** Wall Street avait placé ses derniers espoirs dans l’annonce de mesures de soutien supplémentaires à l’économie américaine… mais Henry Paulson se contente de changer son fusil d’épaule à propos du plan dont il est l’inspirateur, au motif qu’il faut savoir changer de cap lorsque quelque chose ne fonctionne pas.
Et les marchés n’aiment pas cela… pas du tout, même, si l’on en juge par le plongeon de 3% des indices américains dès que le texte de son allocution a été rendu public, une heure avant sa lecture officielle devant les médias du monde entier. La suite n’a été qu’une longue descente aux enfers qui ne connut aucune tentative de rémission, contrairement au rebond survenu mardi dernier — en pure perte, hélas — à deux heures de la clôture.
Le Dow Jones a donc plongé de 4,7% ce mercredi, le S&P 500 et le Nasdaq de plus de 5%. Ce dernier clôture même sous les 1 500 points pour la première fois depuis cinq ans et demi, à 6 points seulement de son plancher annuel du 27 octobre dernier.
Les indices américains perdent la bagatelle de 7,5% (Dow Jones) à 10% (Nasdaq) depuis lundi et plus de 14% et 16% respectivement depuis l’élection de Barack Obama. C’est le second épisode correctif le plus violent de l’année — depuis la chute verticale du 3 au 10 octobre. Le seul élément rassurant — mais nous avons du mal à nous y raccrocher — est que les volumes d’échanges s’avèrent relativement modestes (moitié moins étoffés que fin octobre).
De façon emblématique, 29 valeurs sur 30 au sein du Dow Jones ont clôturé dans le rouge, à l’exception de General Motors, qui venait pourtant de s’effondrer de 40% en 48 heures et de Citigroup (-10%) qui avait enfoncé le seuil symbolique des 10 $.
La confiance qui semblait renaître depuis le 28 octobre dernier s’était largement évaporée mardi avec la faillite de Circuit City. Le coup de grâce est survenu ce mercredi avec le profit warning de Best Buy qui, depuis son origine en 1966, n’a jamais vu la consommation des ménages s’effondrer aussi brutalement dans ses magasins.
Le titre a cédé 8% sous les 22 $ et la direction s’attend aux plus mauvaises ventes de Noël depuis l’hiver 1990 (première guerre du Golfe).
** Les investisseurs ne voient plus quel déclic pourrait provoquer un sursaut indiciel salvateur. Les deux baisses de taux des banques centrales sont demeurées sans effet ces quatre dernières semaines et la santé des banques paraît plus précaire que jamais.
Les 700 milliards de dollars d’argent public mobilisés par le plan Paulson ne seront plus investis dans le rachat des actifs toxiques ou illiquides, mais injectés directement dans le capital des banques qui les détiennent.
Wall Street espérait qu’une partie de ces sommes — dont l’essentiel reste en attente d’une affectation profitable à l’économie — pourrait être investie dans un package de soutien aux constructeurs automobiles. C’est en tout cas ce que souhaitent ouvertement les membres du Congrès représentés par Nancy Pelosi… mais le secrétaire américain au Trésor rappelle que son plan n’a pas été conçu pour cela. S’il vient de changer d’avis au sujet des créances pourries, pourquoi n’est-il pas allé au bout de sa logique ?
Le président de la Fed de New York, Donald Kohn, ajoute qu’il faudra certainement "faire plus" que ce le Congrès a approuvé début octobre pour dégeler le marché du crédit. La Maison Blanche se dit par ailleurs ouverte aux propositions démocrates pour soutenir les constructeurs automobiles.
** Beaucoup d’économistes admettent que si le gouvernement a mis 150 milliards de dollars sur la table pour sauver AIG — qui, depuis des mois, ne produit rien d’autre que des pertes liées aux CDS –, il devrait trouver les moyens de sauver des groupes industriels qui représentent des centaines de milliers d’emplois — et indirectement plusieurs millions en tenant compte des sous-traitants, des concessionnaires, des fabricants de pneumatiques, des fournisseurs de matériel et logiciels informatiques, etc.
De même, si l’administration Bush a trouvé les moyens de financer deux guerres par le contribuable, pourquoi ces derniers n’auraient-ils pas le droit de bénéficier de budgets comparables (400 milliards de dollars par an depuis 2003) dans le cadre d’une guerre contre le chômage et le risque de dépression ? Le mot "dépression" a en effet été prononcé par John Thain, le CEO de Merrill Lynch qui compare — et ce n’est guère pertinent sur le plan formel — la situation actuelle à la crise de 1929.
L’effondrement du cours du pétrole sous les 56 $ le baril (-5%) en dit assez long sur la conviction des opérateurs concernant la sévérité de la récession qui frappe les économies occidentales.
Il n’est peut être pas trop tard pour faire une annonce qui rassurerait les marchés ; il faudrait juste qu’elle soit faite d’ici 24 heures car les indices américains n’ont plus aucune marge de sécurité à la baisse.
** Faute de perspectives encourageantes pour les marchés, les indices européens ont achevé la séance dans le rouge vif. La Bourse de Londres affichait ainsi un repli de 1,5%, la Bourse de Francfort chutait de 3% — tout comme Paris ou Amsterdam — et l’Euro Stoxx 50 perdait 3,5%.
En Europe, la Lettonie a dû sauver une de ses banques ; en France, Natixis doit reconnaître l’existence d’une perte de trading de 250 millions d’euros et des provisions équivalentes sur d’autres produits de type obligataires, si bien que le titre a dévissé de 13,4% à 1,80 euro.
Sur le front macroéconomique, au mois de septembre, la production industrielle a reculé de 1,6% dans la Zone euro, selon des données corrigées des variations saisonnières publiées mercredi par Eurostat, soit une contraction de 2,4% en rythme annuel.
L’euro s’établit à 1,2500 $, après un plus bas à 1,2478. La demande en dollars s’intensifie avec la poursuite de la liquidation d’actifs détenus à l’étranger. Le mouvement est même renforcé par des anticipations de poursuite de détente monétaire en Europe comme au Royaume-Uni — Gordon Brown y a ouvertement fait allusion hier. C’est ce qui explique la chute de la livre sterling vers 1,20 euro, un nouveau plancher historique depuis la création de la monnaie unique.
Voilà au moins un motif de satisfaction pour la BCE… mais c’est certainement le seul !
Philippe Béchade,
Paris