▪ Pour qui serait parti en vacances au bout du monde il y a un mois — le 25 juillet — loin des lieux équipés de Wi-Fi et où les seuls journaux disponibles sont ceux que l’on a emportés avec soi, le choc en consultant par hasard le ticker boursier sur CNN le 19 août dans un hall d’aéroport a sûrement dû être brutal.
Pour qui découvrait la cotation de l’indice phare parisien à la mi-journée vendredi dernier, il avait de quoi se demander si une brèche dans l’espace-temps ne s’était pas ouverte au cours des quatre dernières semaines écoulées.
Ou alors il était logique de supposer qu’un des stagiaires recruté pour la période estivale et chargé de mettre les indices boursiers à jour s’était trompé dans la saisie du chiffre correspondant aux milliers.
Le CAC 40 flirtait en effet avec les 3 850 points le 22 juillet… mais il atteignait un plancher proche des 2 950 points en fin de semaine dernière.
Il apparaissait plus probable que l’indice ait repris 100 points après sa forte chute du mois de juillet… plutôt qu’il en ait reperdu pas loin de 1 000 supplémentaires en un laps de temps aussi court, pour se retrouver sous le mille inférieur.
Admettre que le CAC 40 ait pu perdre effectivement plus de 20% en à peine quatre semaines, c’était également prendre conscience qu’il s’agit du pire mois d’août boursier de son histoire. Il s’agit de sa plus forte chute en 25 ans… mais c’est tout aussi vrai des 25 années précédentes.
Paris n’est pas un cas isolé : tous les indices européens se sont désintégrés dans des proportions seulement comparables à septembre 2001 et 2002 ou octobre 2008. Des épisodes correctifs « sauvages » qui restent sans conteste associés à un diagnostic de krach boursier en bonne et due forme.
En plus de la brutalité du phénomène, il a eu cette série noire tout aussi surréaliste qu’inconcevable de 11 séances de baisse consécutives début août ! Si nous ne pouvions le lire sur un graphique et qu’un trader nous ait affirmé par téléphone qu’une telle chose venait de se produire au beau milieu de nos vacances, nous l’aurions prié de prendre les siennes parce que ce cas de figure n’a jamais existé et n’est pas près de voir le jour.
▪ Il s’agit d’une mauvaise plaisanterie… mais même avec un cerveau anesthésié par le sommeil, cela ne prend pas parce que c’est « beaucoup trop gros ». Même pour un néophyte prêt à croire, comme nous l’écrivons souvent, que tout arrive en Bourse — de préférence l’improbable, et par défaut, l’impossible.
Dans cette dernière catégorie de scénarios dont la probabilité est considérée comme nulle, il existe toutefois des degrés, qui vont du cas extraordinaire — survenant au pire une à deux fois par siècle — au « cygne noir » absolu qui défie l’imagination et s’avère réellement sans précédent connu.
Le CAC 40 alignait le 3 août dernier sa neuvième séance de baisse consécutive (une grande première historique). Il était impossible d’anticiper qu’il en surviendrait deux supplémentaires, puis encore deux de plus, ce qui portait le total des baisses à 14 sur une série de 15… un autre record absolu en la matière.
Ceci illustre à merveille notre théorie selon laquelle « les marchés » n’anticipent plus rien, sinon ce qui va se passer au cours des 15 prochaines microsecondes.
Répétez l’opération quelques millions de fois au cours de la même journée (les robots s’en chargent et notre logique d’humains leur est totalement étrangère) : vous obtenez une Bourse censée refléter la rationalité immanente d’une profusion d’intervenants dotés de mobiles et d’informations différentes.
Le paradoxe n’est qu’apparent, puisque les machines sont spécifiquement programmées pour repousser les limites de la logique humaine et opérer « efficacement » en période d’hyper-volatilité.
En fait d’efficacité, nous avons assisté à la désintégration de la notion de valeur boursière d’une entreprise au cours de la première décade du mois d’août. Cela de la même façon que le 6 mai 2010, en moins rapide mais avec une obstination dans le sens de la vente qui provoque des dégâts psychologiquement plus profonds.
Non, les marchés n’anticipent plus rien depuis presque une décennie. Leur vocation n’est plus de fixer une juste valeur qui convient au plus grand nombre mais bien de générer des phases « maniaques » (de panique ou d’euphorie) qui ne profitent qu’à une infime minorité d’opérateurs dotés des plus puissants outils informatiques.
Allez vous étonner que les investisseurs, amateurs comme chevronnés (mais qui ont comme seul alliés leur bon sens et leur cerveau plutôt que des algorithmes complexes), désertent la Bourse !
▪ Les marchés ont voulu croire que le QE2 de la Fed ferait grimper les indices boursiers jusqu’à ce que les moutons n’aient plus d’autre choix que de passer à leur tour à l’achat pour alimenter les bulles d’actifs au profit exclusif de ceux qui les ont créées de toutes pièces.
Mais personne n’est venu propulser le CAC 40 vers 4 500 points ! Les volumes d’achat sont demeurés anémiques jusqu’au bout (c’est-à-dire environ 4 160 points) ; ils ont explosé, ainsi que la volatilité, dès que la correction s’est enclenchée.
La façon dont nous avions décrit par avance le scénario estival avait choqué nombre de lecteurs. Il se résumait en une formule de quelques mots : les marchés s’en vont percuter pied au plancher le platane de la dette… mais contrairement aux krachs précédents, nous ne constaterons même pas la moindre trace de freinage.
Cela décrit exactement le comportement de Wall Street cet été.
Nous devons maintenant ajouter la possibilité qu’après le choc initial, d’une rare violence en Europe, ils aient accumulé suffisamment d’énergie cinétique pour effectuer encore plusieurs tonneaux !
Ceux qui n’ont pas encore été éjectés du véhicule doivent prier pour que leur ceinture de sécurité tienne bon jusqu’à l’immobilisation complète de l’épave en perdition. Nous vous avions déconseillé de monter à bord avant que la baisse n’ait atteint 20% ; nous avions tort puisque la débâcle a dépassé les -30% à Paris.
Alors que le potentiel de rebond sur certains titres semblait limité à 15% ou 20% face à un risque de baisse supplémentaire de 5% ou 10%, ils sont désormais nombreux à pouvoir reprendre 40% à 50% sur leurs récents plus bas sans rencontrer d’obstacles.
Une telle reprise, en parallèle avec un sursaut de 10% à 15% des principaux indices boursiers, supposait un franchissement des 1,44 $ par l’euro et une consolidation de l’once d’or sous les 1 800 $ : ces deux conditions sont enfin réunies depuis mercredi soir.