Par Ingrid Labuzan (*)
L’urbanisation continue de galoper. Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, le nombre de personnes vivant en milieu urbain a dépassé celui vivant en zone rurale. Résultat, non seulement les agriculteurs fuient les campagnes, mais l’urbanisation ne cesse de grignoter les anciennes terres cultivées : zones industrielles ou résidentielles, réseaux de transport, autant de nouvelles constructions qui mordent sur les surfaces arables.
Je sais bien que trop de chiffres finissent par nuire à la clarté de l’information, mais en l’occurrence, je vous demande un peu d’attention sur ces statistiques qui prouvent à quel point l’équilibre précaire qui nous permet de nous nourrir pourrait bientôt se rompre. Il existe un rapport entre la surface de zones construites et celle des terres agricoles. Ce rapport était de 3,5% en 2000. En 2050, il devrait être de 7%. Concrètement, cela signifie que nous allons perdre 0,67 million de km2 de terres agricoles au détriment des zones urbaines. N’oubliez pas que parallèlement à ces pertes, la population (et donc ses besoins) continue d’augmenter.
Voilà pourquoi, dès 2030, 1,2 million de km2 supplémentaires (soit un tiers de l’Inde !) seront nécessaires pour répondre à la hausse de la demande en nourriture.
Nos cultures nourriront nos voitures
L’écologie a le vent en poupe, il suffit pour cela d’observer les résultats du parti de Daniel Cohn-Bendit en France aux dernières élections européennes, ou le programme de Barack Obama. Le président américain a en effet décidé de donner LA priorité aux biocarburants. Puisque de plus en plus de voitures tolèrent une essence composée en partie de biocarburants, autant en profiter et accélérer la production d’un tel produit, voilà en substance son idée.
Aujourd’hui, la part de biocarburants qui peut être incorporée dans l’essence est de 10%. Dès l’année prochaine, elle devrait être portée à 12% aux Etats-Unis. Cela représente 20 millions de tonnes de maïs en plus de ce qui est déjà consacré aux agro-carburants. De plus, c’est une tendance de fond, puisque d’ici 2020, l’objectif est d’atteindre un taux d’incorporation de 20%.
Or, la production américaine de maïs est la plus importante au monde. Elle représente deux fois celle de la Chine. Imaginez les conséquences pour les pays qui importent le maïs américain : pas sûr que les exportations soient une priorité encore longtemps pour les Etats-Unis.
Cela pourrait aussi contribuer à faire exploser les cours du maïs. Aujourd’hui, le prix du maïs est à environ 3 $ le boisseau, mais les experts s’attendent à ce qu’il grimpe à 4 $ ou 5 $ lors de la reprise économique. Soit entre 33% et 66% de hausse.
L’autre grand producteur de biocarburants est le Brésil. A eux deux, le Brésil et les Etats-Unis fournissent 70% de la production mondiale de bioéthanol. Si l’Europe n’est pas encore la championne des biocarburants, un chiffre fait cependant froid dans le dos (enfin, tout est une question de point de vue, car il est vrai que c’est bon signe pour l’air que nous respirons) : leur utilisation y a plus que triplé depuis 2005 !
Pour suivre les biocarburants, regardez le pétrole
Vous l’aurez compris, utiliser moins de pétrole pourrait donc aussi signifier manger moins. Les biocarburants sont désormais une réelle composante dans la diminution des terres consacrées à la production de denrées alimentaires. D’ailleurs, l’OCDE prévoit que la part des surfaces agricoles destinées aux biocarburants passera de 0,5% en 2008 à 5% en 2050.
Des chiffres qui pourraient encore augmenter avec la reprise de la croissance économique ou une nouvelle hausse des prix du pétrole.
Merrill Lynch se montre d’ailleurs très inquiet sur ce sujet : "Une reprise globale de la demande de pétrole l’année prochaine pourrait faire glisser des millions de tonnes de maïs, de sucre et de blé des réserves de nourriture vers les moteurs. (…) Le deuxième round entre la nourriture et l’essence pourrait débuter dès l’année prochaine". Inquiétant.
Voilà pourquoi le peu de récoltes qu’il nous restera devra être de bonne qualité ! C’est pour cela que nous vous conseillons d’investir sur les entreprises productrices de semences.
[NDLR : Pour des idées concrètes d’investissement sur les tendances qui changent actuellement la face du monde, suivez le guide…]
Meilleures salutations,
Ingrid Labuzan
Pour la Chronique Agora
(*) Journaliste, Ingrid Labuzan est titulaire d’une maîtrise d’histoire, d’un master d’European Studies du King’s College London et d’un mastère médias de l’ECSP-EAP. Spécialisée sur le traitement de l’information et des médias étrangers, elle a vécu et travaillé pendant six mois à Shanghai. Elle a contribué à de nombreuses publications, dont le Nouvel Observateur Hors-série. Elle rédige désormais chaque jour la Quotidienne de MoneyWeek, un éclairage lucide et concis sur tous les domaines de la finance.