* Chaque soir, votre chroniqueur californien et son ours en peluche s’endorment sur l’extrémité ouest de la plaque tectonique nord-américaine. Depuis son porche, votre chroniqueur pourrait jeter un caillou et toucher l’extrémité est de la plaque tectonique pacifique.
En théorie, ces deux énormes formations géologiques pourraient — brusquement et sans avertissement préalable — engloutir votre chroniqueur (et son ours en peluche) et sauver le monde des futures publications de la Chronique Agora. Pourtant, cette possibilité n’a jamais empêché votre chroniqueur de dormir comme un bébé.
Il songe plutôt à la façon dont les petits changements progressifs peuvent produire des résultats spectaculaires. Les petits changements sur le long terme peuvent transformer un ruisseau en Grand Canyon ; ou un panier de grappes de raisin en un Bordeaux délicieux ; ou une simple amitié en grand amour. En d’autres termes, les petits changements peuvent parfois produire des petits miracles.
Par exemple, grâce à des petits changements qui se produisent au fil du temps, sur terre plus rien n’est là où il était avant. Les plaques tectoniques, comme prises d’une sorte de bougeotte géologique, ne cessent de se déplacer d’un endroit à un autre.
Il y a quelques milliards d’années, les autochtones qui vivaient en Ecosse auraient pu placer leur balle de golf préhistorique sur un tee planté n’importe où sur l’actuel terrain de golf de Saint-Andrews, en bord de mer, pour ensuite faire un beau swing avec leur club de golf préhistorique… et leur balle aurait atterri en Norvège. Aujourd’hui ce même coup enverrait votre balle en plein dans la mer du Nord.
* Le monde serait tellement différent si les plaques tectoniques étaient restées là où elles étaient ! Tellement différent… et tellement ennuyeux. Si les plaques tectoniques ne s’étaient jamais séparées, la planète n’aurait peut être jamais connu cette diversité de faune, de flore, et de philosophies.
Mais les plaques se sont séparées… et tandis qu’elles s’éloignaient les unes des autres sur la surface de la terre, elles ont développé leurs propres identités bien distinctes. La plaque antarctique a formé des calottes glaciaires et des glaciers, tandis que la plaque sud-américaine se couvrait de forêts vierges. Et la plaque arabique, sûrement la plus futée de toutes, n’a fait que se couvrir de sable, année après année — sans jamais laisser deviner que, sous la surface de ce sable, elle était aussi occupée à transformer des cryptosaures en pétrole brut.
Oui, cher investisseur, les petits changements qui se produisent au fil du temps peuvent donner des résultats spectaculaires — pour le meilleur ou pour le pire.
Il fut un temps, à l’époque où les habitants de la plaque nord-américaines et la plaque eurasienne cassaient encore le pain ensemble (ou des brindilles, ou du blé, enfin, ce qu’ils pouvaient casser ensemble), tous utilisaient certainement les mêmes assaisonnements et les mêmes accompagnements pour leur nourriture (par exemple : du ptérodactyle frit). Mais après plusieurs milliards d’années — et quelques milliers de kilomètres de dérive des continents — les habitants de ces deux plaques ont des pratiques culinaires très différentes.
Sur la plaque eurasienne, on peut parfois trouver au menu du foie gras, du canard à l’orange et du champagne. Mais sur la plaque nord-américaine, on trouve plutôt des frites, des hamburgers et du Coca-Cola.
Qui aurait pu croire que la lente et invisible dérive des continents produirait des résultats aussi opposés ?
Aujourd’hui, sur les marchés financiers, le sol sous nos pieds semble un peu moins stable que d’habitude. Nous ne sentons bien évidemment pas la terre trembler et bouger. Mais pourtant, nous avons la désagréable impression que nous nous déplaçons… et sans doute pas dans la bonne direction.