** "Tuez-les tous. Dieu reconnaîtra les siens".
– C’est ce qu’aurait répondu le légat du Pape en 1209, pendant les croisades, quand un de ses subordonnés lui a demandé comment distinguer les catholiques des rebelles cathares.
– Cette citation sonne sans pitié à des oreilles modernes. Peut-être que c’était également le cas pour les oreilles médiévales. L’idée de tirer d’abord et de poser des questions après ne cadre pas vraiment avec le sens américain de justice et d’équité. D’un autre côté, distribuer des centaines de milliards de dollars venant des contribuables aux entreprises les plus incompétentes du monde ne cadre pas non plus avec notre sens de l’équité, surtout quand ces entreprises distribuent leurs fonds de renflouement à d’autres entreprises incompétentes ou à des dirigeants incroyablement négligents.
– Il est peut-être donc temps de tirer d’abord et de poser des questions plus tard, au sens métaphorique, bien évidemment. Il est peut-être temps de virer les dirigeants égoïstes et dorlotés d’AIG, et de laisser le capitalisme s’occuper d’eux à mains nues. Les individus de chez AIG, qui ont un réel talent, devraient pouvoir accomplir des réussites futures ailleurs. Pas les autres. Alors virons-les tous. Le capitalisme reconnaîtra les siens.
– Autre alternative : nous pourrions simplement autoriser les entreprises en faillite à se déclarer en faillite. Un concept radical, peut-être. Mais qui vaut le coup qu’on l’essaye. Plutôt que la faillite, cependant, les élus américains ont autorisé AIG à commettre le plus gros hold-up de l’histoire des Etats-Unis — 170 milliards de dollars. En comparaison, quand le gang de Reno a commis son grand hold-up ferroviaire en 1868 près de Marshfield, dans l’Indiana, les hors-la-loi ont ramassé près de 100 000 dollars en or et en liquide — soit environ 1,5 million de dollars actuels.
– Peu de temps après le hold-up, l’agence de détectives Pinkerton a pourchassé les hors-la-loi — qui étaient au nombre de 10 — et les a arrêtés. Mais les rouages de la justice ne tournaient pas assez vite aux yeux des autochtones. Au cours de trois incidents distincts, des milices ont kidnappé des membres de la bande de Reno, les ont sortis de leurs cellules, et les ont lynchés. Les pendaisons finales ont eu lieu dans la prison qui abritait encore quatre membres de la bande. 50 hommes cagoulés ont envahi la prison, ont traîné les quatre hommes hors de leurs cellules, et les ont précipité vers l’au-delà — façon western.
** Nous autres Américains ne faisons plus justice par nous-mêmes. En réalité, nous ne pratiquons plus du tout la justice si le criminel porte un costume italien et habite un endroit dont le code postal indique une adresse à Manhattan. Nous préférons les traîner devant le Congrès, leur balancer quelques insultes pendant une heure ou deux, puis les renvoyer chez eux. Nos fanatiques des chiffres ont calculé qu’AIG avait reçu près de 1,2 milliard de dollars pour chaque insulte du Congrès.
– Mais le processus judiciaire n’est pas la seule chose à avoir changé depuis que le gang de Reno s’en prenait à des locomotives du Midwest il y a 140 ans. D’abord, il n’y a plus de trains dans lesquels il vaille le coup de faire des hold-up. Ensuite, les meilleurs voleurs ne tirent jamais. Les bandits de chez AIG n’ont même pas sorti leurs six-coups de leurs étuis. Ils ont préféré charger un infiltré de faire tout le travail. Ils l’ont appelé Hank, et chaque jour pendant plusieurs années, celui-ci a attaché son cheval à la station d’attelage réservée au secrétaire au Trésor américain.
– Hank n’aurait pas su faire la différence entre un six-coups et une sarbacane, mais il avait le dictionnaire synonymique le plus rapide de l’ouest (ou de l’est)… C’était plus que suffisant pour vider les poches de ses victimes peu méfiantes. En entendant des termes comme "risque systémique inacceptable" ou "catastrophe financière internationale", les victimes de Hank se mettaient à trembler de façon incontrôlable jusqu’à ce que l’or tombe tout seul de leurs poches.
– D’après ce que nous savons, Hank n’a jamais reçu un centime du butin. Mais il a reçu une paye énorme. Jusqu’à sa mort, Hank Paulson sera un héros dans les rues du sud de Manhattan, et un saint dans les bureaux de Goldman Sachs.
– Voici pourquoi :
– Si Paulson n’avait pas donné 150 milliards à AIG, AIG n’aurait pas donné 12 milliards à Goldman Sachs pour régler divers trades et positions en produits dérivés. Si Goldman n’avait jamais eu ces fonds, ou les dizaines de milliards d’autres dollars que Paulson a rendus disponibles pour ses anciens partenaires par le biais de diverses facilités de prêts d’urgence, Goldman Sachs aurait peut-être suivi Lehman Bros dans le paradis des investissement bancaires.
– Goldman n’est pas un cas unique, évidemment. Le cambriolage multi-syllabique de Paulson a également bénéficié à d’autres bandits. Et qui sait ? Il vaut peut-être mieux maintenir un système financier dirigé par des bandits que de le laisser s’écrouler et attendre qu’un nouveau gang de bandits construise un nouveau système. Mais dans ce cas particulier, vos chroniqueurs pensent qu’ils préfèreraient les dangers qu’ils ne connaissent pas encore.
– Les dangers inconnus pourraient-ils être pires que ceux qui nous ont amené à cette situation ?
– Virez-les tous. Le capitalisme reconnaîtra les siens.