La confusion libyenne gagnerait-elle les marchés ?
Bonjour,
▪ Ô grand oracle des marchés, quelle action dois-je acheter ? Dis-moi à quel niveau le S&P 500 finira l’année ! Et les taux, comment vont-ils évoluer, ô maître incontesté de la boule de cristal ?
Comme chaque début d’année, les médias financiers convoquent tous les stratèges, économistes ou visionnaires plus ou moins éclairés pour recueillir leurs prédictions pour l’année à venir. L’histoire prouve que ces gourous de la finance sont systématiquement à côté de la plaque. La meilleure solution : faire l’inverse de ce qu’ils recommandent.
Pour devenir gourou, c’est simple : il suffit d’être interviewé par Bloomberg ou passer sur CNBC. Si possible plusieurs fois par jour — les gens se souviennent mieux. Puis tout s’enchaîne : la gloire, la respectabilité, les invitations aux plus beaux cocktails, où ils sont systématiquement entourés de curieux admiratifs à l’affût d’un conseil boursier gagnant.
Ce qui compte pour un gourou, c’est sa force de conviction. Ce qu’il dégage. Ses pronostics ? Tout le monde les aura oubliés dès le soir même. C’est d’ailleurs la grande chance de ces habitués des plateaux de TV : personne, pas un journaliste, ne semble conserver une trace de leurs prédictions. C’est sûr que ça facilite la vie, pour les gourous.
Car si on les enregistrait et qu’on n’égarait pas les enregistrements (c’est beaucoup demander à un journaliste, je sais), on découvrirait que ces soi-disant experts se trompent la majorité du temps.
Entre 2001 et 2004, les actions recueillant le plus de recommandations de vente par les analystes de Wall Street ont toujours figuré au sommet des palmarès de fin d’année. Oui, les titres que les « spécialistes » conseillaient de vendre ont surperformé.
A la même époque, le magazine Money, sur CNN, avait demandé à ses 24 meilleurs gérants de sélectionner leurs titres favoris. Performance du portefeuille ainsi constitué : -14% par rapport au reste du marché. Et il s’agissait des gérants ayant le meilleur track record…
▪ Même pour des choses simples, ils n’y arrivent pas. Deux fois par an, le Wall Street Journal demande aux cinquante plus grands économistes américains dans quelle direction vont évoluer les taux d’intérêt, selon eux. Il ne leur demande pas de chiffres ni de timing, seulement la direction : monter ou descendre ; cela ne semble pas plus compliqué que pile ou face, avec 50% de chances de chaque côté.
Ces professeurs émérites et parfois prix Nobel tombent juste dans 30% des cas ; soit un taux de réussite très inférieur à celui du lancer de monnaie.
Ainsi, pour gagner sept fois sur dix, il suffit de faire l’inverse.
Un vrai gourou de la télé n’abat jamais toutes ses cartes. Il donne des informations incomplètes : « le Nasdaq touchera les 5 000 points », mais sans dire à quelle échéance ! Ce qui renforce les probabilités d’avoir raison.
Autre point : l’oracle des marchés prédit toujours le passé. Le gourou choisit les titres qui viennent de progresser, explique pourquoi ils l’ont fait et extrapole qu’ils vont continuer à grimper. Ce qui n’a aucun sens, mais les gens aiment se trouver du côté des vainqueurs. Même si la plupart du temps, cette technique permet d’acheter haut et de vendre bas.
Enfin, l’expert médiatique sélectionne ses points de comparaison. Il compare sa performance avec des indices qui sont peu adaptés ou pour lesquels il compte les dividendes — ou pas, sans préciser. De toute façon, les gens croiront ce qu’ils ont envie de croire.
Tout le monde sait que ces personnages sont aussi futiles qu’inutiles, mais ils continuent à être invités dans les médias. Car ils remplissent une fonction essentielle : ils apaisent notre peur du hasard. L’investisseur n’en est pas moins humain, il essaie de garder un contrôle sur les événements. Quitte à ce que ce soit de manière artificielle, en écoutant des mahatmas gominés.
Toutefois, je vais vous livrer ma prédiction pour 2011 : les personnes qui approcheront le marché à la manière des initiés siphonneront les poches des « pigeons ». C’est ainsi que la Bourse existe, et c’est ce qui me permet de garantir à mes clients une performance minimum de 60% tous les six mois sur certaines stratégies d’investissement. Je vais bientôt vous parler d’une conférence exclusive que je vais donner à Paris en avril : restez attentif, parce que les places sont extrêmement limitées.
[Marc Mayor est le fondateur et président d’Inside ALPHA, une entreprise helvétique spécialiste des approches financières éliminant le risque de marché (investissements dits « ‘neutres au marché »). Depuis plus de dix ans, Marc analyse avec humour et sagacité le comportement des initiés de la Bourse, notamment dans les colonnes de sa rubrique hebdomadaire « Le Coin des Insiders »‘, qui paraît chaque vendredi dans le quotidien financier L’Agefi (Suisse).]
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Une stratégie d’investissement gagnante… en deux étapes seulement !
▪ Vous voulez une stratégie d’investissement gagnante ? Trouvez ce que les idiots font avec leur argent. Faites le contraire.
Certains conseillers en investissement sont intelligents. D’autre non. Certains sont des originaux avec des idées intéressantes sortant des sentiers battus. Certains lisent simplement les journaux et imitent ce que font tous les autres.
La semaine dernière, nous avons reçu une lettre de l’un de ces derniers… l’un des idiots. Nous l’avons lue avec attention : s’il poussait les investisseurs dans la même direction que celle que nous prenons, nous devrions changer de cap.
Mais non ! Il pousse les investisseurs à acheter des grandes valeurs américaines et à vendre l’or. L’or est « surévalué », dit-il.
Quel soulagement. Il n’a toujours pas la moindre idée de ce qu’il se passe ; il pense que les choses reviennent « à la normale ».
Et ce n’est pas tout. Voici Charles K. Glassman, écrivant dans le Washington Post. Son article s’intitule L’Investisseur moderne.
Qu’est-ce que l’investisseur moderne est censé faire ? Mettez la moitié de votre capital dans les actions, l’autre moitié dans les obligations.
Attendez une minute… N’est-ce pas là l’homme qui a sorti « Le Dow à 36 000 » en 2000 — l’année où le marché boursier a commencé à baisser ? Si, n’est-ce pas ? Eh bien, c’est parfait. Voilà qui nous conforte dans notre choix.
Nous ne voulons pas être un investisseur moderne. Nous ne voulons pas d’actions, ni d’obligations. Nous allons rester un investisseur à l’ancienne et nous en tenir à notre programme : vendre les actions pendant leurs rebonds, acheter de l’or pendant ses creux.
▪ Pendant ce temps, la BCE a annoncé qu’elle allait peut-être augmenter son taux directeur en avril. Cela a fait grimper l’euro.
Nous avons déjà dit que la BCE ne peut pas « normaliser » les taux d’intérêt. Pas plus que la Fed ne le peut. En Irlande, la plupart des gens ont des prêts immobiliers à taux variable. Si les taux atteignaient les niveaux du marché, les Irlandais couleraient. Ils ne peuvent se permettre des remboursements plus élevés.
La situation est la même pour le gouvernement irlandais. Aux taux du marché — 9% ou plus — il ferait faillite immédiatement. Il se tourne donc vers la BCE, le FMI et la Banque mondiale… en plus de toutes les autres sources possibles de financement à des taux inférieurs à ceux du marché… pour répondre à ses besoins budgétaires.
Et les Etats-Unis ? Idem !
Historiquement — c’est à dire depuis deux décennies — le taux d’intérêt moyen pour une note du Trésor US à 10 ans est d’environ 5,7%. Vous remarquerez que c’est légèrement supérieur aux 3,5% que le Trésor US paie actuellement.
A partir de là, vous pouvez faire le calcul. Non, nous allons le faire pour vous. Imaginez que l’intégralité de la dette fédérale américaine soit financée à 5,7%. La facture totale se monterait à environ 800 milliards de dollars par an — soit plus d’un tiers de l’intégralité des recettes fiscales. Bien entendu, une bonne partie de la dette est à relativement long terme… si bien qu’elle ne devra pas être renouvelée demain. Et une bonne partie est détenue par le gouvernement lui-même.
Mais vous pouvez imaginer ce qu’il arriverait au marché obligataire.
Et vous voyez ce qu’il se passerait pour les marchés boursiers si les taux d’intérêt revenaient à 5,7% ?
Si les taux d’intérêt revenaient « à la normale », les actionnaires et les investisseurs obligataires perdraient des milliers de milliards de dollars.
De plus, aucune loi ne dit que les taux d’intérêt ne peuvent monter plus haut que la moyenne récente. Supposons qu’ils passent à 18% — comme ils l’ont fait à la fin des années 70 ? Supposons que toute la dette du gouvernement fédéral américain soit financée à 18% ? Dans ce cas, devinez un peu… la charge totale des intérêts serait approximativement égale à 100% des revenus fiscaux.
Vous imaginez combien de temps ça durerait. Pas une seule minute. Le système tout entier s’effondrera bien longtemps avant qu’on en arrive à un tel point.
Mais vous voyez ce que nous voulons dire ? La normalité est hors de question. Grotesque. Bizarre. Etrange. Extraordinaire. Perverti. C’est là le système financier que nous avons. Et c’est la situation financière que nous aurons pendant encore quelque temps… jusqu’à ce qu’elle explose.
C’est du moins notre théorie.
Pas de reprise. Pas de « retour à la normale ». Pas de sortie de secours.
Si les autorités essaient de sortir de leurs politiques dignes de la quatrième dimension, elles fonceront dans un platane. Les marchés s’effondreront. L’économie partira en lambeaux. Le chômage grimpera. Les gens les montreront du doigt et les accuseront d’être sorties « trop tôt ».
Nous avons également vu des éditoriaux affirmant déjà que la BCE avait « la gâchette facile »… et conseillant à la Fed d’éviter de suivre son exemple.
Il n’y a vraiment pas de quoi s’inquiéter à ce niveau. A la Chronique Agora, nous pensons que les probabilités de voir la Fed sortir de sa politique actuelle sont à peu près de zéro.
L’économie dépend désormais de l’argent bon marché. Elle ne peut pas survivre sans lui.
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La confusion libyenne gagnerait-elle les marchés ?
▪ Il faut bien l’avouer, la hausse de 0,75% du CAC 40 jusque vers 4 050 points lundi aux alentours de 15h45 nous a laissé totalement incrédule.
Nous avons émis l’hypothèse qu’il pouvait s’agir d’une nouvelle tentative de manipulation des cours… A moins qu’il ne s’agisse d’un délit d’initié, ce qui ne vaut guère mieux pour nos lecteurs ou nos auditeurs — le degré d’agacement étant assez comparable.
Vu la rechute de 60 points du CAC 40 au cours des 90 dernières minutes, l’hypothèse de la manipulation semblait tenir la corde… et les haussiers se sont fait laminer, ce qui n’est pas arrivé souvent au cours des six derniers mois.
Nous n’avons pas réussi à identifier vers 15h30 celui qui a joué le rôle de la « main invisible » qui caresse Wall Street dans le sens du poil. Nous pouvons en revanche faire le pari que Richard Fisher (un des membres votants de la Fed) n’est pas exempt de responsabilité dans l’inversion de tendance qui s’est matérialisée à partir de 16h00.
▪ M. Fisher a déclaré qu’il serait favorable à une suspension anticipée du « QE2 » — il n’ira tout de même pas jusqu’à voter contre sa poursuite le 15 mars prochain. Il serait toutefois franchement opposé à la mise en place d’un « QE3 » sur lequel semblait encore plancher Ben Bernanke peu avant que J.-C. Trichet ne vienne sonner la fin de la récréation monétaire « non orthodoxe ».
Et si la Fed se voyait imposer un changement de politique qui tranche avec la fuite en avant des six derniers mois ? Une telle hypothèse apparaissait formellement exclue mi-février, lorsque le pétrole plafonnait encore sous les 85 $. Maintenant qu’il a pris 25 $ et que les prix à la pompe explosent, les charmes vénéneux du « QE2 » se transforment en vilain sortilège… et même en malédiction pour la Chine qui règle ses approvisionnements en dollars.
Wall Street affectait encore de se réjouir de la faiblesse du billet vert vendredi. Lundi, l’enthousiasme semblait un peu retombé puisque le S&P reculait de 1,1% dans le sillage des valeurs technologiques, avec un Nasdaq qui chutait de 2% à la mi-séance.
Anticipant peut-être une fin de journée difficile à Wall Street, le CAC 40 avait terminé au plus bas du jour, sous la barre des 4 000. Il affichait ainsi un repli de 0,74% à 3 990 points — alors que l’indice caracolait deux heures auparavant vers 4 049 points, feignant de s’accommoder d’un baril de WTI culminant aux alentours des 107 $ (soit +10% en une semaine).
▪ Assez paradoxalement, c’est le pullback du pétrole sous ses sommets du jour (le Brent revenant de 118 $ vers 115,5 $) qui semble avoir déclenché une consolidation des indices.
L’actualité du jour n’a apporté aucun élément de réconfort ; les nouvelles sont toujours aussi préoccupantes au sujet de la Libye où de violents affrontements opposent pro et anti-Kadhafi.
Le marché a semblé tour à tour s’inquiéter puis se désintéresser des incertitudes géopolitiques au Moyen-Orient ou du problème de l’endettement souverain de nombreux pays en Europe… Et n’oublions pas les avertissements de J.-C. Trichet concernant les pressions inflationnistes dans les pays émergents : il ne « lâche pas l’affaire » au sujet de la hausse des taux.
▪ Parallèlement, les braises de la crise des dettes souveraines viennent d’être rallumées par Moody’s. L’agence vient de dégrader de trois crans la note souveraine de la Grèce, passant de « Ba1 » à « B1 », assortie d’une perspective négative.
L’agence de notation craint notamment que l’aide apportée à la Grèce après 2013 ne soit conditionnée par des critères de solvabilité impossibles à remplir pour Athènes. Cela faute de recettes fiscales suffisantes, conduisant au mieux à un allongement de la maturité de dette, au pire à un défaut de paiement.
Les marchés ont également de sérieuses raisons de douter que les dirigeants européens réussiront à s’entendre pour apporter des solutions définitives aux problèmes des dettes souveraines européennes d’ici la date butoir de cette fin de mois de mars.
▪ Autre motif d’incrédulité, de dernière minute celui-là : une rumeur de proposition de « démission » de Mouammar Kadhafi adressée aux insurgés qui tiennent l’est du pays. Les spécialistes des marchés pétroliers ont à peine réagi en début de soirée, pour au moins deux bonnes raisons : d’abord, le dictateur libyen n’incarne aucune fonction dont il puisse démissionner — il porte simplement le titre de Guide de la Révolution. Ensuite, les finances de l’Etat libyen se confondent avec sa cassette personnelle et celle de sa famille ; son montant fait l’objet d’estimations qui tournent autour de 100 milliards de dollars.
Son retrait des affaires pourrait être assimilé à un départ avec la caisse… Sans négliger le fait qu’il s’effacerait probablement au profit de l’un de ses fils, comme il l’envisageait avant le début du soulèvement.
Sa proposition, si elle était formulée officiellement, serait fermement rejetée par l’ensemble des représentants des forces qui le combattent.
Voilà qui ajoute encore un peu à la confusion qui règne dans ce pays… Et pendant que Tripoli tente un nouveau coup de bluff médiatique via la chaîne Al-Jazira, les bombardements continuent et le prix des carburants bat déjà un nouveau record en Europe.
(©) Les Publications Agora France, 2002-2011