** Les bonnes vieilles recettes fonctionnent toujours à merveille aux Etats-Unis. Créez un choc psychologique suffisamment déstabilisant… et le gouvernement s’empresse de faire oublier tous les pieux mensonges destinés à masquer l’ampleur de la crise pour imposer dans l’urgence des solutions miracle dont personne n’est capable d’estimer le bien-fondé ou la pertinence.
George Bush a mis le paquet mercredi, dans un registre qu’il maîtrise parfaitement : "la patrie en danger, les Etats-Unis au bord de la récession, des centaines de milliers de chômeurs en perspective et des épargnants ruinés par millions si l’on ne déclenche pas au plus vite une guerre totale contre les forces du mal qui entraînent Wall Street vers le néant".
Il s’agit de remplir sans délai le chèque de 700 milliards de dollars… et sans manifester de curiosité malsaine concernant les destinataires ou l’usage qui en sera fait : "croyez-nous sur parole, c’est pour le bien des contribuables, la bataille contre la crise sera victorieuse".
En l’état, selon certains chiffres, le plan Paulson coûte déjà 3 875 $ par contribuable (7 750 $ par ménage) ; si on y rajoute le coût du rachat d’AIG puis la renationalisation des GSE (organismes hypothécaires en faillite), l’addition se monte déjà à 5 000 $ par contribuable. Si vous prenez en compte le fait que plus de la moitié des ménages américains ne payent que quelques centaines de dollars d’impôt par an, cela signifie que les classes moyennes et moyennes supérieures vont assumer à elles seules le comblement du trou dans le budget fédéral creusé en 2008.
Autrement dit, les Américains qui ont encore un toit au-dessus de leur tête et un peu d’épargne à la banque ou dans leur entreprise vont être ponctionnés de 10 000 $ au cours des prochaines années. Cela même si les prélèvements sont étalés sur 30 ans — et il faudra dans ce cas tripler la somme de départ pour tenir compte de l’impact des intérêts composés : cela représente au bout du compte pas mal d’argent.
C’est tout de même un joli paradoxe que de voir une administration républicaine se trouver à l’origine de la plus forte hausse d’impôts que vont connaître les Etats-Unis depuis les années 50 !
** John McCain, conscient de l’aspect inconfortable et historique de la situation, suspend sa campagne électorale pour prêter main-forte aux équipes de la Maison-Blanche. Il s’agit surtout d’un soutien moral, car le candidat républicain revendique son incompétence en matière économique : il sait seulement comment pourrait être organisé un camp destiné à emprisonner les spéculateurs et les vendeurs à découvert qui font plonger Wall Street.
Mais ce coup d’éclat médiatique ne serait-il pas destiné à repousser l’heure du débat avec son rival démocrate, bien mieux préparé que lui sur le volet économique depuis le début de la campagne, et qui pourrait poser les questions les plus embarrassantes au plus mauvais moment ?
Ne serait-il pas également destiné à étouffer le scandale qui vient d’éclater mardi ? Les médias ont en effet appris que le chef de campagne de John McCain — le successeur de Karl Rove (roi de la diffamation et des "arguments politiques caniveau") — était rémunéré par Freddie Mac : de quoi le faire chuter de dix points dans les sondages !
** Wall Street semblait avoir l’esprit ailleurs (+2,5% à mi-séance jeudi) ; les marchés se remettent à croire qu’un accord sur la mise en oeuvre du plan Paulson est imminente et que les banques américaines, principales bénéficiaires de l’enveloppe de 700 milliards de dollars, vont retrouver des marges de manoeuvre pour soutenir une économie "au bord du gouffre" (et qui ne demande qu’à faire un grand pas en avant, avions-nous déjà écrit 48 heures auparavant).
Paris s’est offert un rebond de 2,75% qui efface plus de la moitié des pertes accumulées au cours des trois précédentes séances (-5% depuis la folle séance du 19/09). Les opérateurs ont procédé à des ventes de précaution suite aux doutes et questions techniques relatives au plan de sauvetage soumis par la Fed et le Trésor à l’approbation du Congrès. La reprise est générale sur les places occidentales : l’Eurotop 100 s’adjuge +2,45%, tandis que l’E-Stoxx 50 grimpe de 2,8%, principalement dans le sillage des valeurs financières.
Dans ces conditions, les ventes de logements neufs peuvent bien s’effondrer de 11,5% aux Etats-Unis au mois d’août et les commandes de biens durables chuter parallèlement de 4,5% : aucune mauvaise nouvelle de nature macro-économique ne saurait gâter l’humeur des investisseurs.
** Le Dow Jones (qui était attendu inchangé une bonne partie de la journée) s’est envolé de 250 points dès les premiers échanges. Le Nasdaq ou le S&P 500 ont vite repris 2,3% à 2,6%… sans aucune actualité sur le front des entreprises propre à encourager les investisseurs. Bien au contraire, General Electric a annoncé la réduction de ses objectifs au troisième trimestre (à hauteur de -15%… entre 43 et 48 cents) puis sur l’année 2008 (-10%) ainsi que la suspension de son plan de rachat d’actions afin de sauvegarder sa note AAA.
Mais là encore, la réaction des marchés américains s’avère pour le moins paradoxale : après un repli initial de 4% à l’ouverture, le titre inversait la vapeur pour gagner 3,8% deux heures plus tard. Un tel scénario sera attribué au classique phénomène de "fait accompli", le titre ayant chuté de -25% depuis le début du mois de septembre.
Pas de quoi être rassuré non plus par la santé du marché du travail : les inscriptions hebdomadaires au chômage ont progressé de 32 000, à 493 000, sur la semaine du 20 septembre aux Etats-Unis. Il apparaît cependant que "les ouragans Gustav en Louisiane et Ike au Texas ont accru mécaniquement les inscriptions hebdomadaires au chômage d’environ 50 000", a précisé le département du Travail US.
Et là, nous relevons une sacrée incohérence : les taux interbancaires atteignent des niveaux exorbitants, l’écart qui mesure la différence de rendement entre les prêts interbancaires et les bons du trésor à trois mois explose, à 3,25%. Il s’agit des pires conditions observées en 25 ans.
Pendant que les actions grimpent, le coût du crédit pour tenir les positions acheteuses (s’agissant d’acteurs institutionnels qui ont besoin de l’appui financier des banques) est le plus défavorable depuis octobre 1998… sauf que la Fed, par exemple, n’a plus aucune marge de manoeuvre pour abaisser le loyer de l’argent (comme lors de la crise LTCM fin 98).
De toute façon, cela ne servirait à rien : les banques ne se prêtent plus entre elles, faute de confiance dans la valeur des collatéraux apportés en garantie. Il ne reste plus qu’à se tourner vers le prêteur en dernier ressort, c’est-à-dire les banques centrales. La BCE a injecté 50 milliards d’euros en début de semaine ; cela représente une belle somme, mais c’est une aumône en regard des 155 milliards d’euros que lui réclamaient les établissements de crédit européens.
Ce sont donc 100 milliards qui manqueraient, à la veille du week-end, pour répondre aux demandes de prêts des particuliers et des entreprises !
Nicolas Sarkozy affirmait hier depuis Toulon que nous sommes passés à deux doigts de la catastrophe… Mais échapperons-nous à l’apocalypse (étymologiquement, il s’agit de la "révélation" : la révélation que le système est en train de sombrer comme le Titanic !).
Ce qui est choquant, dans le naufrage actuel de l’économie casino, c’est que ce sont une nouvelle fois les riches croisiéristes des "premières" qui se voient offrir les canots de sauvetage et les couvertures chauffantes, tandis que les passagers des seconde et troisième classes se voient confisquer le peu d’économies qu’ils emportent sur eux, contre la promesse de gilets de sauvetage — ce qui ne sert à rien dans les eaux glacées de la récession.