▪ Non, cher lecteur, il ne s’agit pas de vous enseigner le déhanchement cher à Chubby Checkers… mais de vous expliquer les contorsions tout aussi spectaculaires — bien que moins musicales — de la Fed.
Pour cela, je laisse la parole à ma collègue Cécile Chevré, de La Quotidienne d’Agora, dont je reproduis l’excellent article ci-dessous :
« Sans grande surprise, de notre côté du moins, la Fed a annoncé hier le prolongement de son opération Twist plutôt qu’une nouvelle vague de quantitative easing« .
« Dans un premier temps, les marchés ont été saisis d’une bouffée d’euphorie. Avant de réfléchir quelques secondes. Une opération Twist, c’est de l’ersatz de quantitative easing. C’est moins de liquidité, moins de planche à billets… donc moins de fun« .
« […] Comme nous vous l’avions dit, la Fed n’avait aucune réelle raison de lancer un QE3 dans les conditions actuelles. La prolongation de l’opération Twist est un biscuit offert aux marchés en attendant l’orgie d’un futur QE3 en fin d’année ».
« Mais au fait, qu’est-ce qu’une opération Twist ? Elle consiste à vendre des obligations court terme (moins de trois ans) pour ensuite acheter des obligations long terme (plus de six ans). La première opération Twist (400 milliards de dollars) a été lancée en septembre 2011 et devait prendre fin le 30 juin ».
« La Fed a donc annoncé sa poursuite. Sauf qu’entretemps, le nombre d’obligations à court terme détenues par la Fed a sérieusement fondu — puisqu’elles ont été vendues pour acheter des obligations long terme ».
« Le graphique ci-dessous représente l’évolution des maturités du portefeuille de la Fed avant et après la première opération Twist ».
« La banque centrale américaine ne détient plus que 175 milliards d’obligations court terme, et ne pourra donc que racheter que 175 milliards d’obligations à six ans ou plus. [Cette semaine], elle a pourtant annoncé un programme de rachat atteignant 267 milliards. 175 ou 267, dans les faits, la différence est minime… et les marchés ne sont pas laissés duper longtemps ».
▪ Quel est l’intérêt du Twist ?
« – Premièrement, cette opération permet à la Fed de poursuivre ses bons du Trésor à long terme sans imprimer de liquidités supplémentaires (et donc éloigner un peu les menaces d’inflation) ».
« – Deuxièmement, elle contribue à faire baisser les rendements des obligations long terme si bien que l’Etat américain peut continuer à se financer à bon compte. Evidemment, la contrepartie est que le rendement des obligations à court terme augmente légèrement. Le graphique ci-dessous illustre ce phénomène ».
« – Troisièmement, cela permet à la Fed de ‘retirer’ du marché secondaire un bon paquet d’obligations américaines et ainsi de créer un effet de rareté, ou du moins évite que les marchés obligataires soient noyés sous les bons du Trésor. Moins de dettes américaines à vendre, des acheteurs toujours aussi nombreux, et là encore, des rendements en baisse ».
« Pour rappel, les obligations souveraines, quand elles sont émises, sont achetées par des primary dealers (grandes banques, institutionnels etc.) qui les placent auprès de clients (autres banques, fonds d’investissement ou de pensions etc.) ».
« Ces obligations peuvent ensuite, comme une voiture, être revendues par le possesseur. Nous entrons alors dans le marché secondaire, celui des obligations d’occasion. Et toujours comme une voiture, selon l’offre, la demande et la fiabilité de l’obligation (c’est-à-dire la capacité de l’Etat émetteur à rembourser), l’obligation ne se vend pas au même prix. Son rendement évolue selon le principe suivant : plus la demande est importante, plus le rendement baisse ; à l’inverse, moins la demande est importante et plus le rendement augmente ».
« Mais les obligations achetées par la Fed ne sont pas ensuite revendues sur le marché secondaire. Leur rendement peut donc évoluer, cela ne change rien pour la Fed. Tout ceci va dans le même sens : sécuriser les emprunts à long terme de l’Etat américain. Avec comme illusoire objectif d’encourager les crédits aux particuliers et aux entreprises et de voir les investissements, la consommation et l’immobilier se reprendre ».
« Bon… les derniers chiffres de l’économie américaine laissent clairement entendre que tout ceci est une vaste fumisterie. Les prévisions de croissance par la Fed ont été revues à la baisse de 1,9% et 2,4% cette année, plutôt que de 2,4% à 2,9% ».
▪ Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
« Pour dire les choses clairement : pas grand-chose. Dans les faits, rien n’a changé. L’économie américaine ne redécollera pas grâce à ce coup de pouce supplémentaire. Nous attendons un nouveau quantitative easing une fois les élections présidentielles américaines passées. Au mieux, la Fed a offert aux marchés quelques heures ou jours de répit. La poursuite de la crise devrait rapidement leur ramener les pieds sur terre ».
Voilà, cher lecteur ! J’espère que ce décryptage en règle vous aura permis de comprendre les manoeuvres de la Fed… et donné un aperçu de l’arsenal dont disposent les banques centrales pour imprimer de l’argent sans en avoir l’air.
A ce sujet, d’ailleurs, ne croyez pas que la BCE rechigne à bidouiller elle aussi le système sans avoir l’air d’y toucher, malgré ses airs « vertueux » et la rigueur allemande avec laquelle elle semble veiller à l’orthodoxie financière (enfin… façon de parler) de la Zone euro.
Et quelque chose me dit que si les événements continuent d’accélérer comme ils le font ces derniers jours, les « mesures exceptionnelles » devraient bientôt refaire leur apparition dans l’Union européenne — ce sera ça ou la catastrophe.
Meilleures salutations,
Françoise Garteiser
La Chronique Agora