résurgence des incertitudes concernant la résolution de l’équation budgétaire liée à la falaise fiscale.
Si le risque d’un brusque alourdissement de la facture fiscale sur les valeurs mobilières n’est pas pris au sérieux, les plus ultra-libéraux parmi les républicains devraient consentir à un relèvement symbolique de la taxation des dividendes et des plus-values.
Cela devrait générer un courant vendeur technique sur les titres qui ont le plus progressé ces trois dernières années. Mais avant que le couperet fiscal ne tombe, tout ce qui peut contribuer à pousser les cours encore un peu plus haut est bienvenu.
La période de Thanksgiving se prête tout particulièrement à ce genre de manoeuvres qui ne trompe personne mais met de l’huile dans la machine à remplir les Caddies.
Tout comme vendredi, Wall Street a bénéficié d’un coup de pouce au cours des trois dernières minutes. Même si le bonus est d’ampleur modeste (0,2%), il fait cependant la différence d’un point de vue technique.
Le Dow Jones et le S&P affichaient à 21h57 les mêmes scores qu’à l’ouverture (-0,5%). Le Nasdaq quant à lui affichait 0,15% (à ce moment, 100% de la hausse reposait sur les 2,5% du seul titre Apple).
A 22h, le Dow ne cède plus que 0,33% et le S&P 0,22%. Mais le Nasdaq a compensé ces replis avec un gain de 0,35%, toujours grâce au titre Apple (3,1% à 589,3 $).
Une fois encore, la firme à la pomme a fait la différence et imprimé un biais haussier au marché, alors que les opérateurs s’attendaient — vu les gros titres évoqués en préambule — à un rally de la distribution.
Les valeurs du secteur ont clôturé en ordre dispersé, et globalement sans véritable tendance. Best Buy a bondi de 6,7%, eBay de 4,9%, Amazon a pris 1,6% mais Macy’s a chuté de 4,5%, Whole Foods de 3,1%, Big Lots et Target ont perdu 2,5%, Sears 1,3%.
Au final, c’est bien du 50/50 ! La sélectivité l’a emporté et Wall Street est apparemment resté insensible au feu roulant des articles annonçant une orgie consumériste sans précédent depuis vendredi matin.