▪ La spirale du malheur qui s’abat sur le Japon est digne du scénario du film catastrophe 2012 sorti l’an passé. Si ça commence à trembler du côté du Yellowstone et de la Californie, on pourra se demander si les puissances infernales qui agitent le noyau de métal en fusion de notre planète n’ont pas téléchargé le film de Roland Emmerich et se sont senties mises au défi d’en faire autant.
Les scénaristes de 2012 avaient d’ailleurs oublié de mettre en scène des explosions de centrales nucléaires. Ils avaient sans doute jugé que la dislocation de la croûte terrestre, c’était déjà assez pour semer l’effroi chez les spectateurs.
Imaginons que des satellites filmant la terre au cours des trois prochains millions d’années accéléraient leurs images pour en faire une vidéo qui dure une minute trente. Nous pourrions voir le Japon, la Nouvelle-Zélande, l’Indonésie et le Kamtchatka se déformer et dériver le long de la grande fracture tectonique qui borde le Pacifique du pôle Nord au pôle Sud.
Pour l’heure, c’est le Japon qui détient le record mondial de sismicité touchant une zone habitée.
Si certains d’entre vous ont traversé l’Islande, peut-être êtes-vous passé au pied de la « montage qui se secoue comme un chien qui sort du torrent ». Cela tremble plus souvent qu’à Tokyo… mais personne n’a eu l’idée de construire quoi que ce soit dans cette région désolée de l’intérieur des terres, où le sol menace de s’ouvrir à tout moment.
Le séisme du 11 mars fait partie des soubresauts habituels de l’écorce terrestre — songez que le fond de la mer s’est retrouvé propulsé à 8 800 mètres au sommet du mont Everest. Il n’annonce pas une fin du monde façon 2012.
▪ Pour le Japon en revanche, il est peut-être annonciateur de la fin d’une époque. Le pays était exsangue financièrement depuis le krach de 1990 et voici que survient la catastrophe de trop.
Elle débouche non seulement sur un bilan humain effrayant et des destructions déjà estimées à plus de 200 milliards de dollars (c’est-à-dire au bas mot deux fois le coût engendré par le tremblement de terre de Kobe). Mais également sur une potentielle pollution nucléaire de grande ampleur.
Il s’agit du deuxième plus grave accident de la filière civile de l’énergie atomique depuis les années 50.
De façon très concrète, le Japon va être privé pendant des mois d’une partie non négligeable de ses capacités énergétiques (entre 10% et 20%). Tout cela sans compter qu’une région représentant 8% du PIB du pays vient de s’arrêter net pour au minimum un semestre (à cause du déblayage) et probablement pour deux à trois ans afin de reconstruire les zones urbaines, les exploitations agricole et les usines.
Cela va probablement ralentir le rythme des échanges bilatéraux avec la Chine, partenaire privilégié qui se retrouve le plus exposé au chaos industriel engendré par la catastrophe. Un scénario de récession se dessine pour l’Asie.
Plus globalement, les coûts de financements colossaux auquel le Japon va devoir faire face pourraient contraindre le gouvernement japonais à puiser dans les 900 milliards de dollars de bons du Trésor américain.
▪ Nous voici face à une redoutable alternative. Soit les ventes d’actifs font chuter le marché obligataire américain à des niveaux qui impactent lourdement Wall Street (en particulier le Nasdaq)… soit le Japon ne vend pas ses T-Bonds mais vient ponctionner des dizaines de milliards de dollars sur les marchés sous forme d’émissions d’emprunts. Cette deuxième solution ferait du Japon un concurrent sévère vis-à-vis des Etats-Unis (le plus gros emprunteur) ou des PIGS de la Zone euro.
Mais avec un taux d’endettement qui bondirait au-delà des 250%, à quel taux des pays excédentaires en capitaux comme la Chine ou l’Arabie accepteraient-ils de prêter au Japon ?
La chute de 18% de la Bourse du Nikkei en 48 heures (l’équivalent de 500 milliards d’euros) ne s’explique pas seulement par la peur de la contamination radioactive. Le manque de confiance des créanciers étrangers constitue une menace économique au moins aussi angoissante.
▪ Après l’effervescence des premières heures de cotation en Europe, la pression baissière était intense à Wall Street en début séance. Mais les indices américains échappent pour l’instant au scénario de vent de panique (nucléaire) qui s’est matérialisé à Paris, avec un plongeon de 4,2%, ou à Francfort (-5%).
Wall Street, qui avait rouvert en baisse de 2%, a limité la casse. Le Dow Jones chute de moins de 0,8% (quatre fois moins que le CAC 40) vers 11 900 points.
Soulignons que les indices américains n’avaient jusqu’ici rien perdu depuis jeudi dernier, malgré la catastrophe japonaise survenue vendredi matin. Cela en tenant compte de la hausse de 0,7% vendredi puis de l’effritement de 0,6% survenu lundi soir.
Conforté par la résilience de Wall Street, le CAC 40 a tenté — en vain — de sauver les 3 800 points (base du canal haussier moyen terme) en fin de séance.
L’exploit semblait à portée de main après une belle remontée de 3 720 points (-4,2%) jusque vers 3 798 points (les niveaux d’ouverture). Mais une dernière vague de ventes de précaution a plombé l’indice au moment du fixing.
La séance se termine sur une lourde chute de 2,5%, avec 100% des titres du SBF 120 (sauf EDF Energies Nouvelles) en repli, dans des volumes record : plus de 7,5 milliards d’euros sur le CAC 40, et 8,5 milliards d’euros sur le SRD.
Le mois de mars ressort pour l’heure négatif de 8%, ce qui est équivalent à la perte de mai 2010. Si aucun rebond ne s’avère durable, la « journée des Quatre sorcières » pourrait consacrer vendredi) le pire mois de mars depuis que le CAC 40 existe.