Par Cécile Chevré (*)
Et si nous avions tort ? C’est la question que je me suis posée en lisant l’article de Philippe Béchade vendredi dernier.
Après tout, nul n’est devin, et surtout pas infaillible. Le doute devient donc de plus en plus pressant. Les Bourses continuent de grimper.
Il faut donc croire que nous nous sommes trompés. Nous avons naïvement crû que Bourse et économie réelle étaient corrélées. Ce n’est manifestement pas le cas. Nous pensions aussi que les mauvais chiffres économiques annoncés depuis le printemps dernier allaient finir par provoquer un électrochoc parmi les investisseurs. Pas du tout. Plus les nouvelles étaient mauvaises, plus les marchés grimpaient.
C’est en lisant l’article de Philippe que j’ai eu la révélation : les marchés sont masochistes. Ils aiment les mauvaises nouvelles en rafale, ils veulent souffrir. Ils adorent les taux de chômage à 10%, le recul de la consommation, du transport, des prix de l’immobilier. Plus la situation économique se détériore, plus ils planent. A chaque coup de fouet, ils rebondissent…
Les marchés ont peut-être un objectif bien différent de celui du commun des investisseurs. Ils tiennent la poule aux oeufs d’or, et n’ont strictement aucune envie qu’elle leur échappe. Tous ces milliards prêtés par les gouvernements, tout cet argent gratuit ou presque grâce aux taux zéro des principales Banques centrales… pourquoi s’en priver ? La manne gouvernementale tombe du ciel, et absolument personne n’a envie de la voir s’évaporer.
Avec un dollar à taux zéro, les investisseurs peuvent pratiquer le carry trade à qui mieux mieux : acheter du dollar pas cher pour immédiatement investir dans des actifs qui rapportent plus.
Les grandes banques ont tout à gagner de cette situation : elles ont les poches remplies d’argent prêté. C’est presque 900 milliards de dollars qui ont été injectés par le gouvernement américain dans les banques, et que les banques n’ont pas reprêté aux ménages ou aux entreprises. Que font-elles de tous ces milliards ? Elles s’amusent : elles tradent et elles spéculent pour gagner encore plus d’argent. Elles peuvent ainsi afficher des profits record grâce aux activités d’investissement.
Depuis quelques jours, les bonnes nouvelles se sont faites plus nombreuses. Le PIB américain au troisième trimestre a grimpé de 3,5%, Les marchés ont donc hésités. Si les bonnes nouvelles s’accumulaient, adieu veaux, vaches, cochons (cash for clunkers, cash for bankers, cash for houses…)
Heureusement, pour nos masochistes investisseurs, les chiffres du chômage américain en octobre sont tombés. Comble de bonheur, ils sont mauvais. Le taux de chômage passe allégrement la barre des 10%, à 10,2%. 190 000 emplois supplémentaires ont été détruits en octobre, alors que les spécialistes n’en attendaient "que" 175 000.
Pour faire bonne figure, les marchés ont plongé à l’annonce de ces chiffres. Mais ils ont très rapidement repris du poil de la bête. Le CAC 40 a ainsi terminé la séance sur un tout petit -0,4%, le Dow Jones et le Nasdaq dans le vert, à respectivement +0,17% et +0,34%. Avec un tel taux de chômage, c’est l’assurance de mois de taux zéro et d’aides gouvernementales supplémentaires. Les marchés peuvent dormir sur les deux oreilles, l’argent coule à flots… dans leurs poches.
Alors, avons-nous raison de continuer à être baissiers ou pas. Nous ne le savons pas, mais nous continuons à penser que la réalité économique finira par rattraper les marchés. Et que la chute sera d’autant plus dure…