Qui sont ces gens ? Jeunes. Vieux. Blancs. Noirs. Laids. Beaux. Très beaux. Et ivres aussi. Certains d’entre eux sont très ivres. Tant mieux pour eux…
Je me trouve dans le métro, partant de la station Basilique de Saint-Denis pour revenir dans le 5e arrondissement, après avoir dîné avec de nouveaux amis. Paella et beaujolais, en proportions inégales. Une nuit chaude. Le vieux train fait un bruit de ferraille, il crisse aux tournants et hurle avant de s’arrêter au bord des quais quasi déserts. Je commence à me laisser gagner par le sommeil, engourdi par le balancement du train et le bruit de fond qui m’entoure.
Qui sont ces gens ? Quels sont leurs rêves, quelle est leur histoire ? Sont-ils heureux…ou misérables ? Que veulent-ils ? L’obtiendront-ils jamais ?
Sur ma gauche, assis quelques sièges devant moi, un homme lit un livre tout écorné. Tout le monde lit dans le métro à Paris, que ce soit à partir de son smartphone ou, comme cet homme, « à l’ancienne ». Papier. Encre. Des feuilles cornées chez d’autres gens. Un nom inconnu apparaît sur une page blanche, juste avant les remerciements. D’autres noms inconnus, des gens qu’aucun de nous ne rencontrera jamais mais que l’auteur souhaite remercier. Je reconnais le titre, La Peste. Camus. Il est probable que chaque Français l’a lu au moins une fois.
Je dois relire ce livre. Penser à l’ajouter à la liste. Et les Laissez-Faire Books. Et Les Belles Lettres. Et…
Régulièrement, toutes les trois ou quatre stations, l’homme lève les yeux de son livre. Quand pour la dernière fois un existentialiste décédé lui a-t-il fait rater sa station ?
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Pendant que l’Europe agonise…
… depuis 2008, un continent enregistre en toute discrétion plus de 5% de croissance moyenne annuelle
Un facteur bien particulier pourrait lui permettre de démultiplier cette croissance dans les années qui viennent.
Voici comment miser sur cette lame de fond qui pourrait venir bouleverser la donne économique mondiale — avec à la clé, des gains potentiels de 260%, 70%, 75%…
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Le train se remplit, peu à peu. Bientôt l’homme disparaît, caché par le pantalon en velours côtelé vert olive d’un autre homme et, de temps en temps, lorsque le train vire à droite, par la robe de la femme de M. Velours Côtelé. Une robe maxi comme on l’appelle. Parfaite pour cacher un étranger, dans un train. Les bras se lèvent et s’accrochent à la barre à mesure que le train se remplit. La distance entre la station et les passagers tend à se réduire aux arrêts. Plusieurs autres touristes montent à bord. Des Russes à ma gauche. Un jeune couple, des amis selon toute apparence et non des amoureux, âgés d’environ 25 ans, converse en syllabes hachées par-dessus mon épaule. Notre train. Multilinguisme dans les tunnels.
Je dois travailler plus sérieusement mon espagnol avant de retourner à Buenos Aires.
Place de Clichy. Entre une femme courbée par les ans, avec une poussette remplie de sacs en plastique, de chaussettes, de vieux tissus, de journaux (anciens) et d’une chaussure. Un jeune homme, qui s’était assis avant de la voir, se lève pour lui proposer son siège. La vieille femme lui offre en retour un journal. Pas sur le dessus de la pile, imaginez-vous, une poignée prise soigneusement dans le bas. Le jeune homme sourit et passe le reste de son trajet plongé dans la lecture d’événements internationaux datant du mois de février.
Qui sont ces gens ? C’est le chaos ici. Des échanges volontaires. De la littérature absurde et un voyage dans le temps éditorial. Anarchie… et dans un moyen de transport public.
Baisers. Deux couples qui sont entrés à la même station s’embrassent. L’un des couples se bécote, timidement, leurs mains se touchent doucement. L’autre adopte plutôt le style de la vieille école. Avec la langue. Des films tournés sous une lumière blafarde sur un pont au-dessus de la Seine. La vieille dame courbée sourit au couple de l’ancienne école, se souvenant de films, en noir et blanc et muets. Chautard, Desprès et son favori, l’inoubliable Bordon. Encore plus de monde entre aux stations Saint Augustin et Saint Philippe du Roule et à Miromesnil entre les deux.
Où se trouve ce café dans lequel Sartre écrivait ? Et fumait. Et écrivait. Embrassait-il Simone de Beauvoir dans le métro ? A l’ancienne ?
Monsieur et Madame Velours Côtelé descendent à Champs Elysées Clemenceau. L’Etranger n’a pas (encore ?) raté sa station. Il est assis en compagnie de son existentialiste décédé, ils sont totalement absorbés l’un par l’autre. Puis, entre un homme au visage brûlé, un accordéon pendant sur son ventre.
Il chante Piaf : Son homme est un artiste / C’est un drôle de petit gars / Un accordéoniste / Qui sait jouer la java…
Les passagers, complètement pressés les uns contre les autres dans la rame qui roule à toute allure, écoutent et se balancent au rythme de la musique qui emplit l’espace entre leurs corps fatigués. Une bande sonore à leurs histoires, leurs baisers, leurs journaux anachroniques. En contrepartie de cette mélodie, le visage du musicien fait son apparition, joufflu, en bonne santé. Deux ou trois personnes lui donnent de l’argent mais il remercie tout le monde sans distinction.
« Merci. Merci beaucoup. Merci ».
Puis le silence tombe. Deux hommes avec des pistolets montent à Invalides. Leurs pieds sont enserrés dans des bottes de militaire. Leurs mâchoires sont fortes. Des armes à leur ceinture. Instruments de torture et de douleur. Aucun sourire. Juste des insignes. Les autres passagers semblent nerveux, trouvent des excuses pour regarder ailleurs, leurs chaussures ou un point précis par terre. Le grincement du train se fait plus strident, violent. Du métal qui crisse contre du métal. Les Russes sont silencieux. L’Etranger ferme Camus et regarde par la fenêtre. La musique s’est éteinte, laissant un vide entre nous. A la place, un air épais et silencieux. La violence, implicite et tangible. Et la peur.
Il n’y a pas de changement (pour la ligne 10) avant Duroc. Trois stations. Et si ?…
Mais Saint François-Xavier accomplit un miracle. Entre les stations Varenne et Duroc, la station qui lui est dédiée se charge de notre fardeau, livrant les policiers à la nuit…