** L’euro progresse de 1% face au dollar… Wall Street hésite puis repart à la hausse pour une troisième séance d’affilée, une grande première depuis le 10 septembre… les marchés obligataires regagnent du terrain… l’or en reperd… Si l’arrière-plan économique n’était pas aussi extravagant et potentiellement catastrophique, tous les éléments seraient réunis pour diagnostiquer une bonne séance de continuation de la tendance haussière.
Sauf que rien n’est moins assuré que la poursuite de cette embellie dans des marchés à la merci de la moindre révision à la baisse des estimations des bénéfices. C’est en tout cas ce qu’a démontré le trou d’air de -15% dont fut victime AXA mardi matin sur un profit warning concernant 2008 puis l’abaissement de ses objectifs de croissance à l’horizon 2011.
Ceci posé, il apparaît tout de même assez paradoxal de voir le CAC 40 perdre 50% l’année même où un montant record de 98 milliards d’euros de dividendes sera versé aux actionnaires. Même en imaginant une chute de 30% en 2009 (le consensus des analystes table plutôt sur une hypothèse de -12% à -15% — hors banques dont les profits ont chuté de 98% en 2008), les valeurs françaises apparaissent faiblement valorisées.
S’agissant des taux longs américains, un rendement de 3,13% (mardi soir) sur des T-Bonds de maturité 2018, cela signifie l’anticipation d’une inflation nulle au cours des 10 prochaines années : le genre d’hypothèse qui ne recueillerait pas 2% de supporters dans le cadre d’un sondage réalisé à la sortie du NYSE façon micro-trottoir.
Vous le constatez, quelque chose est allé trop loin dans le registre de la "fuite vers la liquidité" et l’aversion au risque, notamment celui associé aux actions.
** Mais comment ne pas frissonner aux dernières déclarations de Jack Welch (l’ex-CEO légendaire de General Electric) ? Il préconise, sans s’éponger le front ni s’éclaircir la gorge, le dépôt de bilan des constructeurs automobiles américains et la reconversion de 850 000 salariés dans la fabrication de panneaux solaires ou de moteurs et de pales d’éoliennes (histoire de continuer à faire tourner les presses et les chaînes de montage).
"L’épisode sera un peu douloureux", admet-il, "mais salutaire car les difficultés de General Motors (ou de Chrysler) ne remontent pas aux années 80 (arrivée des Japonais sur le sol américain) ou 2004/2007 (avec la flambée du pétrole) : le géant de Détroit perd des parts de marchés depuis le début des années 60… Alors que General Electric (naturellement) n’a cessé d’en gagner depuis cette période".
Nous n’aurons pas l’outrecuidance de demander à Neutron Jack (l’homme qui détruisait les salariés sans abîmer les usines : l’écrémage systématique des 20% d’employés les moins bien notés, c’est lui !), pourquoi il se montre si critique envers GM qui avait fini par baser sa rentabilité sur le succès de sa division crédit (GMAC)… alors que GE s’était lancé sous sa houlette dans le crédit auto, la location longue durée et la gestion de flotte à la fin des années 90.
** La grande nouvelle — un véritable électrochoc pour les investisseurs — d’hier, ce fut justement l’annonce d’un plan de soutien massif au secteur du crédit aux Etats-Unis. La Fed et le Trésor américain mettent le paquet : les 325 milliards de dollars alloués à Citigroup la veille font presque pâle figure en regard des 800 milliards de dollars dédiés à un fonds de garantie en faveur de l’industrie du crédit au sens large.
Pas moins de 600 milliards de dollars seront mobilisés pour la garantie de MBS adossés à l’immobilier ; cela concerne principalement les créances hypothécaires détenues par Fannie Mae, Freddie Mac et Ginnie Mae. Parallèlement, 200 milliards de dollars seront consacrés à la garantie des ABS liés au crédit à la consommation.
Ce nouveau projet sera baptisé TALF, acronyme de Term Asset (Backed Securities) Loan Facility… Il a vocation à éclipser le phénoménal fiasco du TARP (Troubled Assets Rescue Plan) voté dans la douleur et la confusion par le Congrès américain il y a tout juste six semaines.
Henry Paulson, qui venait présenter à la presse ce nouveau package, a prévenu les marchés qu’il serait "naïf" de penser que les différentes mesures en cours de mise en oeuvre suffiront à relancer l’économie américaine et à éviter une récession. Des moments très difficiles s’annoncent d’ici 2009.
** Des propos pessimistes étayés par les prévisions peu encourageantes de l’OCDE : l’organisme a indiqué qu’il visait désormais un PIB en baisse de 0,4% dans les pays développés en 2009, avant qu’un timide rebond de 1,5% se dessine l’année suivante — et encore, pas partout, loin s’en faut.
Les Etats-Unis devraient accuser un repli de leur PIB de 0,9% l’an prochain, avant de progresser de 1,6% en 2010. Le PIB du troisième trimestre 2008 est révisé à -0,5% contre -0,3% en première estimation.
L’activité dans la Zone euro devrait ralentir de 0,6% en 2009 (et de -0,4% en France) et ne se redressera que de 1,2% en 2010… Ce sera pire pour le Japon, en récession de -0,1% en2009 et qui ne progresserait que de 0,6% en 2010.
Le nombre de chômeurs dans les pays étudiés par l’OCDE pourrait flamber : huit millions supplémentaires, ce qui porterait le total à 42 millions contre 34 actuellement.
Face à de telles perspectives, la plupart des pays du Vieux Continent (à l’exception de l’Allemagne) et de l’Amérique du Nord s’apprêtent à mettre en oeuvre d’ambitieux plans de relance mettant à mal les équilibres budgétaires, de telle sorte que Bruxelles devrait autoriser le dépassement des 3% de déficit prescrits par les critères de Maastricht — ce dont les marchés s’accommoderaient fort bien.
La France et l’Allemagne semblent tombées d’accord pour appliquer avec "souplesse" ces règles contraignantes adoptées au milieu des années 90 ; le paysage économique était alors bien différent, la désinflation par la délocalisation n’était encore qu’un rêve de PDG de multinationale.
Les investisseurs sont désormais convaincus que les derniers signaux économiques sont trop mauvais pour que J.-C. Trichet affecte de les relativiser afin de continuer à réclamer la stricte maîtrise des déficits, l’encadrement des salaires et l’ancrage des anticipations inflationnistes : un tel discours est devenu totalement inaudible.
** Paris a donc aligné hier une seconde séance de hausse consécutive de hausse (+1,2%) qui sera interprétée comme une prolongation du rally haussier de lundi. Cela en dépit des prévisions pessimistes de l’OCDE et de la chute de 44% des ventes de logements neufs dans l’Hexagone au troisième trimestre 2008 (les mises en chantier s’écroulent également de 22,6% en octobre). N’oublions pas non plus l’anticipation de très mauvais chiffres de l’emploi au mois d’octobre selon le secrétaire d’Etat à l’emploi, Laurent Wauquiez.
Lorsque les marchés ont trouvé un plancher moyen ou long terme, ils finissent par devenir sourds aux mauvaises nouvelles. Ils ont cependant réagi ponctuellement aux indications négatives, comme en témoigne une série assez impressionnante de poussées haussières suivies d’épisodes correctifs d’une amplitude avoisinant les 2% — à pas moins de quatre reprises en l’espace de sept heures et demi de cotations.
Au final, le redressement des marchés américain et européen semble pouvoir se poursuivre ce mercredi… et cela ne saurait nuire aux consommateurs et distributeurs américains à la veille du week-end si crucial de Thanksgiving.
Philippe Béchade,
Paris