▪ Hem… la correction que nous anticipions depuis fin janvier et le test des 3 350 points se poursuit. Les cohortes d’acheteurs potentiels, inconsolables d’avoir manqué le rally haussier entre 3 160 et 3 600 points, restent aux abonnés absents… et plus les cours baissent, plus les vendeurs apparaissent nombreux, et pressés de se débarrasser du papier à tout prix.
Tout se déroule donc comme nous l’avions prédit. En effet, les gains des 10 premières semaines de l’année étaient largement factices… les cours manipulés… les pseudo-optimistes — qui étaient légion à exprimer leur ferveur haussière dans les médias — ne voient plus aucune raison de revenir dans le marché tant les incertitudes actuelles sont grandes. Une question cependant nous brûle les lèvres : que sont donc devenues les certitudes du premier trimestre ?
Après 13 semaines de hausse quasi ininterrompue, personne ne trouve absurde — vu le contexte économique que nous connaissons tous en Europe et qui se dégrade aux Etats Unis — que les marchés alignent une cinquième semaine de baisse consécutive.
Alors d’où vient que le scénario de la séance de jeudi suscite notre étonnement ?
Eh bien, pour tenter de résumer notre ressenti… C’est un peu comme si on avait échangé les plateaux repas d’un végétarien pur et dur avec celui d’un Inuit se nourrissant exclusivement de poisson et de viande de phoque, ou comme si on avait interverti le sac de sport d’un haltérophile et d’une ballerine.
Ou plutôt comme si un boxeur avait pris une grosse droite à l’arcade sourcilière… et que ce soit son entraîneur, bien à l’abri derrière le ring, qui se retrouve avec un oeil au beurre noir.
▪ Mauvais chiffres US, mais c’est l’Europe qui trinque !
Résumons le scénario qui nous a beaucoup intrigué jeudi après-midi (et qu’il faut bien distinguer de l’impact négatif des taux espagnols) : c’est Wall Street qui s’est pris une rafale de mauvais chiffres économiques, et ce sont les indices européens qui ont été littéralement coupés en deux !
Sur la base des mêmes données publiées entre 14h30 et 16h aux Etats Unis, l’Euro-Stoxx a plongé de 2% tandis que les indices américains se repliaient de 0,6% en moyenne vers 17h30 ; et ils ne finiront pas plus bas à 22h.
Les scores des indices américains jeudi traduisaient tout au plus une légère déception au sujet de la conjoncture aux Etats Unis. Ceci alors qu’une chute comparable à celle observée vendredi dernier aurait été parfaitement concevable, vu l’accumulation des mauvaises statistiques publiées en l’espace de 90 minutes.
L’indice Philly Fed d’activité industrielle a chuté de quatre points vers 8,5 en avril, contre 12,5 en mars. Cela trahit un coup de frein brutal de l’activité dans le secteur manufacturier.
Grosse désillusion également dans le secteur immobilier avec des reventes de logements anciens qui plongent de 2,6% au lieu de progresser légèrement (après deux mois de repli).
Les demandes hebdomadaires d’indemnités chômage se sont contractées symboliquement de 2 000 à 386 000 ; le consensus tablait sur une baisse de plus de 20 000, vers 360 000.
Mince consolation pour Wall Street, l’indice composite des indicateurs avancés progresse de 0,3% (contre +0,2% attendu). Mais ce chiffre reste essentiellement une construction synthétique qui ne rend guère compte des forces antagonistes en jeu sur le terrain ; son pouvoir prédictif est donc jugé faible.
Wall Street aurait eu toutes les excuses pour aligner sa performance sur celle de l’Euro-Stoxx 50, mais il n’en a rien été. Les indices ont bien connu un petit passage à vide à deux heures de la clôture, avec une chute de 1% du Dow Jones. Les acheteurs se sont remobilisés au cours de la dernière heure mais l’indice historique ne perdait au final que 0,53%.
Il lui suffira de reprendre 0,3% ce vendredi pour renouer avec les 13 000 points, histoire de clôturer l’échéance avril sur un score sympathique.
▪ Les indices américains ont-ils bon Dow ?
Comment expliquer la résistance du Dow au cocktail toxique formé par le trio emploi, industrie, immobilier, lequel semble avoir fait complètement perdre pied aux places européennes à partir de 16h ?
Elles ne s’en sont d’ailleurs jamais relevées, comme en témoigne une série de clôtures au plus bas du jour, du mois et même de l’année pour certaines d’entre elles ! La Bourse de Madrid dévissait de près de 2,5%, au contact des 6 900 points pour la première fois depuis mi-mars 2009.
Rappelons que le plancher historique du 9 mars 2009 se situe juste 2% plus bas… il pourrait être rejoint en quelques heures.
▪ Qui a lancé une boule puante ?
Nous éprouvons le net sentiment que l’aspect quelque peu anachronique et contre-intuitif des performances de part et d’autre de l’Atlantique ne doit pas grand-chose au hasard. Nous assistons à un phénomène d’arbitrage qui semble avoir été soigneusement orchestré.
Il faut se souvenir que l’Europe avait réalisé une très bonne entame de séance. Le CAC 40, qui gagnait jusqu’à 1,2% vers midi, a brusquement inversé la vapeur suite à la diffusion d’une rumeur, aussitôt démentie par Bercy, d’abaissement de la note de crédit de la France. Cette hypothèse aurait été évoquée dans une note de Citigroup.
Cette boule puante tombe comme par hasard à 48 heures du premier tour de la présidentielle. Elle a même éclipsé le succès d’une adjudication de huit milliards d’euros de BTAN à deux ans. La demande a atteint 20,6 milliards d’euros, soit un taux de couverture très satisfaisant de 2,6 fois. Le taux moyen est ressorti à 0,85%, en légère baisse par rapport à la précédente opération.
▪ Les actions sont les seules victimes
Plus surprenant encore, la rumeur n’a pas engendré d’attaque contre les bons du Trésor français, ni contre l’euro qui a fini stable à l’issue d’une séance plutôt calme et sans accès de volatilité particulier. Ce sont donc les actions qui ont tout pris en pleine figure.
L’euro finira peut-être par y passer à son tour si les angoisses relatives à l’Espagne ne sont pas rapidement jugulées par une action résolue de Bruxelles, du FMI et de la BCE. Mais si rien ne se passe, cela prouvera qu’un traitement spécial a été infligé aux indices boursiers.
Ils se sont avérés les plus susceptibles de matérialiser de gros écarts au profit de ceux qui ont les moyens les faire surgir quand les indices apparaissent vulnérables — comme à la veille d’une élection en France — et de les contenir au moment opportun (comme à la veille d’une journée des « Trois sorcières » aux Etats Unis.
Résultat des courses : le CAC 40 abandonne 11,5% depuis le 16 mars dernier (précédente journée des « Quatre sorcières », le Dow Jones seulement 1,5% et l’euro n’a pratiquement pas décalé dans l’intervalle !
Si l’Europe court un aussi grand péril que les -18,5% de la Bourse de Madrid le suggèrent, les cambistes ne vont pas tarder à se réveiller… ou bien ce sont les actions qui vivent un cauchemar éveillé.