▪ « La planète a peur ! » Ce petit bout de phrase évoque une célèbre entame de journal télévisé de 20h présenté par Roger Gicquel en février 1976.
A l’époque, elle avait interpellé le milieu journalistique car jugée disproportionnée par rapport au contexte : le meurtre d’un enfant par Patrick Henry. Ce dernier était sous les verrous et n’était pas un serial killer terrorisant la population.
Aujourd’hui, en revanche, les Japonais ne sont pas les seuls à avoir peur.
Tous les pays riverains de l’Archipel (Russes, Coréens et Chinois) craignent d’être survolés par un nuage radioactif virulent ou de se voir livrer des sushis ou des puces au césium. Les Américains de la côte ouest stockent déjà massivement des pilules d’iode. Précaution utile lorsque l’on sait que la Californie ou l’Oregon sont aussi proches que l’est Kiev de la centrale de Tchernobyl. Ce sont juste 7 000 à 8 000 kilomètres qui séparent Fukushima d’Hollywood — où, il est vrai, on a tendance à se faire des films.
L’ordre intimé aux ressortissants américains par Washington de s’éloigner d’au moins 80 kilomètres de la centrale de Fukushima a beaucoup contribué à déstabiliser Wall Street.
Cela confirmait les déclarations extrêmement alarmistes du commissaire européen de l’énergie (Günther Oettinge) affirmant que la situation au Japon est hors de contrôle. Un avis d’ailleurs partagé par Anne Lauvergeon et plusieurs membres du gouvernement français.
Les difficultés rencontrées par les Japonais pour remettre en activité les systèmes de refroidissement des réacteurs suscitent l’étonnement de tous les spécialistes des centrales nucléaires.
Il est également surprenant que l’expression « situation hors de contrôle » provoque tant d’émotion. En effet, l’explosion successive de trois enceintes de réacteurs (avec émissions de nuages hautement radioactifs), puis la fonte des matériaux fissiles — à 70% dans l’un des réacteurs — suffisaient à nous convaincre que nous étions rentrés de plain-pied dans un scénario de type catastrophe nucléaire. Et accessoirement, que la centrale ne produirait plus jamais un seul kilowatt d’électricité.
▪ La réaction des marchés japonais aux dernières informations de la soirée de mercredi concernant le niveau de radioactivité (elle serait en baisse, mais faut-il y croire ?) sera déterminante. Le Nikkei perdait jusqu’à 5% en transactions électroniques, sur fond de flambée du yen. Ce dernier pulvérisait des records historiques à 76,5 $ en soirée contre 80 $ en début de journée.
Il s’agit d’un débouclement massif du carry trade yen/dollar dans la perspective d’un rapatriement de capitaux vers le Japon afin de financer sa reconstruction. La hausse du yen est pourtant la dernière chose dont le Japon ait besoin. De plus, cela ajoute du désordre monétaire à la panique nucléaire.
Les banques centrales — qui ont compris l’ampleur du péril représenté par une réaction en chaîne sur les marchés financiers — annonçaient une réunion d’urgence pour traiter de la question avant le week-end. De là à trouver une solution adéquate, tous les doutes sont permis.
▪ Les raisons abondaient en fin de journée pour justifier un plongeon de 2,2% du CAC 40 en 90 minutes pour une clôture à -2,25%, sous les 3 700 points.
Ce dernier trou d’air indiciel porte à 11% le repli du marché parisien depuis le 18 février dernier (-10,1% depuis le 1er mars), à 48 heures de la « journée des Quatre sorcières ». C’est un cas de figure sans précédent depuis octobre 2008. Les indices pan-européens affichent le même type de score fleuve sur l’échéance mars.
Quelques heures plus tard, Wall Street est passé de peu à côté d’un sell off qui aurait pu déboucher sur une spirale baissière incontrôlable. Mais les acheteurs ont réagi au bon moment, alors que le Dow Jones perdait 300 points (soit -2,7%) et le Nasdaq -2,5%.
Au final, le Dow Jones perd 2,05%, le Nasdaq 1,9% et le S&P 1,95% (à 1 257 points).
Les opérateurs s’empressent de redevenir plus liquides, alors qu’ils étaient massivement surpondérés en actions depuis le début de l’année (et haussiers à 90%).
L’état de stress général se traduit par une explosion à la hausse du VIX : +21% ce mercredi. L’indice a fait une incursion vers 31,3 (doublement de l’indice depuis son plancher de la mi-février) avant d’en terminer à 29,5, au plus haut depuis fin juin 2010.
Tous les indices américains affichent désormais un score négatif sur l’ensemble de l’année 2011, de très peu certes. Wall Street s’est avéré incapable de préserver les planchers annuels ; les valeurs américaines reperdent désormais 7% sur leurs sommets annuels de la mi-février.
Il y a eu une timide tentative de sursaut à une heure de la clôture, sur quelques rachats de ventes à découvert. Mais la fin de séance fut très baissière sur l’ensemble des compartiments de la cote, exceptées quelques parapétrolières. Les indices américains alignent une septième séance de repli sur une série de neuf.
▪ Histoire de rappeler à Wall Street que le Japon n’est pas le seul pays confronté à des difficultés conjoncturelles inextricables, l’activité du secteur de la construction de logements individuels s’est effondrée le mois dernier aux Etats-Unis.
Le département du Commerce US a fait état d’une de chute abyssale de 22,5% des mises en chantier en février, à 479 000 en rythme annualisé (contre 618 000 en janvier).
L’avenir de l’immobilier ne semble pas plus brillant à un horizon de six mois à un an. Les permis de construire, censés préfigurer l’évolution du secteur, ont chuté de 8% le mois dernier à 517 000, alors que le consensus s’établissait au contraire sur une remontée à 570 000.
Rien de bon non plus du côté de l’inflation avec une poussée de 1,6% des prix à la production aux Etats-Unis en février (après +0,8% en janvier). Une hausse bien plus forte que ce qu’attendaient les analystes, selon des statistiques publiées par le département du Travail.
En d’autres circonstances, cela aurait fait plonger les marchés obligataires américains. Mais la fuite vers la sécurité s’est traduite par une chute du rendement du bon du Trésor à 10 ans (-11 points de base à 3,21%) et celui du 30 ans qui affichait 4,39% contre 4,47% mardi.
Nous pressentons que la Banque centrale nippone va pulvériser en quelques jours tous les records de liquidités jamais injectées dans le système financier d’un pays développé. Les 600 milliards de dollars du QE2 de la Fed pourraient vite apparaître comme « petit joueur » en comparaison de ce qui se prépare au Pays du soleil levant — et qui vise tout simplement à éviter un krach systémique mondial.
Trouvez-vous toujours le titre « la planète a peur » hors de propos ou très exagéré ?