▪ Le Financial Times nous apprenait cette semaine que les pays industrialisés vont emprunter 10 000 milliards de dollars cette année. Le chiffre devrait être plus élevé l’an prochain.
D’où provient tout cet argent ? Il représente plus que l’intégralité de l’épargne mondiale. Nous ne connaissons pas les chiffres exacts, mais le PIB mondial total dépasse 50 000 milliards de dollars. L’épargne devrait représenter 10% de cette somme, soit environ 5 000 milliards de dollars.
Comment les pays développés pourraient-ils emprunter autant ?
Avec tant de dette en circulation, le système financier mondial est extrêmement vulnérable à l’inflation… ou simplement à un changement d’humeur sur le marché obligataire. Si bien que nous nous posons des questions. Que pourrait-il se passer si les prêteurs se font prier ?
Nous sommes, comme vous le savez, cher lecteur, dans une Grande Correction. Et durant une Grande Correction, les prix des actifs chutent… avec une baisse générale de l’emploi, des dépenses de consommation, des investissements, de la croissance du PIB et de toutes les autres choses qui font une économie robuste. La demande chute… ce qui cause généralement une baisse des prix (ou au moins n’augmentent-ils pas aussi rapidement qu’avant). Il y a moins de demande de crédit — et de tout le reste. La réserve d’obligations disponibles chute donc… faisant grimper les prix et baisser les rendements des obligations.
Tout est clair ?
Si non, ne vous inquiétez pas. Il y a au moins 50% de chances que les choses ne se passent pas ainsi.
▪ Pour l’instant, la Grande Correction suit un script habituel. Les rendements obligataires ont chuté. L’inflation des prix a baissé d’une manière générale. Mais la demande de crédit — comme le prouvent les 10 000 milliards de dollars de coûts de financement susmentionnés — s’enflamme. Le terme « habituel » n’a peut-être pas d’importance. Parce que ce n’est pas une récession habituelle. Il ne serait pas surprenant que toute cette demande de crédit fasse grimper les rendements obligataires.
Voilà qui serait plutôt embêtant, pas vrai ?
Et nous voilà avec une idée morose, mais philosophiquement amusante. En général, à chaque chose malheur est bon. Tout verre à moitié vide est aussi à moitié plein. Et l’aube suit même la nuit la plus noire. C’est ainsi que le monde fonctionne. Mais s’il y avait des choses pour lesquelles malheur n’est pas bon ? Si le verre était complètement vide ?
Dans le monde économique normal, les taux d’intérêt bas sont la moitié pleine du verre de la correction. Une correction arrive. Les prix des actifs baissent… ainsi que toutes les choses mentionnées ci-dessus. Mais les taux d’intérêt baissent aussi… ce qui facilite la rentabilisation de nouveaux projets. A 6% d’intérêt, un nouveau projet doit rapporter au moins 6% pour arriver au point mort. Tout nouvel investissement ne produisant pas plus de 6% de gain minimum est rapidement abandonné. Mais à mesure que la correction fait baisser les rendements — à 3%, disons –, tout à coup, beaucoup plus d’investissements deviennent intéressants. L’aube arrive.
La baisse des taux d’inflation… et celle des prix des actifs… aide aussi. A mesure que les prix baissent, les investisseurs rusés et les hommes d’affaires prudents peuvent remettre leur argent au travail. On réembauche. Les revenus des ménages redeviennent sains. Le ralentissement ne tarde pas à être terminé.
Normalement, tant les booms que les krachs s’auto-corrigent.
Mais on peut faire confiance aux autorités pour empêcher le lever du soleil. Cette gigantesque demande de crédit de la part des gouvernements industrialisés pourrait faire grimper les taux d’intérêt. Imaginez les conséquences. Alors qu’ils sont déjà en plein marasme, les ménages, les entreprises et les investisseurs pourraient s’apercevoir que leurs coûts d’emprunt baissent, plutôt que de grimper. Ils pourraient aussi s’apercevoir que les prix grimpent — surtout ceux concernant l’énergie et l’alimentation. Quel monde… un ralentissement majeur, mais avec une hausse des prix et des taux d’intérêt !
Et pensez un peu à ce qui pourrait se passer ensuite. Les autorités se tromperont à nouveau. Elles se sentiront obligées de financer elles-mêmes les emprunts gouvernementaux.
Il y a à peine une semaine, six grandes banques centrales ont annoncé une baisse de taux coordonnée — censée revivifier les marchés. Et maintenant, toutes les grandes banques centrales semblent prêtes à sacrifier l’intégrité de leurs devises pour protéger leurs spéculateurs obligataires.
C’est ce que nous attendions depuis le début. Mais nous ne l’attendions pas si tôt. Nous voilà contraint de revoir notre prévision d’une « longue route sombre vers Tokyo ». Rappelez-vous notre prédiction : les Etats-Unis (et l’Europe) ont déjà suivi le Japon dans une « décennie perdue ». Nous pensions qu’ils en perdraient une de plus à mesure que la Grande Correction se poursuit.
Mais les choses pourraient aller plus vite… en pire. Le Japon a financé ses déficits avec son propre argent. A présent, tout le monde a des déficits. Les sommes à refinancer sont délirantes. Les acheteurs obligataires pourraient refuser… ou se montrer tout simplement incapables d’avaler une telle quantité de dette.
Ce qui poussera les banques centrales à intervenir — avec une impression monétaire coordonnée. Au lieu de baisser, les rendements obligataires et les prix à la consommation pourraient grimper.
Vous trouvez que les choses vont mal en ce moment ? Attendez que l’économie soit contrainte de gérer une Grande Correction ET de l’inflation.
3 commentaires
C’est vrai, les comptes sont pas clairs !!!
… LES MILLIARDS DE L’OMBRE
10 000 milliards de dollars d’actifs financiers en dépôt ou en gestion dans des paradis fiscaux.
50 % des flux financiers mondiaux transitent par les paradis fiscaux.
Selon le FMI, ces paradis hébergent 4 000 banques, les deux tiers des fonds spéculatifs et 2 millions de sociétés écrans.
Fraude fiscale au niveau mondial : entre 350 et 500 milliards, selon une étude Banque mondiale/Cnuced.
100 milliards de perte de recettes fiscales pour le Trésor américain du fait de l’existence des paradis fiscaux.
Entre 20 et 25 milliards d’euros de perte de recettes fiscales pour l’Allemagne.
Entre 15 et 20 milliards de perte de recettes fiscales pour la France (soit le déficit budgétaire de la Sécurité sociale en 2009). (Source Le Point du 26/02/2009 – N°1902)
Une somme estimée à 7 300 milliards de dollars (5 412 milliards d’euros) est dissimulée dans les paradis fiscaux du monde entier par des sociétés et de riches particuliers qui placent ainsi leurs opérations à l’abri, en diminuant la pression fiscale. (Source CHALLENGES du 04/04/2009)
La moitié du commerce mondial transiterait par les paradis fiscaux et quelque 11 000 milliards de dollars (7 300 milliards d’euros) y seraient encore abrités, selon la Plate-Forme paradis fiscaux et judiciaires, qui regroupe des organisations non gouvernementales (ONG) et des associations comme Transparence international France. (source LE MONDE ECONOMIE du 30/11/2009)
(A noter la différence entre ces 3 chiffres : 10 000, 7 300 et 11 000 milliards de dollars ! Et à côté un plan de relance de 20 milliards d’euros paraît RIDICULE…)
Pendant plusieurs décennies, les grandes puissances économiques ont fait preuve d’une extrême tolérance à l’égard des paradis fiscaux. Certaines, comme le Royaume-Uni, les ont même laissé prospérer sous leur pavillon, en Europe et dans les Caraïbes. Ce temps est révolu.
Pour la première fois, sous le choc de la plus grave crise financière qu’ait connue le monde depuis soixante ans, les chefs d’Etat et de gouvernement partagent la volonté de mettre fin aux dérives des paradis fiscaux.
Ces « zones grises » de la finance privent, en effet, les nations d’une part substantielle de leurs recettes fiscales, à un moment où l’effort de relance de l’économie mondiale assèche les finances publiques.
Le manque à gagner fiscal est estimé à 100 milliards de dollars par an pour les Etats-Unis, à 30 milliards d’euros pour l’Allemagne et autour de 20 milliards d’euros pour le Royaume-Uni et la France.
(Les « zones grises » en 9 questions – Source LE MONDE du 24 03 2009)
Une fois de plus, un grand merci à Bill pour cet article…
Une petite coquille s’est glissée dans la traduction de l’article original :
« Imagine what that will do. Already in a slump, households, businesses and investors could find their borrowing costs going up, not down. »
-> « Alors qu’ils sont déjà en plein marasme, les ménages, les entreprises et les investisseurs pourraient s’apercevoir que leurs coûts d’emprunt baissent, plutôt que de grimper. » (inverser grimper avec baisser)
La plupart des lecteurs auront corrigé d’eux-même.
[…] puisque pas de croissance. De toute façon, même en supposant (comme l’explique Bill Bonner dans une de ses récentes chroniques) que le monde épargne 10%, le PIB mondial étant de 50 000 milliards de dollars, il va manquer […]